24.

Hasari Pal resta un long moment à regarder le rickshaw comme si c'était Ganesh en personne qu'il avait devant lui, Ganesh le dieu à tête d'éléphant bienfaiteur des pauvres, celui qui apporte la chance et écarte les obstacles. Il voyait sa trompe à la place des brancards et ses grandes oreilles à la place des roues. Il s'approcha respectueusement et caressa les brancards avec la pierre de lune de sa bague. Puis il porta la main à son cœur et à son front.

« Cette carriole rangée contre le trottoir était un cadeau des dieux, dira-t-il, une charrue de ville pour faire fructifier ma sueur et donner à manger à mes enfants et à tous les miens qui attendaient au village. C'était pourtant une vieille guimbarde complètement déglinguée, et qui ne possédait même pas de permis de circuler. La peinture de la caisse partait en lambeaux, la banquette de moleskine trouée laissait passer la paille du rembourrage, plusieurs arceaux de la capote étaient brisés, et les bandages de caoutchouc autour des roues étaient si usés qu'on voyait le bois au travers. Sous le siège se trouvait un coffre destiné à recevoir les accessoires indispensables : une bouteille d'huile pour graisser le moyeu de temps en temps, une clef pour resserrer les boulons des roues, la lanterne pour l'éclairage de nuit et le tablier de toile que l'on accroche devant la capote pour transporter les femmes musulmanes qui veulent être à l'abri du regard des hommes, ou pour protéger les voyageurs pendant les averses de la mousson.

« Si je mentionne ces objets, c'est parce que mon ami Ram Chander me les avait montrés dans le coffre de son rickshaw le jour où nous avions accompagné le coolie blessé à l'hôpital. Mon coffre à moi était vide. Quelqu'un avait dû le piller quand le tireur précédent était mort dans la rue. Ram m'avait prévenu : à Calcutta, si on pouvait voler l'air qu'on respire, il y aurait des gens pour le faire !

« A l'arrière de la carrosserie une plaque de métal portait un numéro et des inscriptions. Je ne comprenais pas ce qu'elles signifiaient, mais je gravai le numéro dans ma tête comme un talisman, comme la formule magique qui devait m'ouvrir les portes d'un nouveau karma. Fou de bonheur, j'avais montré à mon ami et bienfaiteur Ram le 1 et les trois 9 qui figuraient sur la plaque. Qu'importait si ce numéro était faux. Il ne comportait que des chiffres propices de notre calendrier.

« Après l'avoir admiré un long moment, je m'installai entre les brancards du rickshaw, les soulevai avec précaution et plaçai mes mains à l'endroit usé qu'avaient lâché quelques heures plus tôt les doigts du pauvre type à qui le numéro 1999 n'avait pas porté chance. Je donnai un coup de reins en avant et j'entendis un grincement de roues. Ce grincement ressemblait au bruit rassurant de la meule écrasant les grains de riz de notre terre.

Comment, dès lors, ne pas croire à la bénédiction des dieux ? En outre, ce premier jour de ma nouvelle vie tombait un samedi, le meilleur de la semaine avec le lundi, m'avait dit Ram, car on pouvait gagner plus d'argent ces jours-là en raison de l'affluence. En plus, c'était le début du mois. A partir du quinzième jour, les gens sont, paraît-il, raides comme le trident de Shiva. Le brave Ram m'avait déjà révélé bien des secrets, et appris quelques ficelles du métier. "Il y a toutes sortes de gens, m'avait-il dit. Des gentils et des salauds. Il y en a qui t'obligeront à courir, d'autres qui te diront de prendre ton temps. Certains essaieront de te gratter plusieurs paisa sur le prix de la course. Mais si tu as la chance de charger un étranger, tu peux demander plus d'argent." Il m'avait mis en garde contre les goondas1 qui, à l'égal de certaines prostituées, ont la spécialité de vous fausser compagnie à l'arrivée sans vous payer. Et il m'avait averti : "Tu as intérêt à faire des provisions d'huile de moutarde pour masser tes abattis. Les premiers jours, tes cuisses, tes bras et ton dos te feront aussi mal que si tous les flics de Calcutta t'avaient cassé leur lathi dessus."

