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Jeudi 25 mars 2010, 9 h 22, Le Raincy
Quand Cécile Sanchez voit les hommes de la SDAT ressortir de la maison, elle soupire de soulagement. Elle a suivi toute l’opération depuis le poste mobile de surveillance installé dans le monospace de Brehel. Les tirs de l’Iranienne, l’acharnement du commandant Tresch sur l’Imam lui ont donné quelques méchantes frayeurs.
Et puis il y a eu cette rupture de contact soudaine avec le dispositif numéro deux, chargé de neutraliser la bombe. Brehel a envoyé sur place plusieurs voitures de la police urbaine de sécurité, ainsi qu’une partie des secours. Mais il a laissé transparaître une profonde inquiétude.
Fort heureusement, tout s’est bien passé, ici…, pense Cécile avec une pointe de honte. Ce qui a pu arriver aux deux autres équipes passe à ses yeux au second plan. C’est très égoïste, mais elle se soucie uniquement de la survie du Serpent.
Elle embrasserait presque le commissaire Barthélémy, qui est parvenu in extremis à sauver la situation. Elle le regarde sortir fièrement, tenant Umar Al-Kadir par les épaules. Ce dernier est menotté, et son regard porte tout le poids des accusations dont il va à présent devoir répondre.
Quant à elle, elle aura tout le loisir de sonder l’esprit de l’Éventreur. Bien entendu, les charges liées à ses activités au sein d’An-Naziate auront la priorité. La commission rogatoire du juge Carnet passera avant celle de Raffin. Mais quand la SDAT, la DCRI et le pôle antiterroriste en auront terminé avec lui, Sanchez prendra la main. Mille questions lui brûlent déjà les lèvres, et elle cherche dans cette silhouette filiforme, écrasée par son arrestation, sur ce visage émacié aux traits fins, des ébauches de réponses. Le langage corporel ne lui apprend malheureusement pas grand-chose, elle ne lit que la peur, la honte et la culpabilité.
Soutenu par Laura Kieffer et Abdelatif Hamal, Sébastien Mougin sort à son tour, pâle et grimaçant de douleur. Il ne doit la vie sauve qu’à son gilet pare-balles.
Au moment où les secours sortent de la maison, emportant Sameya Shatrit sur une civière, une multitude de lumières brèves et aveuglantes crépitent. Profitant du relâchement du bouclage policier, des journalistes ont réussi à se faufiler entre les habitations et prennent en photo le chef de groupe de la SDAT qui traverse la chaussée avec son prisonnier. Vedat Ciplak se précipite et retire sa veste pour la poser sur la tête d’Al-Kadir. La plupart des photographes reportent alors leur attention sur la blessée, qu’escorte Regnault, fusil d’assaut en main, prêt à parer à toute tentative d’évasion.
« Mais qui les a laissés passer ? hurle ce dernier. Virez-moi ces connards ! »
L’Oberstleutenant, arme de guerre à la main, en train d’escorter une femme sur un brancard, canon pointé vers les objectifs ! ricane intérieurement Cécile. Voilà de quoi faire la première page de quelques journaux.
Les hommes de la police urbaine de proximité se dirigent alors vers les intrus, bloquent leurs angles de vue en écartant les bras et les poussent à partir. Mais la tâche est difficile, vu le nombre de journalistes présents. L’hydre de la presse est affamée : chaque fois que l’un est repoussé, il semble en arriver deux nouveaux. Il en résulte un incroyable désordre qui incite Barthélémy à presser le pas vers le deuxième monospace. Regnault mobilise Tresch pour qu’il monte avec lui dans l’ambulance et assure la sécurité du trajet jusqu’à l’hôpital.
C’est alors qu’une détonation déchire le silence.
Umar Al-Kadir fait un pas de côté et manque d’entraîner Ange-Marie, qui le retient fermement. La veste du stagiaire qui lui couvrait la tête tombe au sol. Le commissaire baisse les épaules tout en maintenant l’Imam qui, sans doute effrayé par le coup de feu, a cherché à se mettre à couvert.
En une fraction de seconde, le chef de groupe voit défiler toutes sortes d’hypothèses : un coup de feu accidentel, la réponse d’un des snipers du RAID à une réaction de Shatrit, l’intervention désespérée d’un complice inconnu… Mais l’agitation soudaine autour d’eux le fait douter, et il lit la même incompréhension dans les regards qui se fixent sur lui, sur le visage décomposé de Cécile Sanchez, tandis que les lumières aveuglantes des flashs redoublent tel un feu d’artifice.
Qu’est-ce qui se passe, bordel ?
Désespérément, le commissaire cherche des réponses et regarde autour de lui avec un mélange de panique et de circonspection.
C’est à cet instant qu’il sent son prisonnier vaciller et s’effondrer sur lui-même.
Une étrange sensation le surprend alors, comme si de la sueur coulait sur le côté gauche de son visage. D’une main hésitante, il touche sa joue et constate avec effroi que le bout de ses doigts est couvert de sang.
Al-Kadir s’écroule au sol.
Une balle vient de lui traverser le crâne de part en part, entrée un peu au-dessus de la tempe et sortie sous la pommette droite ; la mâchoire a presque été arrachée de ce côté-là. Dans un dernier soubresaut, l’homme rend l’âme sur le bitume, le regard dilaté par la stupeur. L’affolement général renforce la confusion.
Brehel s’adresse à ses snipers via leur oreillette ; l’émetteur de la radio collé contre ses lèvres, il cherche désespérément une explication. Les agents en uniforme ont tous tiré leur arme de son étui et sondent l’espace.
Un chaos insoluble avale la rue.