Les recherches commencent.
Le vol d'Air Alaska jusqu'à Seattle prit presque deux heures. Celui jusqu'à Sitka, environ trois, avec une brève escale à Ketchikan, juste après la frontière de l'Alaska. DeDe et elle n'étaient pas arrivées à Sitka que Mary Ann était déjà épuisée.
En revanche, DeDe faisait preuve d'une stupéfiante résistance.
- Comment faites-vous ? s'enquit Mary Ann alors qu'elles montaient dans un taxi à l'aéroport de Sitka.
- Comment je fais quoi ? demanda DeDe avec un sourire las.
- Eh bien... Je serais en pleine crise, moi, rien que d'y penser !
DeDe chercha un bonbon à la menthe dans son sac.
- J'ai fait ma crise avant, expliqua-t-elle. J'ai hurlé pendant cinq bonnes minutes après le coup de fil de maman. Rien de plus... Ça a suffi.
Elle fourra le bonbon dans sa bouche.
- Si je m'énervais, ça m'empêcherait de faire ce que j'ai à faire.
Le côté vaguement John Wayne de cette dernière réplique inquiéta légèrement Mary Ann.
- Vous êtes sûre que nous ne devrions pas en parler à quelqu'un ? demanda-t-elle. Je veux dire : sinon à la police, au moins à quelqu'un qui saurait...
- Non. À personne. Si c'est lui, la presse est la dernière chose dont nous avons besoin. Ce type n'aime pas être acculé dans un coin. Ça risquerait tout au plus de lui faire perdre les pédales.
- Mais tout de même, une protection serait...
- Quand on l'aura trouvé ! répondit DeDe. Seulement quand on saura qu'on peut le coincer sans risque pour les enfants. Pas avant.
Quand, releva Mary Ann, et non pas si. Elles n'avaient aucune preuve que les enfants étaient encore à Sitka, mais DeDe gardait la foi. C'était difficile d'imaginer démonstration plus courageuse de pensée positive.
- Où on va ? demanda le taxi.
- Au Potlatch House.
DeDe se tourna vers Mary Ann.
- Le bateau est reparti cet après-midi, à ce que je sais. Maman et Prue Giroux ont pris des chambres dans cet hôtel, dit-elle avec un sourire sardonique. On n'imagine pas un couple plus mal assorti...
- Qu'est-ce qu'elles ont raconté aux gens du bateau ?
- Rien. C'est ce que je leur ai dit de faire. Elles sont simplement descendues en expliquant qu'elles avaient envie de passer plus de temps à Sitka. Pas très convaincant, comme excuse, je m'en doute, mais on n'avait pas le choix. À ce stade, la moindre mention de l'enlèvement serait fatale.
Mary Ann eut la chair de poule. Elle n'avait jamais entendu utiliser le mot "fatal" d'une manière aussi littérale.
- Je suis étonnée que votre mère n'ait pas appelé la police, avoua-t-elle.
- Et moi, donc ! s'exclama DeDe. Heureusement, c'est sa fille qu'elle a appelée en premier. Je suis sûre que c'est Prue qui l'a encouragée à le faire. C'était son amant, après tout. La dernière chose qu'elle souhaitait, c'était mêler la police à cette histoire. Ce n'est pas le genre de choses dont elle pourrait parler dans sa rubrique mondaine.
- Mais elle l'a rencontré sur le bateau. Nous ne pouvons pas vraiment la tenir responsable de...
- Elle prétend qu'elle l'a rencontré sur le bateau.
- Excusez-moi, je ne vous suis plus, là...
- Je crois qu'elle en sait plus qu'elle n'en a dévoilé à maman, expliqua DeDe. Et je crois que maman en sait plus qu'elle ne nous le dit.
- Sur quoi ?
- Je ne sais pas, soupira DeDe. Disons... Eh bien... Quelque chose chez son cher M. Starr a fini par la convaincre qu'il était complètement marteau.
- J'en suis certaine, dit Mary Ann.
- C'est à propos d'autre chose que l'enlèvement.
- Ah.
- Elle a commencé à m'en parler, puis elle s'est tue. Je crois qu'elle veut me protéger. Nous le saurons bien assez tôt, n'est-ce pas ? ajouta DeDe avec un sourire ironique et si héroïque qu'il fendait le coeur.
Mary Ann lui prit la main pour s'empêcher elle-même de pleurer.
- Ne rendez pas les choses pires qu'elles ne sont, dit-elle.
- Parce que ça pourrait être pire ? demanda DeDe.
Le taxi passa sur un étroit pont tout blanc tandis que le conducteur attirait leur attention sur un volcan éteint qui présidait majestueusement aux destinées de cet archipel d'îles minuscules. La ville s'étendait devant elles, nette et compacte comme Disneyland. En guise de décor pour un scénario aussi tragique, ce n'était guère probant.
Mary Ann regarda sa montre. Il était 21h13. La nuit tombait.
DeDe scruta le port.
- C'est plutôt mignon, non ?
- Oui... sûrement.
- Je suis morte de trouille, souffla DeDe.
- Je n'en mène pas large non plus, laissa échapper Mary Ann.