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Lundi 22 mars 2010, 7 h 34, Nanterre

Le visage de la jeune Arménienne n’a pas quitté l’esprit de Cécile ces derniers jours – ces dernières nuits surtout –, et des visions cauchemardesques de la mise à mort l’ont assaillie sans lui laisser de répit.

Trop focalisée par son enquête, elle n’a absolument pas profité de son week-end. Toutes les deux heures, elle a téléphoné à la permanence de la sous-direction des affaires criminelles pour se tenir au courant des placements en garde à vue et des interpellations, cherchant des individus susceptibles de coller à son profil. Elle a également harcelé Paul Baptista et Hakim Chedid, d’astreinte ce week-end, pour leur demander s’ils avaient détecté quoi que ce soit d’intéressant.

Rien. Le calme plat.

En attaquant cette nouvelle semaine, elle espère du nouveau et compte sur le fait que l’équipe de la scientifique doit lui apporter les résultats de l’analyse du poil retrouvé à l’hôtel Les Lilas.

Quand les portes de l’ascenseur s’ouvrent sur le hall du septième étage, elle a la surprise de trouver Karine Perrin assise sur un fauteuil de l’accueil. Elles ont rendez-vous ce matin, justement pour planifier les analyses en laboratoire, signer la paperasse et organiser le déblocage du budget nécessaire à ces travaux coûteux. La jeune femme est plongée dans la lecture de Daemon, un techno-thriller époustouflant signé Daniel Suarez, que Cécile a elle-même lu quelques mois plus tôt.

La commandante est vêtue d’un jean clair et d’un pull noir sur lequel ses longs cheveux lisses retombent en cascade. La commissaire remarque qu’elles sont toutes deux habillées de la même façon décontractée. Sur le siège à côté de Karine, une chemise cartonnée est posée sur son caban de feutre sombre plié en deux, renfermant sans doute les formulaires à remplir.

Si seulement ça pouvait se passer comme dans les séries américaines, se dit Cécile. On retrouve un poil et, deux heures plus tard, on a un nom et une photo qui apparaissent sur un écran. Pas de délai d’attente, pas d’obligations administratives ni de problèmes financiers à régler.

Les deux femmes se saluent et se dirigent vers les locaux de la section spéciale en passant par le distributeur automatique de boissons chaudes. Une fois installées dans le bureau, Karine ouvre la chemise et en tire les documents.

« Bon ! souffle la commissaire. Allons-y pour la paperasse, qu’on puisse enfin bosser.

— J’ai déjà rempli les champs qui concernent mon service, répond Perrin. Restent les parties concernant votre Office. Je vous laisse vous en occuper tranquillement. Vous me ferez parvenir tout ça quand ce sera fait.

— Je vais le faire tout de suite ! Pas question de perdre du temps. Je veux ces résultats le plus tôt possible. »

Avec un sourire en coin, Perrin pose devant elle quatre feuilles de format A4 agrafées entre elles.

« Eh bien, joyeux Noël ! » lance-t-elle avec une pointe de satisfaction.

Le rythme cardiaque de Cécile s’accélère. Son souffle est coupé net. Les yeux rivés sur la page de présentation, elle ne parvient pas à articuler le moindre son. Muette de stupeur, elle lit simplement ce qui s’y trouve écrit.

Direction centrale de la Police judiciaire

Section technique et scientifique

Groupe Perrin

Procédure N° 10/11053

Analyses d’éléments biologiques

Étude comparative

Ayant non sans peine réussi à avaler sa salive, Sanchez lève les yeux vers la commandante.

« Vous avez déjà fait le travail ? demande-t-elle. Ce sont vraiment les résultats ?

— Oui ! Je n’avais rien à faire ce week-end. Et, pour tout dire, il me fallait une excuse pour esquiver un deuxième rencard avec type qui s’est révélé être un très mauvais coup. Alors j’ai pensé que ça vous ferait plaisir d’avoir rapidement les résultats.

