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Dimanche 21 mars 2010, 0 h 26, Paris 10e
Shirel, son Tactical Pen en main, sort de sa chambre et se dirige vers la 11, située au même étage, presque en face. Un lieu de rencontre pratique – on lui a visiblement facilité la tâche pour cette mission parisienne.
Elle frappe deux coups secs, trois coups lourds et de nouveau deux coups secs. L’homme vient lui ouvrir sans tarder. C’est un beau garçon qui ne doit pas avoir beaucoup plus de vingt-cinq ans, aux cheveux bruns relativement longs, coiffés dans le style ébouriffé, gel « effet mouillé ». Il se tient, pantois, devant la porte, ne sachant trop comment réagir. Ses grands yeux marron vont de ses chaussures à ceux de la jeune femme, et il lui faut presque trente secondes pour se rendre compte qu’il n’a pas proposé à Shirel d’entrer.
Il s’efface enfin et l’invite à pénétrer dans la chambre d’un geste du bras tout en se présentant.
« Je m’appelle Alexandre Feischl, bredouille-t-il. Désolé, je n’ai pas l’habitude… Ça fait trois ans que je suis à disposition, mais c’est la première fois que je suis sollicité. »
Shirel acquiesce avec froideur, renforçant le malaise de son hôte. Elle s’en veut de devoir conserver cette distance, mais elle n’a pas vraiment le choix.
Ce n’est qu’un sayan, un agent dormant, ou plutôt un assistant hibernant, comme on en recrute par dizaines chaque année dans tous les pays. Des civils qui touchent une maigre solde, nette d’impôt, pour être à la disposition des agents en cas de besoin et leur fournir une aide logistique. De temps à autre, le Bureau leur demande d’aller prendre la photo d’un individu, de chercher des informations simples sur des cibles potentielles, de louer voitures ou chambres d’hôtel à leur nom, contre un remboursement assorti d’une petite prime.
Ce sont des larbins auxquels il ne faut pas s’attacher, car si, par accident, un sayan devait être témoin de faits compromettants, il faudrait l’éliminer séance tenante sur décision de la hiérarchie. Un simple coup de fil de la division logistique équivaut, dans ce cas, à la signature d’un acte de décès.
« Tu n’es pas Alexandre je-ne-sais-quoi, mon garçon, lance l’Israélienne d’un ton cassant. Tu es S23. Je ne veux rien savoir de ta vie, de tes habitudes, de tes histoires de famille et tout ce qui va avec… Ce sera réciproque entre nous ! Je ferai ce que j’ai à faire, tu feras ce que je te dirai de faire, tu ne verras rien, tu n’entendras rien et tu fermeras ta gueule. Tu auras une prime confortable quand tout sera terminé, et tout ira pour le mieux dans le meilleur des mondes. »
Le souffle coupé, Feischl baisse les yeux et referme la porte, le rouge aux joues.
Le seuil passé, Shirel se met à inspecter les lieux. Elle sort son portable, fait voleter et glisser ses doigts sur l’écran et lance une application. Le téléphone se met alors à émettre un bruit régulier, au rythme d’un bip par seconde. La jeune femme se promène dans la chambre en tendant le bras dans toutes les directions. Quand elle le braque en direction de S23, le rythme s’accélère légèrement, puis davantage encore quand elle s’avance vers lui. Suivant l’accélération du signal, elle s’approche et passe l’iPhone sur les différentes parties du corps tremblant de son assistant local. Devant la poche avant droite du pantalon, l’appareil émet trois bips par seconde.
« C’est ton portable dans cette poche ?
— Oui, répond-il en balbutiant. Mais c’est celui qu’on m’a donné… Je n’ai rien touché… Je n’ai rien fait…
— Je sais. »
Shirel termine son exploration des lieux en s’expliquant :
« Si ça avait été un micro, le signal aurait été beaucoup plus rapide. Là, c’est juste une reconnaissance de connexion. Retire la puce de ton mobile. »
Sans discuter, Alexandre s’exécute. Il démonte son portable et pose les différentes pièces sur le secrétaire, comme pour prouver sa bonne foi et sa docilité.
« Bien ! lâche-t-elle. Maintenant on peut parler, mais toujours à voix basse. Compris ?
— Cinq sur cinq…
— Arrête avec tes expressions militaires, ricane-t-elle froidement. T’es pas dans un James Bond !
— Reçu ! Heu… enfin, d’accord.
— Tu as mes outils ?
— Oui. Tout est là… »
Il désigne du doigt un long sac de sport Nike noir, posé près de la fenêtre. Shirel le saisit, le pose sur le lit et l’ouvre. Un à un, elle en sort les objets qui s’y trouvent. Un pistolet automatique Beretta PXA Storm noir, calibre 9 mm Parabellum, cinq chargeurs pleins d’une capacité de 17 coups. Une visée laser à glisser sur le canon vient parfaire les accessoires de l’arme.
Une version plus discrète du même pistolet, un Beretta PX4 subcompact, et deux chargeurs d’une capacité de 13 cartouches, pour un encombrement moindre. Un silencieux est disponible pour ce modèle.
Cinq boîtes de munitions supplémentaires, dont deux de type subsonique et une de balles expansives.
Démonté dans une petite mallette de transport aménagée, un PSGI, fusil de précision produit par Heckler & Koch, de calibre 7,62 mm OTAN. Trois chargeurs de 20 cartouches perforantes. Dans le kit, la lunette grossissante classique a été remplacée par un modèle électronique multifonctions ultraperformant, permettant de traiter des objectifs à 800 mètres, même en pleine nuit.
Deux canons disponibles : le premier, de type Précision, est un peu plus long que le second, de type Silencieux, qui perd légèrement en portée mais étouffe la détonation. Pour cette arme aussi, des cartouches supplémentaires empaquetées dans deux petites boîtes en carton.
Des grenades de toutes sortes : défensives, offensives, au phosphore, à fragmentation et incapacitantes. Un couteau de combat à lame courbe et courte, avec un étui solide, acier noir antireflet et manche à l’extrémité conique aussi mortelle que la partie tranchante, capable de briser un crâne aussi facilement qu’une coquille de noix.
Une paire de jumelles militaire à grossissement maximal, assortie d’une fonction « vision thermographique » et d’un amplificateur de lumière.
Il reste du matériel utile au fond du sac, mais Shirel s’est assuré d’avoir l’essentiel à disposition. Elle range l’ensemble sous les yeux hagards du sayan, passe la lanière sur son épaule et soulève le tout en poussant un long soupir.
« Merci, S23 ! dit-elle en sortant. Je vais aller me coucher. Mais n’oublie pas : rien vu, rien entendu et bouche close. »
Il acquiesce en avalant sa salive avec peine et regarde sortir l’agent dont il est devenu le larbin. Il se dit que, pour sa première intervention depuis qu’il s’est porté volontaire auprès du Mossad, il est tombé sur du lourd. Il regrette presque les virements réguliers sur son compte en banque et les années passées sans rien avoir à faire.