«Je me retrouvai seul. Seul avec ma curieuse charrette au milieu de cette ville inconnue et grouillante. C'était terrifiant. Comment arriverai-je à me retrouver dans le fouillis des rues ? A me faufiler entre les camions, les bus, les voitures qui m'arrivaient dessus dans un vacarme assourdissant comme les vagues d'un raz de marée ? J'étais affolé. J'ai suivi les conseils de Ram et j'ai tiré le rickshaw jusqu'à la station de Park Circus pour y attendre mon premier client. Park Circus était un carrefour très animé où se croisaient plusieurs lignes d'autobus et de tramways. On y trouvait beaucoup de petits ateliers, d'écoles, de collèges, ainsi qu'un grand marché fréquenté par les ménagères des quartiers aisés. Une longue file de rickshaws stationnait en permanence à ce carrefour privilégié. Je ne peux pas dire que les tireurs qui patientaient là, assis sur leurs brancards, m'accueillirent avec des cris de joie. Il y avait si peu de miettes à ramasser dans cette maudite ville que l'arrivée d'un nouveau concurrent ne déclenchait pas forcément l'euphorie. C'étaient tous des Biharis. La plupart étaient très jeunes. Mais les plus âgés avaient l'air vraiment usés. On pouvait compter leurs côtes sous le coton élimé de leur maillot de corps.

« La file diminua rapidement. Bientôt mon tour allait venir. A mesure qu'il approchait, je sentais mon cœur taper de grands coups dans ma poitrine. Parviendrai-je à tirer cette guimbarde ? L'idée de me plonger dans le flot furieux de la circulation me paralysait à l'avance les bras et les jambes. Afin de me donner des forces, j'allai acheter, pour vingt-cinq paisa, un verre de jus de canne à sucre au Bihari qui faisait passer et repasser sans fin des bouts de tige sous sa roue dentée. C'était un bon commerce car on faisait la queue devant sa meule : un verre de jus de canne était souvent tout ce qu'un gars d'ici réussissait à se mettre dans le ventre pendant toute une journée. Les plus pauvres devaient parfois se contenter d'acheter un morceau de canne qu'ils mâchonnaient pour tromper leur faim.

Cela ne coûtait que dix paisa. Mais boire tout un verre, c'était comme si vous vous mettiez une citerne d'essence dans le moteur. J'ai senti une vague de chaleur me descendre du ventre vers les cuisses. Ma guimbarde, je l'aurais traînée jusqu'au sommet de l'Himalaya.

« Le souvenir des jours heureux où je suivais dans la rizière la lente progression des buffles me traversa l'esprit. Puis, comme dans un rêve, j'entendis une voix : "Rickshaw-walla f Je vis une jeune fille avec deux nattes qui lui descendaient jusqu'en bas des reins. Elle portait la blouse blanche et la jupe bleu marine des écolières du collège d'à côté. Elle grimpa dans mon rickshaw et me pria de la ramener chez elle. Voyant que je n'avais pas la moindre idée de l'endroit où se trouvait sa rue, elle me guida. Jamais je n'oublierai l'instant de panique quand je me suis trouvé tout à coup au milieu du torrent. C'était fou. J'étais comme un homme qui s'était jeté à l'eau pour échapper à des bêtes fauves et qui se retrouvait cerné par une horde de crocodiles. Les chauffeurs des bus et des camions menaient la danse. Ils prenaient un malin plaisir à terroriser les rickshaws en les frôlant dans le rugissement de leurs klaxons et de leurs moteurs. Les plus enragés étaient les conducteurs des minibus. Et aussi les chauffeurs à turban des taxis. J'avais tellement peur que j'avançais au pas, l'œil sans cesse aux aguets à gauche et à droite. Je mettais toute mon attention à rechercher le bon équilibre du véhicule, à trouver l'endroit précis où placer mes mains pour mieux répartir la charge. Plus facile à dire qu'à réussir, sur des chaussées défoncées, au milieu des tranchées, des trous, des ornières, des bouches d'égouts ouvertes, des rails de tramway. Un vrai travail d'acrobate ! Heureusement, la trompe de Ganesh veillait sur moi et mon rickshaw pour mes débuts, elle me sortit des difficultés et me conduisit à bon port.

