Luke.
Sur la saillie rocheuse, souriant toujours, l'homme attendait que Prue répondît à sa question.
- Euh... Pardon ? bredouilla-t-elle.
Pendant ce temps, sa main droite qui farfouillait dans les tréfonds de son sac à main se refermait enfin sur son minuscule sifflet d'alarme Tiffany. Si cet individu faisait le moindre geste, elle...
- Je vous ai demandé si vous aviez le temps de prendre un café.
Il désigna d'un geste sa cabane, une sorte d'édifice en bois improvisé qui sortait directement de La Petite Maison dans la prairie. Un mince ruban de fumée s'échappait du tuyau de poêle rouillé qui dépassait du toit comme un point d'exclamation.
- Il y avait du café, là-dedans ?
Prue s'éclaircit la voix.
- Ce chien m'appartient, dit-elle calmement. Le chien qui est entré dans votre... dans cette cabane.
Elle rougissait, à présent. Elle avait la gorge sèche comme du carton.
L'homme continua à sourire, les mains enfoncées dans les poches de son large pantalon en laine.
- Ah bon ? fit-il d'un ton qui semblait plus sarcastique qu'interrogateur. Gentil chien, ce petit Whitey !
Whitey ? Est-ce que cet excentrique essayait de s'approprier Vuitton en lui donnant un nouveau nom ? Son vrai nom et celui de sa propriétaire étaient clairement gravés sur sa médaille. Et d'ailleurs, son collier, un cadeau de Noël du père Paddy Starr, avait été façonné dans du vinyle imprimé de chez Louis Vuitton.
- Ça s'est passé il y a plusieurs semaines, reprit faiblement Prue. Il s'est échappé quand nous étions dans les fougères géantes. Je suis tellement contente qu'il soit sain et sauf !
L'homme hocha la tête, lui faisant toujours bon visage.
- Si vous vous êtes... occupé de lui, continua-t-elle, je serai heureuse de vous rembourser tous les frais qu'il vous a occasionnés.
L'homme se mit à rire :
- Mais pas de café, hein ?
Les doigts de Prue se crispèrent sur son sifflet.
- Vraiment, je... C'est terriblement charmant de votre part... mais, euh... Mon chauffeur... C'est-à-dire que j'ai un ami qui m'attend près de la serre. Mais je vous remercie beaucoup, c'est très aimable de votre part.
L'homme haussa les épaules, puis il fit volte-face et rentra dans la cabane en refermant la porte derrière lui. Prue attendit.
Et attendit longtemps.
Vraiment, c'était très désagréable. Qu'est-ce qu'il s'imaginait, d'ailleurs ? Ce serait assez facile de prouver qu'elle était propriétaire du chien et de faire arrêter cette espèce de clochard qui retenait Vuitton contre sa volonté.
Prue réfléchit aux choix qui s'offraient à elle. Elle pouvait retourner à la serre et attendre l'arrivée de son chauffeur : il en imposait assez pour intimider l'homme et le forcer à rendre Vuitton. Sinon, évidemment, elle pouvait tout simplement appeler la police.
D'un autre côté, pourquoi ajouter à ces désagréments l'intervention des autorités ? C'était sûrement quelque chose dont elle pouvait se sortir toute seule.
En s'agrippant aux buissons, elle descendit la pente sablonneuse et atteignit la saillie rocheuse où se dressait la cabane. C'était stupéfiant, vraiment : ce cul-de-sac secret était pratiquement invisible aux yeux des passants, mais on y entendait tout de même le bruit de la circulation sur Kennedy Drive !
Prue se dirigea d'un pas décidé vers la porte de la cabane, si décidé, d'ailleurs, qu'un de ses talons se prit dans une racine et qu'elle s'étala par terre en renversant le contenu de son sac. Mortifiée, elle ramassa ses affaires en quatrième vitesse et se remit debout à grand-peine.
Elle frappa à la porte.
La première chose qu'elle entendit, ce furent les aboiements de fausset de Vuitton. Puis le raclement d'un morceau de bois sur un autre : on soulevait le loquet.
La porte s'ouvrit toute grande, révélant le même visage souriant, un visage que des pommettes saillantes, une mâchoire carrée et une peau ambrée rendaient presque beau. Les cheveux un peu longs de l'inconnu étaient soigneusement peignés. (Etaient-ils déjà comme ça cinq minutes plus tôt ? se demanda Prue.) Il avait l'air d'avoir une cinquantaine d'années.
- C'est mieux, dit-il.
Prue tenta de l'amadouer :
- Je vous prie de m'excuser si je vous ai offensé d'une manière ou d'une autre. J'étais tellement inquiète pour mon chien !... Je suis sûre que vous comprenez.
Vuitton pointa son long museau clair. Prue se baissa pour le caresser.
- Mon bébé, roucoula-t-elle. Tout va bien, maman est là.
- Vous avez une preuve ? demanda l'homme.
- Mais regardez-le, dit Prue. Il me reconnaît. N'est-ce pas, mon bébé ? Il s'appelle Vuitton. C'est écrit sur son collier. Et d'ailleurs, mon nom est aussi inscrit dessus.
- Et vous vous appelez ?
- Giroux. Prue Giroux.
L'homme tendit la main.
- Moi, c'est Luke. Entrez donc.