Petite visite.

 

Dans le salon, le médecin s'agenouilla auprès de sa patiente qui était allongée sur le canapé de velours rouge.

- OK. Maintenant, serrez les dents, madame M. Ça risque de piquer un peu.

Elle se raidit tandis qu'il tamponnait délicatement les blessures sur son dos.

- Bien, vous avez du courage ! dit-il. Ça n'était pas aussi grave que ça en avait l'air. Comment vous êtes-vous fait ça, d'ailleurs ?

- Bêtement, mentit Mme Madrigal. J'ai glissé et je me suis cognée à un clou.

- Où ?

- Euh... Au sous-sol. Il va falloir des points de suture ?

- Non. Un sparadrap suffira amplement. Vous en avez ?

- Dans l'armoire à pharmacie, indiqua la logeuse. Pourquoi ne... ?

- Restez couchée. Vous êtes blessée. Il revint quelques instants plus tard et lui fit son pansement.

- Voilà, dit-il en se relevant. Je suis sûr que vous vous en tirerez très bien.

Mme Madrigal rajusta son kimono ensanglanté puis, se rasseyant, en noua la ceinture de soie.

- Eh bien, murmura-t-elle en souriant affectueusement à Jon, comment avons-nous pu vivre pendant tout ce temps sans médecin ?

- J'espérais que vous me donneriez la réponse.

Mme Madrigal le considéra un moment, pour étudier à quel point avait changé le grand blond aux chemises Arrow qui avait vécu avec Michael pendant presque trois ans. Il avait l'air plus mince, à présent, un peu maigre, même, mais son visage classique de type scandinave était plus beau que jamais.

- Quel âge as-tu, maintenant ? demanda-t-elle.

- Trente-trois ans, répondit-il en souriant.

- Tu ne les fais pas.

- Merci. Vous avez l'air en pleine forme, vous aussi. À part cette blessure, je veux dire.

Elle s'inclina avec grâce.

- Cela fait plaisir de te retrouver, Jon. Vraiment. Michael est là-haut, si tu veux le voir.

Elle se tapota les cheveux pour se recoiffer un peu.

- Je suis sûre que tu n'avais pas prévu de t'attarder chez moi.

- En fait, si ! déclara Jon. C'est chez vous que j'ai sonné, n'oubliez pas.

- Dans ce cas, je suis très honorée.

- J'espérais que vous pourriez me dire comment se présente le terrain.

- Oh... Je vois, fit-elle en défrisant une mèche de ses cheveux sur sa tempe.

- Je n'ai pas eu de nouvelles de Michael depuis longtemps et je ne sais pas si...

Il s'interrompit et leva brusquement la tête, comme un chien qui flaire quelque chose.

- Qu'est-ce que c'est ?

- Quoi donc ?

- Je ne sais pas... Quelqu'un qui hurlait, non ? Vous n'avez pas entendu ?

- Ce sont peut-être les enfants, mentit Mme Madrigal.

- Les enfants ?

- En bas, sur Leavenworth. Ils font du skate-board. C'est crispant, parfois.

- On aurait dit que c'était plus proche.

- Écoute, mon garçon... Si tu veux que nous ayons une petite conversation, pourquoi ne descendrions-nous pas tranquillement sur North Beach ? C'est une soirée tellement douce ! Et nous pourrions dîner ensemble quelque part...

- D'accord, dit Jon, mais c'est moi qui vous invite.

- Tu seras mon chevalier servant, plaisanta Mme Madrigal.

 

Une fois changée, elle s'empressa de le pousser dans l'entrée en parlant le plus fort possible. Les cris de Bambi semblaient s'être calmés, mais Mme Madrigal poussa intérieurement un soupir de soulagement quand ils furent enfin hors de portée de voix.

Ils dînèrent au Washington Bar and Grill à une table qui se trouvait près de la fenêtre.

- Alors, comment va-t-il ? demanda Jon une fois leurs commandes prises.

Mme Madrigal fit une petite moue pensive.

- Il a un peu la bougeotte, à mon avis.

- C'est-à-dire ?

- Eh bien, il nous fait tout un plat de son indépendance retrouvée, mais je ne crois pas qu'il l'apprécie tant que ça.

- Il a des amis ? s'enquit le médecin.

- Oh, des tas !

- Tant mieux...

- Des amis, précisa la logeuse. Mais pas d'Ami avec un grand A. C'est ce que tu voulais savoir, n'est-ce pas ?

- Je crois que oui, avoua Jon en rougissant.

- Ça n'est pas pour me déplaire.

- Mais de l'eau a coulé sous les ponts depuis... presque deux ans.

- Et tu penses que vous pourriez reprendre là où vous vous êtes arrêtés ?

- Non, dit Jon. Je...

- Ne t'en fais pas, mon garçon. Je pense que vous le pouvez, moi aussi.

Il lui sourit presque timidement :

- Je ne sais pas si nous pourrions y arriver maintenant, tous les deux.

- Et pourquoi ?

- Les choses changent, répondit le médecin en haussant les épaules.

- Ah bon ? Tu sais ce que je crois, moi ?

- Non.

- Je crois que tu devrais arrêter de tourner autour du pot, parce que tu es revenu pour le retrouver.

- Vraiment ?

- Mmm, mmm. Et je crois que je vais t'y aider, conclut Mme Madrigal en plongeant son regard bleu dans le sien.

Gêné, le médecin baissa les yeux.

- Je suis une vieille mère poule. J'aime avoir tous mes oeufs dans le même panier.

 

 

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