"Combien vous dois-je ?" questionna la jeune fille en descendant de ma carriole. Je n'en avais aucune idée. "Donnez-moi ce que vous voulez." Elle chercha dans son porte-monnaie.

"Voici trois roupies. C'est plus que le prix normal, mais j'espère que cela vous portera chance."

« Je pris les billets et les mis contre mon cœur en la remerciant avec effusion. J'étais très ému. Je gardai ma main ainsi un long moment comme pour m'imprégner de ce premier argent gagné dans la peau d'un tireur de rickshaw à Calcutta. De sentir ces billets entre mes doigts m'apporta une bouffée d'espoir, la certitude qu'en travaillant dur, je pourrai accomplir ce que les miens attendaient de moi, et être leur cormoran, celui qui distribue la becquée à tous les oisillons affamés dans la hutte au village.

« En attendant, l'argent de cette première course, c'était à ma femme et à mes enfants que je voulais l'offrir. Je me précipitai chez le marchand de friture le plus proche, et c'est avec un paquet de beignets pour seuls passagers que je m'élançai au petit trot vers le trottoir où nous campions. Mon arrivée provoqua un attroupement instantané. La nouvelle qu'un ancien paysan échoué sur le trottoir était devenu un rickshaw-walla s'était répandue d'un bout à l'autre de la rue tel le bruit d'un pétard de Diwali. Bien que ma guimbarde fût le véhicule le plus commun de Calcutta, des gosses en escaladèrent les roues pour s'asseoir sur la banquette, des hommes soupesèrent le poids des brancards, des femmes me regardèrent avec admiration et envie. Arjuna partant sur son char à la guerre du Mâha-bhârata n'aurait pas eu plus de succès. Pour tous ces pauvres gens qui, comme nous, avaient fui leur rizière, j'étais la preuve vivante qu'il y avait toujours une raison d'espérer.

« Cet accueil m'aiguillonna plus qu'une pleine assiettée de piments verts. Je repartis aussitôt. J'avais seulement fait quelques mètres quand deux énormes matrones me hélèrent pour les conduire au cinéma Hind sur Ganesh Avenue. Elles devaient bien peser deux cents kilos à elles deux et j'ai cru que ma guimbarde allait rendre l'âme avant le premier tour de roue. Les moyeux gémirent des grincements déchirants et les brancards tremblaient autant dans mes mains que des roseaux un jour de tempête. J'avais beau m'arc-bouter dans toutes les positions, je ne parvenais pas à trouver un équilibre correct.

J'étais comme un buffle à qui l'on vient d'atteler une maison. Les deux passagères durent sentir mon incompétence car l'une d'elles m'ordonna de stopper. Sitôt descendues, elles arrêtèrent un autre rickshaw. Je ne sais pas quels piments avait mangés ce tireur-là, mais je le vis s'éloigner au petit trot sans plus de mal que s'il emportait au Gange deux statuettes de Dourga.

« Après cette cuisante humiliation, j'éprouvai le besoin urgent de me racheter. J'étais prêt à charger n'importe qui, même gratuitement, pourvu que je puisse montrer de quoi j'étais capable, moi aussi. L'occasion me fut donnée au coin de Park Street, une large rue du centre bordée d'arcades. Un jeune homme et une jeune fille, qui sortaient d'une pâtisserie avec un cornet de glace à la main, me firent signe de les prendre. Le garçon me pria de relever la capote et de fixer le tablier de toile dont on se sert pendant la mousson, ou pour dissimuler les musulmanes aux regards indiscrets. Or je n'avais pas cet accessoire ! Ne voulant pas perdre cette course, j'ai proposé de tendre à la place mon longhi de rechange et le jeune homme fit monter la jeune fille en me disant de faire le tour du pâté de maisons.

J'étais intrigué mais, sans demander mon reste, je fixai l'étoffe à la capote et nous voilà partis pour une promenade sans destination précise. A peine avais-je tourné le coin de la rue que d'étranges soubresauts me firent presque perdre l'équilibre. Me cramponnant aux brancards pour maintenir le cap, je compris bientôt l'origine des secousses. Ma guimbarde servait de lit d'amour.

« Calcutta, tu n'es plus une ville maudite. Laisse-moi te bénir au contraire de m'avoir donné, à moi pauvre paysan exilé du Bengale, la chance de gagner dix-sept roupies ce premier jour. Et laisse-moi te bénir aussi, cher Ganesh, pour avoir détourné embûches et dangers de mon attelage et m'avoir permis d'accomplir sept courses sans problèmes ni accidents. Je décidai de consacrer une partie de cet argent à l'achat de l'accessoire qui est l'emblème des tireurs de rickshaw. Nous, les paysans, nous possédons aussi nos outils nobles : les socs des charrues et les faucilles à moissonner le riz que l'on fête à la grande puja du dieu Vishwa-karma1. Celui des tireurs de rickshaw, c'est le grelot qu'ils tiennent en glissant l'index droit dans sa lanière et dont ils se servent comme d'un avertisseur ou pour attirer les clients en le tapotant contre le brancard. Il y en a de toutes les tailles, des grelots, et à tous les prix. Depuis les plus ordinaires en ferraille grise jusqu'à de superbes en cuivre qui brillent autant que la planète Brihaspati. Certains donnent des sons rappelant ceux des grues couronnées péchant au ras des étangs. D'autres font plutôt penser au cri d'un alcyon poursuivant une libellule. Ce fut à un tireur de Park Circus que j'achetai mon premier grelot, pour deux roupies. Il avait une fine lanière de cuir que je fixai à l'index devant ma bague à la pierre de lune. Avec de tels bijoux au doigt, comment ne pas sentir monter en soi de bonnes énergies, comment ne pas croire à la générosité de son karma ?

« Je n'allais pas tarder à déchanter. Le lendemain matin au réveil, mes bras, mes jambes, mon dos et ma nuque étaient si douloureux que j'eus toutes les peines du monde à me mettre debout. Mon ami Ram Chander m'avait prévenu. On ne devient pas homme-cheval du jour au lendemain, même quand on est de la bonne race des paysans. L'effort prolongé de traction, les secousses brutales, les épuisantes acrobaties pour garder l'équilibre, le raidissement violent, parfois désespéré, de tout le corps pour s'arrêter en catastrophe, ce sont de rudes chocs quand on n'a pas mangé grand-chose depuis des mois et que la carcasse est déjà passablement usée.

«J'eus beau suivre les conseils de Ram et me masser à l'huile de moutarde de la tête aux pieds à la manière des lutteurs du pont de Howrah avant un pugilat, je fus incapable de reprendre les brancards de mon rickshaw. J'en aurais pleuré. Je le confiai à la garde de ma femme et me traînai jusqu'à la station de Park Circus. Je tenais coûte que coûte à remettre les cinq roupies de la location de la journée au représentant du propriétaire. Je me serais privé de nourriture, j'aurais porté ma pierre de lune chez le mohajan pour les payer, ces cinq roupies. C'était une question de vie ou de mort : des milliers d'autres paysans affamés attendaient de le prendre, mon rickshaw.

« A Park Circus, je retrouvai Ram. Il venait de récupérer sa carriole après son accrochage de l'autre soir avec les flics. Il trouva très drôle de me voir marcher plié en deux comme un vieillard.

—Tu n'as encore rien vu ! me lança-t-il goguenard. Avant trois mois, toi aussi tu cracheras tout rouge.

J'appris ainsi que mon ami qui avait l'air si costaud et toujours si sûr de lui avait la maladie des poumons.

—Est-ce que tu prends des médicaments pour ça ?

Il m'a regardé avec surprise.

—Tu plaisantes ? Tu as déjà vu les files d'attente au dispensaire ? Tu y vas le matin à l'aube et le soir tu y es encore. Mieux vaut s'offrir un bon petit pân de temps en temps. —- Un pân ?

— Bien sûr, pour camoufler l'ennemi. Quand tu craches, tu ne sais pas si c'est du sang ou du bétel. Alors, tu t'inquiètes moins.

« Sur ce, Ram suggéra que nous rendions visite à notre ami coolie à l'hôpital. Cela faisait deux jours que nous n'étions pas allés le voir. Tant de choses s'étaient passées pendant ces deux jours ! Prenant pitié de mon état, Ram m'offrit de me transporter dans son rickshaw.

