Une question délicate.

 

- Quels lapins ? répéta DeDe.

Prue détourna les yeux, les lèvres tremblantes.

- Quand il a emmené les enfants, raconta-t-elle, nous étions dans un restaurant, non loin d'ici. Je suis allée aux toilettes et... quand j'en suis ressortie, il avait disparu.

DeDe hocha la tête avec impatience :

- Maman nous a déjà dit ça.

- Bref, continua Prue, j'ai cherché dans la rue...

- Et vous avez vu Anna dans une ruelle, l'interrompit Mary Ann qui essayait de faire avancer Prue, voyant que l'exaspération de DeDe ne faisait que croître.

Prue acquiesça d'un air funèbre :

- Quand je l'ai vu l'emporter, je me suis assise par terre...

- Quoi ? tonna DeDe.

- J'étais blessée. Je lui ai couru après, mais je me suis ouvert la cheville, expliqua-t-elle en levant la jambe pour prouver sa bonne foi. Un type est arrivé et a commencé à me crier dessus parce qu'il croyait que j'étais avec Lu... M. Starr. Je lui ai dit que...

- Attendez un peu, là ! Qu'est-ce que vous venez de dire ?

Prue cligna pathétiquement des yeux.

- Rien, se défendit-elle.

- Oh si, nom d'un chien ! Vous avez prononcé le début d'un autre nom !

Mary Ann croisa le regard de DeDe et intervint :

- Si nous la laissions finir ?

Prue prit cela pour un encouragement à poursuivre :

- Donc il m'a entraînée dans sa cour...

- Qui ?

- Le type... Celui qui...

- OK, OK.

- Il avait des cages à lapins, des clapiers... Et il y avait du sang partout... Et il m'a forcée à...

Quelque chose sembla se coincer dans sa gorge. Elle porta la main à sa bouche et ferma les yeux.

Quand elle les rouvrit, elle continua en gémissant :

- Il m'a forcée à regarder ces deux petits lapins qui avaient été... écorchés.

- Mon Dieu ! murmura Mary Ann.

DeDe restait imperturbable.

- C'est votre ami qui avait fait ça ? voulut-elle savoir.

Prue hocha la tête, retenant ses larmes.

- C'est tellement affreux ! s'exclama-t-elle. Je n'ai jamais rencontré personne qui puisse...

- Et les peaux étaient encore sur place ? demanda DeDe.

Mary Ann frémit : où voulait-elle en venir ?

Prue réfléchit un instant, puis répondit :

- Je ne crois pas. Il y avait tellement de sang que...

- Et vous ne savez rien de plus sur cet homme élégant, comme vous dites, hormis que c'était un courtier en Bourse américain qui habitait Londres ? Qu'est-ce qu'il fichait sur ce bateau, d'ailleurs ?

- Je ne comprends pas, dit Prue.

- Vous ne trouvez pas ça un tantinet bizarre pour un courtier ?

- Non, je veux dire... Il semblait avoir assez d'argent pour...

- C'était votre amant ?

Prue resta bouche bée.

- C'était votre amant ou pas ? insista DeDe.

- Je ne vois pas en quoi cela vous...

- J'ai de bonnes raisons de vous poser la question. Est-ce que vous l'avez vu sans ses vêtements ?

L'indignation de Prue était à son comble :

- Écoutez... tout de même ! Je suis désolée de ce qui est arrivé à vos enfants, mais vous n'avez aucun droit de...

- Vous le serez encore plus quand nous aurons averti la police. Sans parler de la presse.

Prue se mit à pleurnicher.

- Je ne pouvais pas savoir qu'il ferait une chose pareille... laissa-t-elle échapper.

- Je sais, accorda DeDe, radoucie.

Elle se baissa et prit la main de la chroniqueuse mondaine.

- Personne ne le sait jamais.

Prue continua de pleurer, jusqu'au moment où elle comprit.

- Vous le connaissiez ? demanda-t-elle, stupéfaite.

- Je crois, déclara doucement DeDe avant de se tourner vers Mary Ann. C'est un peu délicat. Pouvez-vous nous laisser seules un moment ?

Mary Ann bondit sur ses pieds.

- Bien sûr !... dit-elle. Je... À quelle heure nous... ?

- Je vous retrouve dans notre chambre. Dans une demi-heure ?

- Très bien.

 

En fait, il lui fallut près d'une heure.

Quand DeDe vint retrouver Mary Ann, elle avait l'air totalement épuisée.

- On peut aller prendre un verre quelque part ? proposa-t-elle.

- Bien sûr. Ça va ?

- Oui, oui.

- Avez-vous pu découvrir si...

- C'est lui.

- Comment le savez-vous ?

DeDe s'approcha de la fenêtre et contempla le spectacle nocturne.

- C'est important ? demanda-t-elle.

Mary Ann hésita.

- Tôt ou tard, ça le sera.

- Alors... On peut attendre jusqu'à... plus tard ?

Un silence inconfortable s'ensuivit. Puis Mary Ann continua :

- J'ai réfléchi à cette histoire de lapins.

- Alors ?

- La berceuse qu'il chantait : Bye-bye, mon bébé bécasse, Papa s'en va à la chasse...

DeDe la termina :

- ... il rapportera une peau de lapin pour te faire un beau manteau...

- Vous y avez pensé ? demanda Mary Ann.

- Oui, répondit DeDe d'une voix atone. J'y ai pensé.

 

 

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