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Lundi 22 février 2010, 7 h 30, Nanterre

Lorsqu’elle arrive au bureau, Cécile constate qu’elle n’est pas la première, ce qui est relativement rare. Et aujourd’hui, c’est d’autant plus troublant qu’elle est partie de chez elle particulièrement tôt.

Le commandant David Cohen, son second, est installé à son poste et travaille sur la liste des étudiants de Martin Augier.

« Tu es bien matinal, David ! remarque-t-elle. Tombé du lit ? Nuit blanche ?

— J’ai mal dormi pour tout dire. Et comme je dois préparer la liste des personnes à entendre dans le cadre de l’enquête sur les disciples potentiels du “ Professeur Maboul ”, j’en ai profité. Je dois être dans le bureau du juge Clerc avant ce soir pour qu’il puisse rédiger les convocations.

— Comment ça se présente ?

— Ouverture d’une information judiciaire pour dérive sectaire. Mais ce n’est plus un secret pour personne. »

En lâchant ces mots pleins de mépris, il sort le journal du samedi précédent de son tiroir et le pose sur son bureau, sourcils froncés, mâchoire et poings serrés. Sa lèvre supérieure se retrousse dans un rictus.

Mépris…, constate Cécile. Il est aussi révolté que moi à l’idée qu’un membre de la section puisse vendre notre travail à la presse. Ce n’est pas lui.

Même si elle avait éliminé d’office la possibilité que Cohen puisse être le traître, elle est soulagée par cette confirmation non verbale.

« Je suis au courant ! dit-elle. Gillet m’a collé le journal sous le nez avant-hier. Moi aussi, j’ai passé un mauvais week-end et j’ai très mal dormi. »

L’homme pose les documents qu’il a en main et fixe sa supérieure droit dans les yeux d’un air sérieux.

« Ce n’est pas moi, Cécile ! lâche-t-il. J’espère que tu le sais. Jamais je ne ferais une chose pareille.

— Je sais, David… »

Il semble soulagé de ne pas être soupçonné. David est un homme de principe, droit et honnête. À la seule pensée qu’on le croie capable de telles bassesses, il se sent nauséeux.

Un lourd silence s’abat sur la pièce.

« D’après toi, qui ça peut-être ? finit-il par demander. Tu vois quelqu’un en particulier ?

— Non… Aucune idée ! avoue-t-elle. Mais je vais le découvrir, tu peux me croire. Malheureusement, je ne vais pas souvent être là ces temps-ci. Ça tombe mal… Vallon m’a collée sur une autre affaire.

— Je sais. J’ai été convoqué dans son bureau samedi. Il m’a informé que je serai en charge des disciples d’Augier. Comme on a bouclé l’affaire, le pôle criminel veut qu’on reste dans le coup mais en travaillant en étroite collaboration avec Caimades. Je pense qu’il veut qu’on fasse une transition propre et claire… »

La commissaire acquiesce. Il est tout à fait normal que le service spécialisé dans ce type d’infraction soit de la partie. Mise en place tout récemment, Caimades, la Cellule d’assistance et d’intervention en matière de dérives sectaire, n’en est qu’au stade expérimental. Regroupant six volontaires actifs et passionnés, cette section décharge les autres groupes de l’Office en se focalisant sur ce type de dossier sensible. Le cas des disciples d’Augier constitue pour elle une occasion de démontrer son efficacité. Avec un succès d’entrée de jeu, il serait quasi assuré que la structure prenne officiellement sa place parmi les groupes spécialisés.

« C’est une bonne chose ! commente Cécile. J’en connais deux parmi eux et ce sont de vrais mordus. Ce serait bien qu’ils parviennent à faire leurs preuves. On a besoin d’un groupe spécialement affecté aux dérives sectaires. Je l’ai toujours dit ! »

Cohen hoche vaguement la tête et ses yeux fixent un point invisible. Pour toute réponse, la jeune femme a droit à un bref grognement. Elle demande :

« David, dis-moi ce qui te travaille, s’il te plaît !

