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Vendredi 19 mars 2010, 12 h 41, Nanterre
Après une matinée passée à rédiger la procédure du dossier de l’Éventreur, Cécile sent la faim la tenailler. Elle a une furieuse envie de pâtes et envisage d’aller déjeuner dans une bonne trattoria. C’est au moment où elle enfile son manteau pour quitter la salle de réflexion que le téléphone retentit.
Elle regarde le combiné avec une mine fermée. Une boule d’angoisse se forme au creux de son estomac et son appétit s’évanouit. Un mauvais pressentiment la saisit, sans qu’elle puisse en deviner la raison.
Avançant de quelques pas lents, elle décroche d’une main tremblante.
« Commissaire Sanchez, section spéciale de l’OCRVP.
— C’est Pierre Raffin, dit son interlocuteur d’une voix hésitante. Je suis en charge de l’instruction du dossier de l’Éventreur.
— Enchantée, monsieur le juge. Nous devons nous rencontrer cet après-midi, c’est bien ça ? »
Un silence sur la ligne. Son appréhension s’accentue encore. Elle cherche à se rassurer en envisageant une explication plus légère pour justifier cet appel.
« Je n’ai pas fait une erreur de planning, j’espère ? Le rendez-vous n’était pas ce matin… ?
— Non, coupe le magistrat. C’est autre chose… »
L’intonation part dans les graves, avec comme des éraflures sonores sur les syllabes. Signe annonciateur d’une mauvaise nouvelle qui a du mal à sortir.
La commissaire ferme les yeux et fait face à l’évidence.
« Un nouveau corps… C’est ça ?
— En effet… Dans un hôtel de Bagneux.
— Qu’est-ce qui s’est passé ?
— La femme de chambre s’inquiétait que la cliente ne réponde pas à l’heure où elle aurait dû libérer la chambre. Le SRPJ est arrivé sur place mais le substitut m’a téléphoné. J’ai bloqué la situation jusqu’à votre arrivée.
— Je m’y rends sur-le-champ, monsieur le juge.
— La scientifique est déjà en route. Ils ont pour consigne de ne rien commencer sans votre accord, au cas où ils arriveraient avant vous.
— Quel groupe ?
— La section du SRPJ de Versailles. »
Cécile hoche la tête en silence. Elle voit déjà les gars de Luc Joly débouler avec leurs gros sabots, attaquer le boulot en lançant des blagues salaces, entrer et sortir avec les mêmes surchausses, faire une pause-cigarette et reprendre le travail sans changer de gants… Cette idée lui est insupportable.
« Renvoyez-les ! exige-t-elle. Je veux que ce soit le groupe Perrin qui soit saisi et qui traite cette nouvelle scène de crime.
— Vous voulez que je les congédie ?
— Si vous souhaitez des résultats, alors oui ! Perrin et ses hommes sont les meilleurs dans leur domaine. Rien ne leur échappe. Si je me permets d’insister, monsieur le juge, c’est qu’il y a de bonnes raisons.
— Bien, concède le magistrat. Mais vous n’allez pas vous faire des amis sur ce coup. Et moi non plus.
— J’imagine ! Mais l’enquête passe avant tout.
— Je vous fais confiance. Autre chose ?
— Oui ! Le docteur Toumel doit s’occuper de l’autopsie et venir sur place après le ratissage de la scientifique.
— Je vais voir ce que je peux faire.
— Si tout va comme je veux, on a une chance d’obtenir des éléments solides pour avancer. Cette victime sera la dernière. Je m’y engage personnellement !
— Dans ce cas, vos désirs sont des ordres, commissaire. On se verra là-bas, donc à tout à l’heure. Drôle de manière de faire les présentations, vous en conviendrez…
— C’est le moins qu’on puisse dire, souffle Cécile. À tout à l’heure, monsieur le juge. »
Elle raccroche et s’autorise quelques secondes de stupeur immobile. Faire cette promesse est sans doute la plus grosse bêtise de sa carrière, mais si elle veut obtenir autre chose qu’une copie conforme des procédures précédentes, il est temps de prendre les choses en main et d’user des bons outils.