— Et la demande de budget ? Si elle venait à être refusée ?

— J’en serais vraiment étonnée, répond Karine. Et même si c’était le cas, je me débrouillerais. Pour le temps de travail, ce n’est pas un problème. Pour le reste, je trouverai bien une affaire inutile pour y faire basculer les frais. Ça ne fait pas si longtemps que j’ai été promue, mais je sais déjà composer.

— Merci ! C’est quelque chose que je n’oublierai pas.

— Je confirme… »

Cécile hausse les sourcils, sans comprendre cette dernière réplique de Perrin, qui ouvre le rapport et le retourne vers elle.

« … Parce que l’ADN retrouvé, même s’il sort sous X, a une correspondance sur le FNAEG. Une affaire à l’étranger que vous avez traitée.

— Amsterdam ?

— Exact. »

Avec un cri de triomphe contenu, Cécile frappe sur son bureau du plat de la main.

« Je savais qu’il fallait que ce soit vous qui traitiez cette scène de crime ! s’exclame-t-elle. La section de Versailles serait passée à côté.

— Pas forcément, relativise la commandante. On a eu de la chance, c’est tout.

— La chance n’a rien à voir avec ça ! Vous ne pouvez pas savoir à quel point vous venez de faire avancer l’enquête. Je ne vous remercierai jamais assez.

— Et puis il y a le reste. »

Devant le regard écarquillé de la commissaire, Karine Perrin cherche une autre page du rapport et la commente :

« C’est bien un élément de pilosité nasale qu’on a retrouvé. D’après les observations, il a été coupé. Ce qui signifie que votre tueur a utilisé une mini-tondeuse pour le nez et les oreilles. Il est prudent mais, malheureusement pour lui, un des poils a dû remonter dans les sinus grâce à une inspiration pendant la tonte. Pour s’affairer à sa besogne, il doit respirer assez fort. Notre indice est retombé au bon endroit et au bon moment.

— Je sais qu’il est prudent…

— Ce n’est pas tout ! Sur ce poil, j’ai retrouvé un résidu de mucus. A priori, ça ne devait rien m’apprendre de plus mais je l’ai analysé quand même.

— Et… ?

— J’y ai retrouvé des traces bien particulières. »

Elle désigne du doigt le schéma d’une molécule composée de quatre atomes carboniques, résumé par une formulation complexe qui s’étale sur plus d’une ligne du rapport :

(1R, 2R, 3S, 5S)-3-(benzoyloxy)-8-méthyl-8-azabicyclo [3.2.1]octane-2-carboxylate de methyle

Malgré le peu de connaissances de Cécile en chimie, elle parvient à déterminer qu’il s’agit d’un produit stupéfiant, sans doute un psychotrope stimulant. Elle en demande confirmation.

« Des traces de drogue ?

— Bien vu ! Erythroxylum coca dans sa forme alcaloïde la plus courante : chlorhydrate de cocaïne.

— De la coke ! Voilà qui colle parfaitement avec mon profil !

— Oui, il s’agit bien de ça, confirme Karine. Et pas de la poudre de qualité médiocre qui tourne dans la rue, avec dix pour cent à peine de produit et le reste de coupe.

Du premier choix ?

C’est le moins qu’on puisse dire. J’ai vérifié dans les bases de données, la composition indique que cette cocaïne a été produite en Bolivie : c’est là qu’on trouve la meilleure qualité. Et elle n’a pas été coupée du tout. Elle est pure à quatre-vingt-seize pour cent. C’est assez rare pour être souligné. En principe, la poudre est déjà coupée de moitié sur le bateau qui l’achemine. » Pour la première fois depuis le début de cette affaire, Cécile Sanchez a l’impression d’avoir une véritable prise sur le Serpent : une séquence ADN qui constitue un formidable élément à charge et permettra de prouver la culpabilité de l’homme après lequel elle court depuis un mois maintenant.

Le festin du serpent
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