— Je vais aussi devoir gérer le reste de l’équipe à ta place, voilà ! » Il secoue la tête avec un rictus nerveux. « Et dire que, parmi eux, il y a cette pourriture ! Ça me rend malade… »

En entendant cette remarque, la commissaire vient s’asseoir en face de son second, se penche vers lui et le scrute sans détour.

« Il faudra que tu sois imperméable, David ! exige-t-elle. Quand je pourrai, je passerai tout le monde à la loupe, c’est promis. Mais en attendant que je puisse m’y pencher, fais comme si de rien n’était. Si on t’en parle, contente-toi de dire que celui qui a fait ça paiera un jour, rien de plus.

— Ça ne va pas être simple…

— Je sais. Mais il le faut. Parce que si tu commences à te focaliser là-dessus, tu vas cogiter et il te sera impossible de prendre le commandement dans de bonnes conditions.

— Je vais essayer…

— Non ! Tu dois absolument y arriver. Tu devras aussi empêcher les autres de spéculer. Tout le monde risque de virer parano sinon… Fais en sorte d’étouffer l’affaire, avec autorité. Il en va de la survie de la section. Et à la question “ Est-ce que Cécile est au courant ? ” tu réponds que tu n’en sais rien.

— Bien, souffle-t-il. Mais tu dois me promettre de faire ce que tu peux pour régler ça le plus vite possible !

— Promis. Mais pour l’instant, je dois me focaliser sur mon affaire, et ça ne s’annonce pas simple.

— Tu auras besoin d’aide, non ?

— Oui, sans aucun doute ! Mais je vais dégrossir ça en solo. J’ai un paquet de requêtes à envoyer et d’informations à rassembler pour pouvoir dresser un profil. Le client a l’air d’être un beau tordu !

— Je sais. J’en ai discuté avec Sylvain, du groupe SALVAC. On dirait un roman de Val McDermid, cette histoire. À mon avis, on est face à un sacré fêlé…

— Mais c’est comme ça que je les aime, David, rétorque Cécile en se levant. Un vrai défi, il n’y a rien de tel pour me stimuler. »

Cohen lui jette un sourire complice, qu’elle lui renvoie. Elle passe ensuite quelques minutes à regrouper des documents sur son bureau, les range dans une chemise et se dirige vers la sortie.

« Je vais au service documentation en attendant l’arrivée du chef, dit-elle en ouvrant la porte. Bonne chance pour ton dossier. Et, en cas de besoin, tu m’appelles ! Je vais passer quelque temps à hanter les couloirs, enlisée dans la paperasse, donc n’hésite pas. » Elle mime une démarche fantomatique qui tire un éclat de rire à son second.

« Merci, dit-il. Ça me fait du bien de sentir que tu es là… Je dois avouer que je stresse un peu : c’est la première fois que je me retrouve seul aux commandes.

— Tu vas t’en tirer ! le rassure-t-elle. Je n’ai aucun doute là-dessus. »

Une fois seul dans le bureau, il se replonge dans le listing des étudiants, biffant certaines lignes, en surlignant d’autres. Il ne lui faut que quelques secondes pour s’immerger à nouveau dans cette affaire qui est à présent la sienne.

Pourtant, malgré lui, dans un recoin de son esprit, l’idée que le reste de l’équipe ne va pas tarder à arriver au compte-gouttes – le traître y compris – lui vrille les tripes. Le chef de CAMAIDES doit venir pour un briefing complet, accompagné d’une psychologue qui suivra l’évolution de l’enquête et interviendra directement si nécessaire. Cette matinée s’annonce aussi difficile que désagréable. Mais, pour le commandant, il est impératif que tout se passe pour le mieux. Pour sa crédibilité au sein de l’office, pour sa carrière…

… mais surtout, pour ne pas décevoir Cécile !

Le festin du serpent
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