Starlettes.
Tout en haut de Beverly Hills, Michael et Ned se prélassaient au bord de la piscine de *** en mangeant les oeufs Benedict que Guido leur avait préparés pour le petit déjeuner.
- Je l'aime bien, laissa tomber Michael quand le majordome se fut retiré. Mais il m'a tout simplement foutu les jetons, hier soir.
Ned enfourna un toast.
- Il ne te connaissait pas, hier soir. C'est son boulot de faire attention. Le National Enquirer essaie d'enjamber le mur d'enceinte au moins une fois par semaine. *** a de la chance d'avoir Guido.
Le bâtard à trois pattes nommé Ned vint offrir son museau pour qu'on le gratte : Michael s'exécuta.
- Ces vieux chiens ! dit-il. Je m'attendais plutôt à ce qu'il ait des bestioles plus élégantes, style lévrier, par exemple. Ou plus féroces, peut-être. Finalement, je préfère qu'il soit du genre à avoir des cabots miteux comme ça.
- Celui-là a quatorze ans, le renseigna Ned. On l'a trouvé quand il était tout petit, en train de fouiner dans une poubelle derrière chez Tiny Naylor. *** l'adore. Il s'est fait renverser par une voiture il y a cinq ans et il a fallu l'amputer d'une patte.
Ned sourit tendrement à celui qui portait son nom.
- C'est lui qui devrait écrire ses Mémoires.
Guido apparut sur la terrasse avec un plateau de cocktails.
- J'ai pensé que ces messieurs aimeraient se rafraîchir avant que les jeunes n'envahissent la maison.
- Merci, fit Ned en prenant un verre. Quels jeunes ?
Guido leva les yeux au ciel.
- Monsieur a appelé il y a un petit moment, il est toujours à Palm Springs. Il ne sera pas rentré avant deux heures. Entre-temps, pauvres de nous, l'un de ses copains de West Hollywood a décidé d'organiser impromptu une petite fête de bienvenue... Ici ! Merci beaucoup !
Michael regarda Ned et se sentit de nouveau inquiet :
- Est-ce qu'il faut qu'on s'habille, ou quoi ?
- Laissez tomber, le rassura Guido. La dernière fois, la fête a duré deux jours. Il y avait tellement de maillots Speedo à sécher que les Danny Thomas ont appelé pour demander pourquoi on avait hissé des fanions de détresse.
Les prédictions de Guido se révélèrent étrangement justes. Un par un, les jeunes hommes commencèrent à arriver, sveltes et moulés à la perfection dans leur Lacoste.
- C'est quoi, ça ? demanda Michael qui traînait dans la cuisine. L'équipe de mannequins de GQ ou de Vogue Hommes ?
- Ils voudraient bien ! répondit Guido tout en saupoudrant frénétiquement du persil sur un plat d'oeufs à la diable. Mais pour l'instant, ils sont à qui veut bien les prendre... Et quand on est dans ce métier depuis aussi longtemps que moi, on en voit défiler... Ou plutôt se faire enfiler...
- Ils sont tellement beaux mecs ! nota Michael. Ils sont acteurs ou quoi ?
- Seulement quoi, pour la plupart. Des starlettes. Harry Cohn en connaissait un rayon, dans ce domaine. Sauf que lui, c'était les filles. C'est du pareil au même. La même faune stupide qui prend la pose autour de la piscine.
Le majordome engloutit un oeuf et fila avec son plateau.
Michael retrouva Ned près de la piscine.
- Il me faut un joint, chuchota Michael en examinant la foule. