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Le soir ne tombe jamais vraiment sur Vénus. La guerre ici est baignée d’un halo meurtrier orange. La nuit n’est plus qu’un souvenir nostalgique et tout ce qui nous entoure semble sorti directement de l’enfer.
Lorna Subiyama
Impressions de Vénus
Regardant au-dehors par l’une des vitres armées de son casernement sur Vénus, Prosik méditait sur l’adversité qui l’avait conduit ici. Le paysage rougeoyait d’un éclat féroce et il frissonnait à la pensée de tout ce qu’il venait d’apprendre sur cette planète. La douleur et les effets trop rapides des températures infernales qui régnaient ici pouvaient très bien l’empêcher de trouver une issue idmagée si jamais son scaphandre incéram venait à tomber en panne.
Le cantonnement qu’il partageait avec neuf autres membres de la Patrouille de Zone présentait un aspect presque inutilisé après le petit déjeuner qu’ils venaient de prendre à l’intérieur. Dix petites armoires personnelles, dix lits, des râteliers avec des scaphandres de rechange, le tout en incéram gris. Les autres étaient déjà partis prendre leurs postes. Aucun d’entre eux n’avait connu le Terrien dont Prosik avait pris la place, un sergent nommé Lew Doughty. Tous lui disaient qu’ils étaient ici par mesure disciplinaire et sympathisaient avec lui quand il leur racontait l’explosion du vaisseau drène, pour laquelle ses supérieurs lui avaient adressé un blâme.
— J’ai eu à garder des Drènes, un jour, leur dit l’un d’eux. Y a de quoi dégueuler. On a envie de les flinguer tous.
Leurs fonctions sur Vénus se limitaient au consulat des États-Unis et le sergent Doughty devait prendre son tour de garde dans deux heures. Pour tuer le temps en attendant, il était en train de lire une brochure intitulée : « Comment rester en vie sur Vénus. » Ce qu’elle disait n’était pas très rassurant.
Sa meilleure protection, dans son déguisement de la Patrouille de Zone, consistait à se faire passer pour un idiot plein de rancune envers ses supérieurs. La chose, à vrai dire, ne lui était guère difficile. Il puisait également dans toutes les histoires drènes sur la Terre dont il avait gardé le souvenir, mais il savait que les autres l’avaient déjà catalogué comme un benêt. Il avait surpris, une fois, une remarque murmurée par un garde à l’un de ses compagnons :
— Celui-là, je ne lui donne pas dix jours.
Feuilletant le manuel de survie, il se sentait de plus en plus consterné par ce qu’il lisait.
Restez toujours sur vos gardes et n’allez jamais seul en ville.
Vous pourriez vous faire assassiner uniquement pour votre scaphandre et vos organes.
Gorontium est sur le territoire de la Légion. Ne vous laissez jamais entraîner dans une discussion ou une bagarre avec un légionnaire. Vous n’auriez aucune chance de gagner.
Restez à l’écart du bordel de la Légion ! Même si vous parveniez à vous y introduire, vous ne pourriez plus jamais en ressortir vivant.
Ne mangez et buvez que ce que la Patrouille de Zone vous distribue. Différentes drogues et substances dangereuses ont été découvertes dans des bars et restaurants locaux.
Évitez de poser des questions trop personnelles à vos nouvelles connaissances. Vous seriez pris pour un espion et vous risqueriez d’y laisser la vie.
Souvenez-vous en toute circonstance de la règle des quatre C : Calme, Courtoisie, Courage et Circonspection. Méfiez-vous de tout et de tout le monde, à l’exception de vos copains de la Patrouille de Zone.
Vérifiez soigneusement votre scaphandre après chaque révision et avant chaque utilisation quotidienne. Procédez toujours à un contrôle de routine dans le sas de sortie. Il est impossible de survivre à la surface sans un scaphandre en parfait état de marche.
Que Habiba me protège ! songea Prosik.
Il trouvait tout à coup que l’invocation familière ne lui était pas d’un très grand secours. Avait-elle empêché les choses de dégénérer ainsi ? Certainement pas ! Lui avait-elle jamais apporté quoi que ce fût qu’il eût vraiment désiré ? Pas une seule fois !
Prosik aurait donné beaucoup pour une branche de bazel et un peu de temps pour en savourer les effets.
Le bazel, mon unique ami.
— Sergent Doughty !
C’était le haut-parleur au-dessus du sas de sortie, à l’autre bout du baraquement.
— Yo !
Il avait entendu les autres répondre de cette manière.
— Votre tour de garde a été avancé. On vous attend au consulat dans vingt minutes.
— Mais je n’ai pas eu le temps de vérifier mon scaphandre ni de…
— Vous remplacez un blessé. Exécution !
Prosik laissa tomber « Comment rester en vie sur Vénus » au pied de son lit et commença à enfiler son scaphandre. C’était au moins une chose qu’il savait faire, pour s’y être entraîné avec les autres durant le voyage qui l’avait conduit dans cet enfer.
Comment vais-je faire pour trouver le temps, avec tout ça, de courir après ce Terrien, Hanson, et cet affreux Ryll, qui est la cause de ma situation présente ? Comment Mugly croit-il que je puisse accomplir tout ça ? J’aimerais qu’il se mette un peu à ma place. Maudits soient-ils tous !