C'était plutôt comique. Les autres tireurs de la station s'amusèrent énormément de nous voir partir ainsi tous les deux. Ils n'avaient pas tellement d'occasions de se distraire.

« Quelle curieuse sensation de se retrouver à la place des passagers ! C'était encore plus terrifiant que d'être à pied entre les brancards. Tous ces autobus et ces camions dont les tôles vous éraflaient presque la figure. J'étais aux premières loges pour tout voir, comme ce taxi qui nous fonçait dessus tel un éléphant en furie, ce qui obligea Ram à une pirouette de dernière seconde. Ou ce telagarhi si lourdement chargé qui déboucha sur la droite et que rien, pas même un mur, n'aurait pu arrêter. J'admirais avec quelle virtuosité Ram déplaçait ses mains sur les brancards pour que seules les roues supportent le poids de la charge. Avec son grelot, on aurait dit une danseuse de Katakali.

« Le trajet jusqu'à l'hôpital fut très long. Les rues étaient encombrées de cortèges avec des banderoles rouges qui bloquaient complètement la circulation. Ces défilés semblaient faire partie du décor de Calcutta. J'en avais déjà vu plusieurs. Ici, les travailleurs étaient organisés et ils avaient l'habitude de revendiquer pour un oui ou pour un non. Cela n'existait pas dans les villages. Dans nos campagnes, à qui vouliez-vous que nous allions réclamer quoi que ce soit ? On ne proteste pas contre le ciel parce qu'il n'a pas encore envoyé la mousson. Ici il y avait un gouvernement à qui exprimer son mécontentement.

Cela dit, ces manifestations dans la rue rendaient la vie difficile aux rickshaws.

« Nous nous arrêtâmes dans un bazar pour acheter des fruits. Cette fois, c'est moi qui payai avec l'argent qui me restait de la veille. J'achetai aussi un ananas que je fis peler et couper en tranches par le marchand. Nous pourrions le manger avec le coolie.

«L'hôpital débordait toujours de monde. Nous allâmes directement dans le bâtiment où nous avions vu notre copain la dernière fois. Auparavant, Ram avait enchaîné une roue de son rickshaw à un réverbère et pris avec lui les objets qui se trouvaient dans le coffre.

C'était le même infirmier qui gardait la salle des opérés et nous pûmes entrer sans difficultés après lui avoir glissé deux roupies dans la poche. 11 y avait toujours cette odeur épouvantable qui vous saisissait à la gorge. Nous nous faufilâmes entre les rangées de lits jusqu'à celui de notre camarade tout à fait au fond, près de la fenêtre, à côté de l'enfant brûlé à qui j'avais fait manger une mandarine. J'avais du mal à marcher à cause des courbatures et Ram était loin devant moi quand il me cria : "Il n'est plus là !"

« Le lit de notre ami était occupé par un vieux musulman à barbiche, le torse bardé de pansements. Il ne put nous renseigner. L'infirmier non plus. Il faut dire que nous ne connaissions même pas le nom du coolie blessé. Peut-être avait-il été transporté ailleurs ?

Ou peut-être l'avait-on simplement renvoyé pour faire de la place à un autre ? Nous explorâmes plusieurs salles. Nous parvînmes même à pénétrer dans la pièce voisine de l'endroit où on faisait les opérations. Notre copain était introuvable. Comme nous sortions du bâtiment, nous avons vu deux infirmiers qui portaient un corps sur un brancard. Nous avons reconnu notre ami. Il avait les yeux ouverts. Ses joues étaient creusées et grises de barbe. Ses lèvres n'étaient pas fermées. On aurait dit qu'il allait nous dire quelque chose.

Mais rien ne bougea. C'était fini pour lui. Je me suis demandé s'il y aurait encore des chars à bras dans sa prochaine incarnation. Ou s'il serait un sardarji au volant d'un taxi.

« Ram a interrogé les infirmiers pour savoir où ils emportaient notre copain. "C'est un indigent, a répondu le plus âgé. On va le jeter dans le fleuve."

La cité de la joie
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