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Lundi 29 mars 2010, 21 h 41, Paris 13e
À cette heure tardive, les couloirs de l’hôpital sont d’un calme pesant. L’éclairage des couloirs sur la peinture verdâtre des murs donne à l’endroit une ambiance de sanatorium. L’odeur de détergents et de produits médicaux flotte comme une haleine de mort et sature l’air.
Le service de chirurgie orthopédique et traumatologique, immense, s’étire sur de longs passages que la jeune infirmière traverse d’un pas décidé en direction de la chambre 468. Dans le silence qui règne, seul le bruit de ses sabots résonne.
En tournant à un angle, elle croise une grosse femme en blouse blanche, visiblement responsable de l’équipe de nuit. Cette dernière s’arrête et la regarde en haussant les sourcils. Elle jette un œil inquisiteur sur son badge indiquant « Marie Beaucourt – Infirmière ». Pas un mot n’est dit mais une question implicite est posée : Je ne vous connais pas, alors que faites-vous dans mon service ?
Avec son plus beau sourire, Shirel Menahem lui répond d’une voix douce :
« Une de mes amies est ici… Accident de la route. Alors je profite de la fin de mon service pour venir lui rendre une petite visite. Si vous le permettez, bien entendu !
— Oui, c’est bon ! lui répond l’infirmière en hochant la tête. Vous pouvez y aller. Mais ne restez pas trop longtemps.
— Bien entendu… Merci beaucoup !
La grosse retourne à ses occupations et l’agent du Mossad poursuit son chemin.
La meilleure façon de ne pas se faire remarquer est de rester naturelle. Pourtant, cette prolongation de sa mission, totalement imprévue, est risquée. Le gouvernement français a eu du mal à accepter la mort d’Umar Al-Kadir, et la DCRI est sur les dents. Ils veulent un coupable.
Si Sameya Shatrit était ressortie de la maison du Raincy sur ses deux jambes, ou les pieds devant, la situation serait déjà réglée. Malheureusement, ses blessures et son transport en ambulance ont considérablement compliqué les choses, ce qui oblige l’agent à intervenir une nouvelle fois, avec les problèmes que cela implique.
Multiplication des risques.
Shirel sait que deux policiers, au minimum, seront postés devant la porte de la chambre qu’occupe l’Iranienne, mais ce détail est le cadet de ses soucis. Le principal problème restera son exfiltration vers Tel-Aviv. En effet, si des images d’elle sont capturées ici, elles seront diffusées dans les aéroports, les gares, les postes de police de tout le pays, ainsi qu’aux frontières et dans les médias. Il lui sera beaucoup plus difficile de rentrer en Israël. Or, dans cet hôpital, des caméras sont installées devant tous les accès, et quelques autres réparties de façon plus ou moins logique à l’intérieur des bâtiments. Dans sa poche, son téléphone portable est en mode « brouillage électromagnétique » : il envoie des ondes parasites à toute caméra qu’elle croise pendant quelques secondes, le temps de son passage.
Pour venir ici, Shirel n’a même pas pris la peine de transformer son apparence : une blouse et des sabots ont suffi. Elle les a achetés dans un magasin de vêtements professionnels. Le badge a été déniché par un agent de la Division de recherche et d’étude en poste à Paris depuis plus de dix ans.
Sans doute un faux, devine-t-elle.
À l’extrémité du couloir, un panneau indique d’une flèche orientée vers la droite la direction à prendre – chambres 455 à 470. Shirel sort de sa poche un petit miroir fixé au bout d’une tige en acier et se colle à l’angle du mur. En plaçant habilement l’outil, elle visualise l’entrée de la chambre en question, tout au fond, en face. En retrait.
Évidemment, il vaut mieux éviter d’exhiber une surveillance policière sur un axe passant, pense-t-elle.
Deux policiers en uniforme sont assis sur des chaises de chaque côté de la porte. Le premier lit un magazine, l’autre somnole, les bras croisés sur son ventre rond. Cette vision rassure la jeune Israélienne qui craignait d’avoir affaire à des hommes plus entraînés, dans le genre d’un groupe d’intervention de la DCRI.
Chez nous, ils auraient placé des militaires équipés de fusils d’assaut. Les Européens sont un peu négligents.
Rapidement, elle évalue la distance qui la sépare de la porte derrière laquelle se trouve sa cible. Une quarantaine de mètres. Impossible d’avancer jusque-là sans éveiller les soupçons des hommes en faction. Ils sont forcément au courant des horaires de soins et des repas, et savent qu’il n’y a aucune raison que le personnel soignant pénètre dans la chambre cette nuit.
Elle devra donc agir vite et bien.
Déjà, elle passe une paire de gants en latex et sort de son soutien-gorge un objet plat, en plastique souple, semblable à un palet de hockey sur glace. Elle le pose au sol, appuie dessus du bout du pied jusqu’à entendre un claquement, et place sur ses yeux des lunettes aux épais verres noirs.
Sans relâcher la pression de son sabot sur le palet, elle se met à compter à rebours dans sa tête.
Cinq… quatre… trois… deux… un…