26
Y a-t-il une poussière locale sur Venus, ou est-ce uniquement la substance du dessein de Dieu ?
Thème d’un sermon prononcé devant
l’archidiocèse vénusien de l’Église épiscopale
Roweena Humperman, dans son scaphandre refaçonné aux coutures extérieures visibles aux hanches et à la taille, les accueillit à l’intérieur du sas thermique du Poste de Commandement Souterrain. Son casque était rejeté en arrière et elle arborait un sourire un peu figé.
— Le colonel Paul est un peu embêté à cause de toi, Lutt. Qui t’accompagne ?
Tout en rejetant son casque en arrière, inhalant une bouffée d’air exempte de l’odeur de recyclage des scaphandres, Lutt lui présenta Lorna Subiyama.
— On peut dire que j’suis vernie, moi alors, fit Subiyama.
— C’est ce qu’il reste à voir. Il est question de ne pas nous laisser sortir d’ici. Venez. Je vais vous conduire à Paul.
Elle prit des mains de Paul l’une des mallettes contenant les caméras et passa devant eux. Ils franchirent un nouveau sas thermique après avoir montré leurs sauf-conduits à des gardes de la Légion.
Puis ils empruntèrent un nouveau couloir aux parois bordées d’une roche luisante au sombre éclat grenat. Le sol était revêtu de larges dalles du même matériau, unies par un épais joint blanc. Des bancs de la même pierre rouge étaient disposés de place en place le long des murs, à côté de grands vases de pierre vermeille abritant des plantes tropicales au feuillage charnu. Murs et plafonds étaient lisses comme des miroirs et reflétaient sombrement tout ce qui se trouvait devant eux.
Ce genre de décor n’est pas dû au hasard, pensa Lutt.
Que voulez-vous dire ? voulut savoir Ryll.
Ces reflets sombres. Ils ont quelque chose de spectral. Ce lieu est conçu de manière à évoquer l’autre monde, avec les âmes des défunts héros de la Légion rôdant un peu partout.
Je trouve cet endroit morbide.
À mesure qu’ils s’enfonçaient dans les profondeurs du P.C., l’écho des voix et des pas devenait plus troublant. Ceux qui étaient éloignés se mêlaient bizarrement à ceux qui étaient tout proches.
Pas bête comme conception, se disait Lutt, forcé de se lancer dans une explication sur les rapports entre l’architecture et la psychologie tels qu’il les avait découverts lui-même lorsqu’il avait totalement réaménagé l’immeuble de l’Enquirer.
Abruptement, les pas de quelqu’un qui courait résonnèrent derrière eux. Un caporal de la Légion en scaphandre de sécurité les dépassa, s’arrêta, se tourna vers eux et leva la main pour leur faire signe de s’arrêter.
— Vous êtes les journalistes ? dit-il. Oui, ça se voit. Le général vous fait savoir qu’il y a des engagements à la surface en ce moment même. Vous aurez toutes les émotions que vous pouvez souhaiter. Par ici, s’il vous plaît.
Humperman fut la première à reverrouiller son casque, mais non sans avoir lancé un regard interrogateur à Lutt, les prunelles brûlantes, les narines vibrantes.
Elle pense qu’on nous envoie là-haut pour nous faire tuer, interpréta Ryll.
Ce n’était plus le moment d’élever des protestations. Le caporal les guida le long d’un étroit passage au bout duquel se trouvait un ascenseur. Il attendit sur le seuil à l’extérieur, un doigt sur le bouton qui commandait la fermeture de la porte.
— Vous sortirez au niveau 1 C, leur dit-il. Vous trouverez une rampe inclinée au sommet de laquelle vous franchirez une double porte. Montrez vos sauf-conduits à la sentinelle et suivez ses indications pour arriver à la surface.
— La surface ! s’exclama Humperman d’une voix angoissée.
— Youpie ! cria Subiyama. On était tous partis pour voir les huiles, et voilà qu’on va se retrouver en pleine guerre !
— Où est le colonel Paul ? demanda Lutt.
Le caporal lui répondit en appuyant sur le bouton pour fermer la porte :
— Il a une guerre à mener, monsieur. Nous subissons en ce moment une attaque de grande envergure. Restez à l’abri des déflecteurs, là-haut, si vous pouvez. Ça barde !
