22

Mercredi 24 février 2010, 7 h 45, Nanterre

Après une courte nuit de sommeil et une journée de repos, Cécile est de retour au bureau.

Lorsqu’elle pénètre dans sa « salle de réflexion », son corps se fige un instant tandis que ses yeux se promènent sur les surfaces. Le chaos tapisse déjà les murs, alors que l’enquête n’en est qu’à ses balbutiements. Si ça continue à ce rythme, elle devra bientôt attaquer le plafond.

Après s’être servi une tasse de thé vert à la menthe, elle se saisit d’un marqueur noir et vient écrire sur la grande feuille blanche titrée Victimologie :

— Femmes non identifiées, visiblement étrangères au territoire français – probablement clandestines.

— Âge : entre 20 et 30 ans.

— Morphologie : de mince à relativement corpulente.

— Origine : Moyen-Orient.

— Issues de milieu modeste, voire pauvreté (appât du gain ? prostitution ?).

— Ongles coupés la veille (sauf Manchester : amélioration du mode opératoire).

— Pas de blessures défensives, aucun signe de résistance (surprise ? sacrifice volontaire ? drogue ?).

Puis elle recule d’un pas pour se relire et se dirige vers l’autre feuille blanche de dimensions identiques, placée en regard de la première, sur laquelle est inscrite la mention Profil – Modus operandi.

Le blanc du papier lui saute aux yeux, lui rappelle l’émail de la baignoire. Vertige soudain qu’elle parvient à contrôler, non sans peine. Le voyage psychique de l’avant-veille l’a sérieusement ébranlée, les images sont encore nettes dans son esprit. Elle voudrait les voir s’effacer d’un clignement de paupières pour en être débarrassée, mais elle ne peut pas. Il faut qu’elle profite de cette clarté pour mettre à plat un maximum d’informations.

Après un long soupir, elle se remet à écrire d’une main agile sur ce nouveau support :

— Tueur nomade, de type inconnu, entre 35 et 45 ans – grande force physique, sans doute très charismatique ou éloquent.

— Mode opératoire précis et éprouvé, répété avec exactitude sur les différentes scènes de crime.

— Contrôle total – psychopathe organisé. La possibilité d’une pathologie mentale sérieuse et handicapante est à exclure.

— Parvient à contraindre ses victimes à des exigences strictes, soit par un puissant magnétisme, soit par la peur.

— Motivations sexuelles contrôlées – absence de sperme (préservatif ? impuissance ? sadisme pur ? assouvissement retardé ?).

— Sélection des proies selon des critères relativement stables (voir victimologie) mais pas obsessionnels (différences patentes).

— Troubles sévères de la personnalité : sociopathe, sans doute narcissique.

— Absence totale d’empathie. La brutalité des crimes et la barbarie qui s’en dégage indiquent qu’il dépersonnalise totalement les victimes.

— Préparation consentie de la part des proies (ongles coupés la veille), ce qui indique une prise de contact avant l’acte (mise en confiance – individu aux abords sociables) –prostitution ? NOTE : Il commence à les contraindre au port d’ongles courts après l’incident de Manchester, en 2004, ce qui laisse penser qu’il a débuté à cette période, ou peu auparavant.

— Parvient à les conduire à la mort sans résistance (prostitution avec rituel masquant les intentions véritables ? sacrifices volontaires – démarche sectaire ? drogue ?).

— Si utilisation de drogues (DMT, GHB, flunitrazépam), celle-ci est rendue indétectable par l’absence de sang en quantité suffisante pour réaliser un bilan toxicologique.

— Les lieux des crimes sont très similaires. Il semblerait que le tueur s’attache plus au choix des chambres d’hôtel qu’à la sélection de ses proies. NOTE : Il y a moins de différences entre les différents lieux où se sont déroulés les crimes quentre les proies !

— L’exact déroulement des faits et les blessures identiques en tous points laissent penser à une personne obsessionnelle.

La silhouette du prédateur s’esquisse progressivement. Malgré les nombreuses zones d’ombre persistantes, l’expérience vécue dans la nuit de lundi à mardi a permis à Cécile d’affiner sa perception. Cette surface de papier qui se couvre de données est comme l’esquisse du portrait du tueur, des lignes encore imprécises aux traits de construction apparents. Mais, bientôt, elle sortira sa palette et ses pinceaux. Aucun doute qu’elle n’aura besoin que de peu de couleur. La dominante sera le noir.

À cet instant précis, debout au centre de la salle de réflexion aux murs tapissés d’horreur, elle sait qu’il va falloir plonger. Un long frisson la traverse, et ses mains viennent se poser sur ses épaules.

Son regard se vide.

Sa respiration se suspend.

Cécile Sanchez est prête pour le grand plongeon dans les ténèbres.

Le festin du serpent
cover.xhtml
book_0000.xhtml
book_0001.xhtml
book_0002.xhtml
book_0003.xhtml
book_0004.xhtml
book_0005.xhtml
book_0006.xhtml
book_0007.xhtml
book_0008.xhtml
book_0009.xhtml
book_0010.xhtml
book_0011.xhtml
book_0012.xhtml
book_0013.xhtml
book_0014.xhtml
book_0015.xhtml
book_0016.xhtml
book_0017.xhtml
book_0018.xhtml
book_0019.xhtml
book_0020.xhtml
book_0021.xhtml
book_0022.xhtml
book_0023.xhtml
book_0024.xhtml
book_0025.xhtml
book_0026.xhtml
book_0027.xhtml
book_0028.xhtml
book_0029.xhtml
book_0030.xhtml
book_0031.xhtml
book_0032.xhtml
book_0033.xhtml
book_0034.xhtml
book_0035.xhtml
book_0036.xhtml
book_0037.xhtml
book_0038.xhtml
book_0039.xhtml
book_0040.xhtml
book_0041.xhtml
book_0042.xhtml
book_0043.xhtml
book_0044.xhtml
book_0045.xhtml
book_0046.xhtml
book_0047.xhtml
book_0048.xhtml
book_0049.xhtml
book_0050.xhtml
book_0051.xhtml
book_0052.xhtml
book_0053.xhtml
book_0054.xhtml
book_0055.xhtml
book_0056.xhtml
book_0057.xhtml
book_0058.xhtml
book_0059.xhtml
book_0060.xhtml
book_0061.xhtml
book_0062.xhtml
book_0063.xhtml
book_0064.xhtml
book_0065.xhtml
book_0066.xhtml
book_0067.xhtml
book_0068.xhtml
book_0069.xhtml
book_0070.xhtml
book_0071.xhtml
book_0072.xhtml
book_0073.xhtml
book_0074.xhtml
book_0075.xhtml
book_0076.xhtml
book_0077.xhtml
book_0078.xhtml
book_0079.xhtml
book_0080.xhtml
book_0081.xhtml
book_0082.xhtml
book_0083.xhtml
book_0084.xhtml
book_0085.xhtml
book_0086.xhtml
book_0087.xhtml
book_0088.xhtml
book_0089.xhtml
book_0090.xhtml
book_0091.xhtml
book_0092.xhtml
book_0093.xhtml
book_0094.xhtml
book_0095.xhtml
book_0096.xhtml
book_0097.xhtml
book_0098.xhtml
book_0099.xhtml
book_0100.xhtml
book_0101.xhtml
book_0102.xhtml
book_0103.xhtml
book_0104.xhtml
book_0105.xhtml
book_0106.xhtml
book_0107.xhtml