Le repas a traîné en longueur et le restaurant est presque vide à présent. Le décor de l’établissement est assez insolite : murs laqués noir, à l’instar du mobilier et de la façade. Des lignes de spots parallèles au plafond diffusent un éclairage tamisé. Un design épuré donne à l’endroit un certain charme et une élégance indiscutable.
C’est l’agent Lopez qui a choisi l’endroit, Cécile ne connaissant pas Lyon aussi bien que lui.
« Je pense que nous avons fait de l’excellent travail ! déclare l’homme entre deux gorgées de café. Votre démarche est très noble, commissaire Sanchez. Les familles pourront enfin faire leur deuil. »
La jeune femme acquiesce avec un sourire satisfait.
« Merci pour votre aide, dit-elle avec sincérité. J’ai pris pas mal de votre temps ces dernières semaines et je vous ai mobilisé toute la journée aujourd’hui.
— Et j’en suis ravi ! »
Il fait signe au serveur et commande une bouteille de dom perignon Œnothèque 1996 dont le prix doit avoisiner les huit cents euros.
« On peut bien se faire plaisir, non ? » glisse-t-il avec un sourire suggestif.
Durant toute la journée, au siège d’Interpol, il a assisté Cécile dans la recherche de l’identité des victimes du Serpent. En croisant les dates, les horaires et les provenances des vols, et en envoyant des requêtes à toutes les compagnies aériennes ainsi qu’aux autorités locales affectées à la surveillance des airs et des frontières, la commissaire escompte mettre un nom sur chacune des jeunes femmes tuées par le Serpent d’ici un mois.
La journée a été bien remplie et, même si la fatigue est là, Jacques Lopez a l’intention de pousser un peu cette soirée.
Et de la conclure agréablement ! devine rapidement Cécile.
Bien que leurs échanges soient restés très professionnels, l’agent montre des signes d’excitation croissante et lance des appels à la séduction ; même sans ses compétences en synergologie, la commissaire l’aurait vu venir à des kilomètres.
Néanmoins, certains détails viennent tout gâcher. L’alliance qu’il a visiblement retirée le matin même et dont la marque est encore visible autour de l’annulaire gauche. L’homme se prétend divorcé depuis plus de six ans, mais, chaque fois que le sujet est évoqué, elle découvre sur son visage des microexpressions faciales typiques du mensonge, ou du moins de la dissimulation et de la duplicité, même si ça reste à un niveau très acceptable socialement.
Dégustant le champagne au goût divin, Cécile se dit que s’il avait été franc, tout aurait été très différent. Cette attitude décrédibilise le personnage et la déçoit beaucoup.
« Vous verrez, la chambre que je vous ai retenue se trouve dans un hôtel vraiment agréable, avec un service de qualité, remarque-t-il avec un sourire en coin péniblement réprimé. Je pense que vous vous y trouverez très bien.
— Et vous aussi, par la même occasion », réplique-t-elle.
Déstabilisé, l’homme a un rire nerveux et secoue la tête en faisant mine de ne pas comprendre. Cette attitude agace prodigieusement Cécile, qui prend une voix exagérément suave pour lui dire le fond de sa pensée.
« Le resto chic, le bon vin, le champagne hors de prix et la chambre dans un hôtel de luxe… Vous avez sorti le grand jeu, agent Lopez.
— Je tenais à ce que vous soyez bien, bredouille-t-il, voilà tout. Je n’ai pas d’arrière-pensée !
— Vraiment ? Et votre épouse sera de la partie ?
— Mais je suis divorcé ! Je vous l’ai dit ! »
Mouvement de l’épaule en même temps que son doigt vient frotter son nez.
« Et moi je suis spécialisée dans le domaine de la synergologie… Vos mensonges sont aussi lisibles que les gros titres du Canard enchaîné.
— Mais…
— Il n’y a rien à ajouter, agent Lopez. Vous demeurez une personne admirable professionnellement parlant et, je n’en doute pas, dotée d’un très bon fond. Mais l’honnêteté aurait payé davantage que vos tromperies. Alors, je propose qu’on mette fin à la mascarade, qu’on termine cette bonne bouteille et que nous nous félicitions du travail accompli aujourd’hui. »
Mis devant l’évidence, l’homme jette à Cécile un regard résigné et repentant.
« Levons nos verres à l’arrestation de Saridah, reprend-elle d’un air serein. À la fin du cauchemar et à la paix qui va pouvoir gagner lentement le cœur des familles des victimes. »
Ils trinquent en silence.
Cécile est satisfaite. Dans les affaires de crimes sériels, les victimes font souvent figure de second rôle, mais elle va s’assurer que ce ne sera pas le cas pour celles de Saridah.
Exit Djihad…
Enter Salam !