Stratégie.

 

Ce n'est pas un rire mais un hennissement que poussa Larry Kenan lorsque Mary Ann formula sa demande.

- Alors ça, c'est le comble, cocotte ! Le comble !

- Eh bien, excuse-moi si...

- Réserver du temps d'antenne ?

- Pas la peine de répéter, Larry. J'ai pigé.

- Le temps d'antenne, ça n'est pas quelque chose qu'on réserve, comme une chambre au Hilton ou je ne sais quoi de ce genre...

- OK. J'ai compris.

- Le temps d'antenne, c'est quelque chose qu'on crée... et nous devons savoir ce que nous créons, OK ?

- OK, acquiesça Mary Ann en se levant et en se dirigeant vers la porte.

Le directeur de l'information avait toujours la tête levée vers Bo Derek.

- Attends une seconde, ajouta-t-il.

Mary Ann s'arrêta, la main sur la poignée de la porte.

- Oui ?

- Si tu es sur un sujet, tu dois nous en faire part. Tu as le devoir de nous en faire part. En tant que journaliste.

- Je ne suis pas journaliste, rétorqua sèchement Mary Ann. C'est toi-même qui l'as dit.

- J'ai dit que tu n'étais pas encore journaliste. Et quand bien même tu le serais, je ne t'accorderais pas du temps d'antenne sans savoir de quoi tu veux parler, merde !

- Je te l'ai déjà expliqué, répondit calmement Mary Ann. Je ne peux le divulguer que d'ici à une semaine.

- Alors pourquoi tu n'attends pas une semaine pour m'en parler, hein ?

- Très bien.

- Seulement, n'imagine pas que tu en parleras à l'antenne.

- Larry...

- Je parle chinois ou quoi ? On a des pros qu'on paie pour ça. Toi, c'est pas pour ça qu'on te paie. Je crois seulement qu'on pourra s'arranger pour mettre ton nom au générique. Peut-être. Je ne sais pas quel lièvre tu as levé, mais ne t'imagine pas que tu vas devenir une Bambi Kanetaka du jour au lendemain.

Elle réprima un "Dieu m'en garde !" et sortit.

"Et voilà pour le plan A, se dit-elle. Le plan B sera beaucoup plus amusant."

 

DeDe semblait disposée à adopter l'idée.

- Peu importe comment on s'y prendra, dit-elle. Ce qui m'inquiète, c'est quand on le fait.

- Mardi, ça irait ? demanda Mary Ann.

- Mardi en huit ?

- Oui. Ça nous donnera une semaine pour faire le ménage avant le retour de votre mère et des enfants. Le voyage, c'était vraiment une bonne idée... au moins pour des questions logistiques.

DeDe se rembrunit :

- Vous trouvez quand même que je suis un peu parano, non ?

- Je trouve que vous êtes très consciencieuse.

- Ne jouez pas sur les mots, Mary Ann.

- DeDe, je...

- Jim Jones est mort, n'est-ce pas ? Il ne peut que l'être : vous l'avez entendu à la télé !

Cet éclat fâcha Mary Ann.

- Tout ce dont je me soucie, fit-elle remarquer d'un ton ferme, c'est que vous puissiez raconter votre histoire... de la manière la moins dommageable possible. C'est un scoop qui défie l'imagination, DeDe. Point final. Mon opinion n'a strictement aucune importance à ce stade. Le tout, c'est de... poser les questions. Les réponses viendront d'elles-mêmes plus tard.

- Vous avez raison, concéda DeDe avec résignation.

- Ce ne sera pas facile, je le sais. Si vous voulez, vous pouvez vous contenter d'un communiqué et moi je m'occuperai des questions de la presse. Ensuite, les jumeaux et vous, vous pourrez disparaître, prendre des vacances et repartir d'un bon pied.

- Ça ne se passera sûrement pas comme ça, objecta tristement DeDe.

- Je sais que ce sera difficile pendant un certain temps, mais...

- Ce sera difficile tant que je ne serai pas fixée. J'ai vu ce type, Mary Ann. Je n'ai jamais été aussi certaine de quoi que ce soit.

Mary Ann la scruta un moment.

- Très bien, dans ce cas... disons que vous l'avez vu.

DeDe attendit.

- Admettons qu'il est parvenu à Moscou et que son sosie est mort à sa place. Le monde entier pense qu'il est mort, mais en réalité, il est vivant et il est à Moscou. Nom d'un chien, pourquoi reviendrait-il à San Francisco pour rôder autour du Steinhart Aquarium ?

Silence.

- Ce sont les questions qu'ils vont vous poser, DeDe, lui expliqua gentiment Mary Ann. Je veux que vous vous y prépariez.

- Je ne serai jamais prête, dit-elle tristement.

Mary Ann alla s'asseoir à côté d'elle et la prit maladroitement dans ses bras.

- Excusez-moi. Bon sang, je... Écoutez, nous allons laisser de côté cette histoire de sosie, si vous voulez. Nous pouvons simplement annoncer que vous êtes revenue et oublier tout le reste...

- Non !

DeDe secoua la tête, inébranlable.

- Je veux qu'on coince ce salaud. Je veux qu'on en finisse avec lui une bonne fois pour toutes. Je ne veux pas me terrer le reste de ma vie en me demandant s'il ne me guette pas... Si les enfants...

- Et si c'était le sosie, que vous aviez vu ?

DeDe secoua tout aussi énergiquement la tête :

- Ce n'était pas lui.

- Comment pouvez-vous en être sûre ?

- Je le suis, c'est tout.

- Il n'a pas du tout changé ? Les gens devraient le reconnaître.

- Vous le reconnaîtriez, vous ? Comment voulez-vous qu'on s'attende à tomber nez à nez avec lui ?

- Oui, je vois ce que vous voulez dire.

- D'ailleurs, il avait quelque chose de différent. Le nez, peut-être... Je ne sais pas. Il a peut-être subi une opération chirurgicale à Moscou. Bon sang, si seulement vous me croyiez ! Je me souviens du passé, Mary Ann. Je refuse d'être condamnée à le répéter !

DeDe s'effondra comme sous le coup d'une gifle.

- Seigneur !

- Qu'est-ce qu'il y a ? s'inquiéta Mary Ann.

- Rien. Voilà que je me mets à marmonner ses âneries, c'est tout.

- Quelles âneries ?

DeDe balaya la question d'un haussement d'épaules.

- Juste une citation idiote qui était accrochée au-dessus de son trône, précisa-t-elle.

 

 

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