Lutt, sous le coup d’une soudaine montée d’adrénaline, s’efforça de réduire au silence par la logique les objections de Ryll.
Si vous voulez que nous ayons des chances de survivre, fortifiez-moi par tous les moyens.
Si vous êtes gravement blessé, j’idmagerai un corps drène ou un quelconque déguisement, menaça Ryll, sachant très bien qu’il en serait probablement incapable.
Faites comme vous voudrez, mon petit Ryll, mais laissez-moi tranquille, à présent. J’ai à faire.
Après avoir demandé à Humperman de bien regarder comment il procédait, Lutt entreprit de déballer la caméra qu’il portait. Elle fit de même avec la sienne.
— Elles ont une drôle d’allure, vos caméras, commenta Lorna Subiyama.
Flairant en elle une cliente éventuelle, Lutt lui donna une brève explication.
Son accent texan renforcé par l’enthousiasme, elle s’écria :
— Instantané ? Tu veux dire comme ça, à la seconde ?
De nouvelles explications furent épargnées à Lutt lorsque l’ascenseur s’arrêta et que la porte s’ouvrit. Ils se trouvèrent, en sortant, au pied de la rampe inclinée décrite par le caporal, mais elle était encombrée de troupes robots encadrées par des légionnaires humains.
Personne ne demanda à voir leurs sauf-conduits. Les troupes grimpèrent jusqu’en haut de la rampe et sortirent. Lutt les suivit avec sa caméra en marche.
Au moment où les caméras Vor commençaient à bourdonner, Ryll ressentit une forte commotion mentale. C’était la connexion primale qui reliait tout Drène aux Spirales de Création, et qui constituait un lien avec tous ceux de son peuple qui avaient jamais existé ou qui existeraient jamais. Cette sensation intensifiait le malaise qu’il éprouvait déjà et aggravait la conscience qu’il avait de sa propre fragilité. Si les choses tournaient mal aujourd’hui, ce lien avec le monde drène risquait d’être rompu à tout jamais.
Je vous en conjure, Lutt, soyez prudent, supplia-t-il.
Lutt ignora cet appel. Il était trop occupé à suivre les événements. Sur sa gauche, Humperman, caméra à l’épaule comme il le lui avait appris, s’ingéniait à traduire sa propre version des choses en images qu’elle accompagnait d’un commentaire discursif. Subiyama marchait à côté d’elle tout en parlant dans son bloc-notes électronique. Lutt n’entendit qu’une partie de ce qu’elle disait.
— … et à ma droite Lutt Hanson Junior, héritier de l’immense empire Hanson, prouvant à tout l’univers qu’il est avant tout un journaliste qui fait son travail.
C’est de la bonne copie, se dit Lutt. J’espère qu’elle arrivera à destination.
Il vit s’allumer la lumière verte, dans un coin du viseur, qui indiquait qu’il transmettait et qu’il était bien reçu. Puis ils se retrouvèrent à découvert sur un plateau, à quelque distance d’un mur de fortification en incéram à moitié démoli. Des légionnaires blessés ou agonisants jonchaient le terrain parmi des centaines de robots démantelés. De nouvelles troupes arrivèrent, qui enjambèrent les anciennes. Accroupi, Lutt filmait tout ce qu’il pouvait. Il vit Humperman faire un bond vers la gauche et se mettre soudain à courir pour braquer sa caméra par-dessus le mur de fortification écroulé. Subiyama, prudemment tapie à côté de lui, continuait à déverser des flots de paroles dans son enregistreur primitif.
— … de lourdes pertes à peu de distance du P.C. de la Légion, mais il semble que les vaillants défenseurs de cette position aient réussi à organiser une contre-attaque.
Lutt entendit à ce moment-là les explosions sourdes causées par les rayons déflecteurs, mais le réseau de défense était entièrement invisible, à l’exception des gerbes de lumière mauve qui éclataient de temps à autre au-dessus de leurs têtes.
Subiyama, intéressée par le même phénomène, disait :
— Il semble que les si fameux rayons déflecteurs français aient été enfoncés à un moment, mais fonctionnent à nouveau. J’aperçois les impacts des lasers ennemis au-dessus et autour de moi. Ils ressemblent à des fleurs mauves.
