La petite nouvelle.
Le temps que Mme Madrigal rejoigne ses "garçons" sur le toit du 28 Barbary Lane, la nuit était tombée.
- Eh bien, fit-elle en se glissant entre eux et en leur pinçant la taille, elle est d'une humeur toujours aussi massacrante, mais elle a considérablement plus d'appétit.
- Un moment, j'ai cru qu'elle allait nous faire une grève de la faim, dit Brian, soulagé.
- Elle a arrêté de gueuler ? demanda Michael.
Mme Madrigal hocha la tête :
- Je crois que j'ai réussi à la convaincre que le sous-sol est insonorisé. Nous n'avons pas besoin de nous inquiéter des voisins, je vous assure. Même quand elle fait du bruit, on ne l'entend pas au-delà de l'entrée.
- Mais les visiteurs, c'est une autre paire de manches...
- On dirait le scénario de L'Obsédé, remarqua Michael en contemplant les lumières de la baie.
- Mais elle a tout ce qu'il lui faut ! insista la logeuse. Un lit douillet, un radiateur et tous mes Agatha Christie. Je lui ai même descendu la vieille télé de Mona.
Elle se tourna vers Michael.
- Qu'est-ce que tu as fait de sa voiture ?
- Je l'ai garée sur Leavenworth. À cinq ou six rues d'ici.
- C'est pas vraiment ce qui va brouiller les pistes, se rembrunit Brian.
- Si tu connais un marais pas trop loin... ironisa Michael en haussant les épaules.
- Leavenworth, ça ira très bien, dit Mme Madrigal.
- Je ne pense pas qu'on doive la garder plus de deux ou trois jours. J'espère que non, en tout cas. Elle dit qu'elle est attendue aux studios vendredi après-midi. Quelqu'un va forcément finir par avoir des soupçons.
- Mary Ann s'en est occupée, précisa Brian.
- Comment ? demanda Michael.
- Elle a appelé son bureau et elle a raconté que Bambi et elle étaient sur la piste d'une grosse affaire et qu'elles ne seraient pas rentrées avant le week-end. Le directeur des infos était furax, mais il l'a crue. Il n'avait pas tellement le choix.
- Donc personne d'autre ne sait que DeDe et les mômes sont vivants ?
- Personne, sauf le ravisseur, corrobora Brian.
- Et elles ne savent pas du tout qui ça pourrait être ? s'enquit Michael.
- Un type que Mme Halcyon a rencontré sur le bateau, paraît-il. Mary Ann est convaincue qu'alerter la presse compromettrait gravement leurs chances de retrouver les enfants sains et saufs.
- Pour moi, c'est une raison suffisante, affirma Mme Madrigal.
- Elle ne nous aurait pas demandé de faire ça si la situation n'était pas désespérée, dit Brian. Vous avez récupéré les fiches de Mary Ann, au fait ?
- Oui, le rassura Mme Madrigal. Je les ai enfermées dans mon coffre !
- Bon. On devrait s'en sortir sans problème. Je veux dire : ce n'est pas comme si on la torturait ou si on demandait une rançon.
- Tu as raison, fit Michael, pince-sans-rire. Peut-être qu'on n'a pas assez d'ambition...
- Michael, enfin ! le gronda Mme Madrigal en lui faisant les gros yeux.
- Je trouve très sympa que vous ayez accepté de nous aider, lui confia Brian. Mary Ann dit qu'elle en endossera toute la responsabilité à son retour.
- Je ne l'ai pas fait que pour elle, vous savez, déclara Mme Madrigal.
- Qu'est-ce que vous voulez dire ?
- Ces enfants, expliqua la logeuse, j'ai pleuré pendant une semaine quand j'ai appris leur disparition au Guyana.
- Vous les connaissiez ? demanda Michael.
Mme Madrigal sourit tristement et secoua la tête.
- Je connaissais leur grand-père.
- L'ancien patron de Mary Ann ?
Un autre hochement de tête.
- Vous voulez dire que vous... ?
- Nous avons eu une petite histoire d'amour charmante, juste avant sa mort. Rien de grandiose mais... c'était très sympathique.
Les deux hommes la regardèrent, ébahis.
La logeuse prit un plaisir tout féminin à leur stupéfaction.
- Si je ne me trompe pas, l'un des enfants a été baptisé en mon honneur. La petite fille, j'imagine.
- C'est exact, confirma Brian en riant. Elle s'appelle Anna. Mary Ann me l'a dit. Mince, vous êtes un sacré numéro !
- Et le petit garçon, c'est Edgar, ajouta Mme Madrigal. Edgar et Anna. Vous ne trouvez pas ce symbolisme délicat ? Notre liaison immortalisée par deux enfants. Et je vous dis qu'ils vont rentrer sains et saufs chez eux, même si pour ça je dois étrangler cette bonne femme grotesque enfermée au sous-sol.
- Quel merveilleux mobile caché ! plaisanta Michael avec admiration.
- Et qu'est-ce que mes complices diraient, si je leur proposais des gâteaux magiques ? demanda-t-elle en leur donnant une petite tape désinvolte sur l'épaule.
- Mais quand est-ce que vous avez eu le temps de les faire ? demanda Michael.
- Eh bien... j'en ai fait pour notre invitée, et il en reste plein.
- Vous lui avez fait manger des gâteaux au shit ?
- Je voulais qu'elle se sente à l'aise, expliqua Mme Madrigal d'un air résolu.
- Cette femme sait comment traiter les prisonniers, constata Brian.