Six semaines plus tard.

 

Mary Ann et Brian choisirent le Golden Gate Park comme site pour leur "lune de miel" officieuse : un copieux pique-nique qui marquait leur première escapade depuis l'épisode des coups de couteau. À la dernière minute, ils avaient demandé à Michael de se joindre à eux.

- Tu sais, fit Mary Ann en étalant du brie sur un morceau de pain de seigle, il nous manque juste quelqu'un, aujourd'hui.

- Qui ? demanda Michael.

Mary Ann sourit et lui tendit la tartine.

- Jon.

Michael avala une bouchée et se tourna vers Brian :

- Pourrais-tu dire à bobonne de laisser tomber ? Ça nous ferait des vacances... Elle a fermement décidé de voir en nous Lucy et Ricky et Fred et Ethel, on dirait !

Brian répondit en riant :

- Et je suis qui, moi, dans tout ça ? Fred ou Ricky ?

- Tente pas le diable, plaisanta Michael. Tu pourrais bien être Ethel.

- Quand revient le bateau de Jon ? s'enquit Mary Ann.

- Demain, fit Michael. Passe-moi le cheddar fumé, s'il te plaît.

Brian fit glisser le plateau de fromages vers Michael.

- Tu te rappelles la dernière fois qu'on est venus ici, toi et moi ?

- Oui, mais... ?

- Tu m'as conseillé de me dépêcher d'épouser Mary Ann.

- Il a dit ça ?

Mary Ann leva le nez de sa tartine.

- C'est tellement mignon, Mouse !

- Eh bien, moi, continua Brian, je pense que le moment est venu pour toi d'épouser Jon.

- Tu vois ?...

- Qu'est-ce qu'il devrait voir ? s'enquit Michael.

- Rien, fit Mary Ann avec malice.

- Tu es impossible, grommela Michael. Où as-tu mis la moutarde ?

Mais son sourire l'avait encore une fois trahi.

Michael prit une fraise.

- C'est déjà fait, fit-il observer.

- Alors épouse-le une deuxième fois, répliqua Mary Ann, ajoutant son grain de sel.

Michael les regarda tour à tour.

- Mais vous voulez que tout le monde se marie, vous deux !

- Ce serait tellement merveilleux, Mouse ! Nous pourrions partir tous ensemble à Yosemite... faire des trucs en famille. Tu as cherché pendant deux ans, Mouse ! Est-ce que tu as trouvé ne serait-ce qu'un seul mec qui soit mieux que Jon ?

Michael fit mine de chercher une autre fraise.

- Tout le monde le voit, sauf toi. Jon, c'est le mec idéal pour les arbres de Noël.

- Quoi ?

- C'est toi qui m'as expliqué ça, un jour. Avant de rencontrer Jon. Tu disais que tu n'attendais pas tant de choses que ça d'une relation... Juste le bonheur de pouvoir acheter avec quelqu'un de bien ton arbre de Noël chaque année. C'est Jon, ce quelqu'un de bien ! En plus, ça lui est égal que tu couches à droite à gauche.

- Oh ?

- Il me l'a dit lui-même ! assura Mary Ann. Il t'aime.

- Lui aussi, il couche à droite à gauche ! protesta Michael. À ton avis, pourquoi bosse-t-il sur ce bateau ?

- Alors, vous êtes faits l'un pour l'autre ! Comme Brian et moi !

Brian regarda sa femme d'un drôle d'air et elle lui pinça une cuisse pour le rassurer.

- Tu vas le chercher au bateau ? demanda-t-elle à Michael.

Un long silence, puis il consentit à répondre :

- Voui...

Mary Ann regarda Brian d'un air triomphal et lui secoua vigoureusement le genou.

 

Au-dessus d'eux, tout en haut de l'à-pic, Prue Giroux avançait avec précautions parmi les rhododendrons, désobéissant une fois de plus aux conseils de son prêtre.

Elle n'avait pas remis les pieds dans la cabane de Luke depuis sa fuite avec les enfants.

Quelque chose qui ressemblait étrangement à du remords l'envahit lorsqu'elle poussa la porte de la petite cabane et considéra son contenu éparpillé partout.

Les murs avaient été couverts de graffitis à la bombe aérosol. Le "sofa" en mousse, naguère le lieu de ses plus grands moments de bonheur, était jonché de préservatifs.

- De vraies bêtes ! murmura-t-elle.

Il ne restait plus grand-chose, hormis la plaque de bois, désormais souillée de peinture rouge :

CEUX QUI NE SE RAPPELLENT PAS LE PASSÉ SONT CONDAMNÉS À LE RÉPÉTER.

Comme elle ne supportait guère l'idée d'abandonner cette relique derrière elle, elle décrocha la plaque du mur et la glissa amoureusement dans son fourre-tout. Et avant que les larmes ne lui montent aux yeux, elle se dépêcha de ressortir au soleil et longea la côte jusqu'aux rhododendrons.

Elle était à mi-chemin lorsqu'elle repéra une silhouette familière qui sortait de l'un des buissons.

- Oh... Euh... Prue, ma chérie !

C'était le père Paddy, qui avait l'air curieusement nerveux. Prue essaya de prendre un air dégagé en espérant qu'il n'avait pas deviné la raison de sa visite au vallon fleuri.

- Quelle journée magnifique, n'est-ce pas, mon père ?

- Oui, vraiment ! C'est précisément la réflexion que je me faisais tout à l'heure : Dieu nous gâte aujourd'hui !

- Mmm.

- Que... euh... fabriquiez-vous dans les bois ?

- Je promenais tout bêtement Vuitton, mon père ! dit Prue.

- Ah... Eh bien, c'est une splendide journée pour...

Mais avant qu'il eût pu finir, un autre homme surgit des buissons. Il salua Prue très précipitamment et fit un clin d'oeil appuyé au père Paddy, avant de partir d'un pas guilleret sur le sentier, en sifflotant.

- Je ne savais pas que vous connaissiez l'agent Rivera, s'étonna Prue.

Le père Paddy hésita, et avoua en rougissant :

- En fait... nous venons juste de faire connaissance.

- Il est vrai qu'il est tellement consciencieux ! observa la chroniqueuse mondaine. C'est réconfortant de savoir qu'il y a des policiers comme lui.

- Oh, oui ! acquiesça le prêtre. Ça, vraiment !

Il prit brusquement le bras de Prue.

- Je ne sais pas ce qu'il en est pour vous, ma chère, mais je suis subitement affamé. Si nous allions déjeuner quelque part ?

- J'en serais ravie, déclara Prue. Mais aidez-moi à retrouver Vuitton d'abord.

Le père Paddy lui décocha un regard noir :

- Ne me dites pas que vous l'avez encore perdu ?

- Non, bien sûr que non ! se défendit Prue. Il ne doit pas être très loin. Vuitton ! Au pied, mon trésor ! Vuiiitton !...

 

 

Quatrième de couverture :

"Voici le troisième épisode des Chroniques de San Francisco, un feuilleton romanesque à l'humour décapant !

"Entre un ouvrier au grand coeur, une star de cinéma et son médecin favori, Jon Fielding, pour ne pas changer, Michael court toujours après l'homme de sa vie. Mary Ann, entrée à la télévision, court après le scoop de la sienne. DeDe revient de loin et Mme Madrigal cultive des petites herbes dans son jardinet... Ajoutez à cela quelques kidnappings, une course-poursuite entre l'Alaska et Barbary Lane, et vous aurez une idée de ce pétillant roman d'où on ressort tout étourdi, un sourire bêta scotché sur les lèvres."

Têtu

 

"Délicieux, tendrement ironique, chaleureux... Un régal."

Le Magazine littéraire

 



[1] Une des quatre classes (A, B, A-Gay, B-Gay) définissant les invités de Gidde : des gays faisant partie du "gratin", sachant se conduire et parler, etc. (N.d.T.)

 

[2] C'est au Guyana, en 1978, qu'eut lieu le suicide collectif d'une secte américaine ; Jim Jones, son chef, fut ainsi responsable de 931 morts. (N.d.T.)

 

Autres chroniques de San Francisco
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