Lutt braqua sa caméra vers un autre secteur où il venait de déceler un mouvement. Une équipe de robomédics à six jambes était en train d’émerger du P.C. Ils se répandirent sur le champ de bataille pour secourir les blessés et les mourants. Certains furent emportés sur des civières en incéram.
Lutt filma la scène en ajoutant quelques commentaires.
— L’attaque chinoise contre ce poste fortifié français semble avoir infligé de lourdes pertes aux défenseurs. Mais, comme vous pouvez le voir, l’artillerie de la Légion, massée sur le plateau qui se trouve un peu plus loin, a commencé à riposter énergiquement. On peut penser que les Chinois ont également de lourdes pertes à déplorer.
Tout en parlant, il avait tourné la caméra, cadrant les nuages noir et argent crachés par l’artillerie. Le sol tremblait sous les explosions, et le système de sonorisation de son scaphandre avait automatiquement ajusté les réglages pour épargner ses tympans.
De l’endroit où elle était tapie derrière le mur démoli, Humperman lui cria :
— Attaque aérienne à neuf heures !
Lutt la vit se tourner pour mieux braquer sa caméra. Il l’imita. Il apercevait, à mi-distance de l’horizon, un essaim noir d’engins qui arrivaient sur eux. Des gerbes mauves éclatèrent bientôt au milieu de l’essaim. L’artillerie de la Légion avait ajusté son tir.
— Fichons le camp d’ici ! hurla Subiyama. Nous sommes en plein milieu de leur objectif !
Elle le précéda, courbée, à une allure qui étonna Lutt. Il tenait, tout en courant derrière elle, sa caméra plus ou moins braquée vers la scène des combats. En même temps, il expliquait ce qu’il se passait.
Après avoir franchi le mur démoli, il courut sur une sorte de gravier vénusien brun foncé, qui crissait sous ses pieds. Puis il arriva dans une zone de sable rouge, beaucoup plus meuble et glissant que sur les plages de la Terre, qui ralentissait son avance de manière inquiétante.
Il se souvint de la brochure qu’il avait lue avant d’arriver :
« Le "pied brûlant de Vénus" n’est pas une plaisanterie. Surtout, ne vous arrêtez jamais. »
Ryll, qui s’était jusqu’ici contenté d’observer en silence, ne put s’empêcher de commenter :
Vous n’êtes même pas capable de ressentir le tragique de la situation ! Vous voyez tout à travers vos yeux froids de journaliste insensible !
C’est comme ça et on n’y peut rien, mon petit Ryll. Mais cessez de me distraire, si vous ne voulez pas qu’on se fasse tuer. Vous vouliez voir une guerre, regardez là.
Je n’en ai plus envie. Rentrons nous mettre à l’abri.
Alors qu’il y a un reportage sensationnel à faire ? Vous êtes dingue ! Taisez-vous, maintenant !
Subiyama en tête, Humperman derrière lui, ils dépassèrent une zone de rassemblement des blessés. La plupart étaient enveloppés dans des cocons opaques en incéram, mais certains cocons avaient une petite fenêtre transparente qui laissait voir à l’intérieur des hommes aux bandages ensanglantés.
Lutt s’arrêta pour faire quelques gros plans à travers les fenêtres. Aucun légionnaire soignant ne parut s’émouvoir de cette activité. Ils devaient avoir l’habitude des journalistes. Ils lui montraient même du doigt les endroits où les attaquants étaient en train de se faire refouler.
Humperman arriva à ses côtés, essoufflée, en criant :
— Tu es sûr que tout ça parvient bien sur la Terre ?
— Tant que tu vois la lumière verte dans ton viseur.
— Est-ce qu’ils peuvent nous parler à travers ce truc ?
— Quand nous serons sur le mode émission-réception. Je te montrerai.
Ryll, observant l’approche d’une formation de combat aérienne et sentant que les Spirales auxquelles ces caméras Vor étaient reliées représentaient peut-être son dernier contact avec l’univers drène, était en proie à une terreur grandissante qui commençait à filtrer dans l’esprit conscient de Lutt.
Je vous en supplie, Lutt, gémit-il enfin. Descendons nous mettre à l’abri !
Vous m’avez dit que votre existence vous ennuyait. Je vous rends service en prenant tous ces risques.
Mais j’ai changé d’avis !
Trop tard, mon petit Ryll.
Quand il fut évident que rien ne le ferait changer d’attitude, Ryll se plongea dans l’analyse drène des motivations du Terrien. Il s’aperçut, à sa grande surprise, que Lutt avait su, en quelques rares occasions, faire preuve de compassion envers autrui. Mais envers lui, Ryll, il n’avait jamais ressenti la moindre émotion de ce genre. Pour Lutt, Ryll n’était qu’un facteur d’irritation étranger, aussi peu digne de considération qu’une brute animale.
Pendant tout ce temps, Lutt se concentrait surtout sur le viseur de sa caméra. Ce n’était qu’un observateur détaché du carnage et de la misère, qui n’avait pas même une pensée pour les dangers qu’il courait personnellement.
Ryll trouvait que c’était là une forme tout à fait curieuse de concentration. Par la manière dont elle excluait totalement toute distraction extérieure, elle était même plus intense que l’idmagie drène.
Brusquement, une douleur brûlante le percuta à la base du dos et se répandit comme un éclair jusqu’à sa nuque, ravageant au passage ses chairs et ses organes vitaux. Ryll, qui partageait ses sensations, comprit qu’un éclat avait percé leur scaphandre.
Quelque part, une voix de femme cria :
— Hanson a été touché !
Lutt sentit la secousse et la vibration du dispositif de réparation automatique du scaphandre, qui projetait à l’endroit endommagé une émulsion incéram et une mousse médicinale refroidissante.
Engourdi, perdant graduellement conscience, il s’écroula. Des taches jaunes et orangées dansaient devant ses yeux. Il vit la caméra Vor tomber avec lui en une courbe lente, sans cesser de transmettre. Il eut la brève vision de ces dernières images rediffusées par tous les médias du système solaire, accompagnées de commentaires dans toutes les langues. Puis un sifflement assourdissant lui envahit les oreilles et il sentit que les ténèbres commençaient à se refermer sur lui.
Vous allez mourir, maintenant, Terrien, lui dit Ryll. Pourquoi ne m’avez-vous pas écouté ?
— Ce n’est pas vrai ! hurla Lutt.
Vous êtes fini. Vous perdez vos forces et vous ne pouvez plus m’empêcher de prendre le contrôle. Je vais pouvoir enfin me débarrasser de vous. Adieu !
Non… ne faites pas ça… J’accepte vos conditions ! Je ferai tout ce que vous voudrez ! Vous nous avez déjà sauvés une fois. Vous êtes capable de le refaire.
Ryll, occupé à réparer les dégâts en hâte, se demandait en son for intérieur s’il était vraiment capable de se débarrasser de Hanson. Il existait une technique permettant de sortir d’un corps agonisant sans opérer une nouvelle fusion, mais son manque d’attention au cours faisait qu’il ne disposait pas des informations nécessaires.
Il regrettait amèrement son attitude orgueilleuse et irresponsable, ses conceptions puériles sur les capacités d’un étudiant doué. La blessure était importante, les chairs étaient endommagées et il spéculait sur la nécessité d’utiliser le protoplasme d’un légionnaire mort ou agonisant.
Mais, dans ce cas, cela soulevait une nouvelle question. Est-ce qu’un même corps pouvait être occupé par trois personnalités différentes ?
Il pensait que c’était possible.
Profitant de la terreur et de la faiblesse de Lutt, Ryll se glissa aux commandes du corps. D’abord les yeux, puis les principaux systèmes moteurs. Il était toujours allongé sur le sol brûlant et se demandait si sa combinaison incéram allait résister à ces températures. Puis le visage de Humperman apparut, derrière son casque. Elle se pencha sur lui pour lire les cadrans extérieurs de son scaphandre.
— Tu m’entends ? demanda-t-elle.
— Oui.
La voix était faible et déformée, mais Ryll estimait que l’approximation était suffisante, compte tenu de la blessure.
— Ne t’inquiète pas, les médics vont arriver, reprit Humperman. J’ai tout filmé, tu sais ? La caméra était braquée dans ta direction quand c’est arrivé. Sans doute un éclat de fusée à fragmentation.
— Et… Subiyama ?
— Elle est rentrée pour voir s’il y avait un moyen de faire passer son papier. Seigneur ! Ils nous bombardent encore !
Elle s’aplatit à côté de lui.
Ryll, qui avait maintenant le contrôle total du corps, sentit le sol trembler sous lui. Une succession presque ininterrompue de gerbes mauves illuminait le ciel au-dessus d’eux. Il en apercevait les reflets pourpres sur la visière de Humperman. Elle ne bougeait absolument pas.
— Les médics vont bientôt arriver ? demanda-t-il. C’est bien ce que tu as dit tout à l’heure ?
Il n’y eut pas de réponse.
Ryll réussit à incliner légèrement la tête de manière à orienter sa visière dans la direction où gisait Humperman. Au-dessous de la taille, son scaphandre s’achevait en une bouillie sanglante d’où montaient des filets de vapeur. Écœuré et désespéré, Ryll se demandait comment faire pour avoir accès à ce qu’il restait d’elle afin de réparer le corps de Hanson. Ouvrir son scaphandre à la surface de Vénus signifiait laisser pénétrer la chaleur dévorante qui était déjà en train de carboniser les restes de Roweena Humperman.
Dire que c’est moi qui ai donné à Lutt cette idée de venir voir la guerre ! se lamenta Ryll.
Une nouvelle explosion fit trembler le sol.
Lutt le fit sursauter alors en émettant une pensée vigoureuse :
Vous avez réussi à prendre le contrôle, hein ? Et vous croyez que vous allez pouvoir résister si j’interviens ?
J’essaye de nous sauver, imbécile !
Je vois que Humperman a eu son compte. Mais où sont ces fichus médics ?
Il y a eu une attaque de fusées à fragmentation. Peut-être qu’ils sont tous morts.
Ces salauds de Chinetoques ! Mais regardez ! Sa caméra Vor transmet toujours !
Si ça se trouve, la vôtre aussi.
Quel reportage sensationnel !
C’est tout ce que vous trouvez à dire ?
Je constate également que vous n’avez pas réussi à vous débarrasser de moi. Pas facile, n’est-ce pas ?
Je n’ai pas encore essayé.
Je me demande ce que les Français feraient d’un prisonnier drène.
Je vous supplie de coopérer, gémit Ryll. Nous ne pourrons jamais survivre si nous nous disputons… Il baissa les yeux vers Humperman. C’est cela, le sort que vous nous souhaitez ?
Lutt trouvait très désagréable de regarder par des yeux que quelqu’un d’autre dirigeait, mais il était absolument incapable d’y échapper. Tandis que les chairs à découvert de Humperman se consumaient, des flammes brillantes, jaunes et orangées, s’insinuaient à l’intérieur des restes de son scaphandre, qu’elles emplissaient de lumière. Son visage et sa tête furent les derniers à disparaître, visibles à travers la visière jusqu’à la fin horrible. Bientôt, même les derniers fragments carbonisés disparurent, absorbés par l’écorce de la planète.
Je n’ai pas l’impression que les médics arrivent, fit Lutt. C’est donc la même fin qui nous attend.
Elle a dit qu’ils n’allaient pas tarder.
Ils s’occuperont en priorité des soldats. Nous ne sommes que des civils inutiles.
Ils ne vont pas nous laisser comme ça !
La Légion fait ce qu’elle doit. C’est l’une de ses devises.
Ryll sentait le contact de la mousse médicinale et de la réparation incéram sur sa peau. La température demeurait acceptable à l’intérieur du scaphandre, mais il se demandait combien de temps cela durerait.
Je ne veux pas mourir alors que quelqu’un d’autre contrôle mon corps, se dit Lutt.
Et il se réintroduisit dans le système nerveux partagé. Le corps fut agité de convulsions et de soubresauts.
Il n’est pas question que je meure sous une autre forme que la forme drène, affirma catégoriquement Ryll.
Court-circuitant les efforts de Lutt, il fit pivoter ses yeux vers l’intérieur et commença à idmager le corps drène familier qui avait été le sien depuis sa sortie de la germinerie.
Seule une bosse informe de matière blanche apparut sur le torse du Terrien, mais c’était trop pour le scaphandre. Il se fendit à cet endroit et la chaleur mordante de Vénus consuma aussitôt la bosse. La mousse incéram jaillit immédiatement pour combler la brèche. Ryll, suffoqué par le souffle brûlant, laissa échapper un cri drène primal et se sentit sombrer en même temps que Lutt dans un abîme noir où ils perdirent tous les deux conscience.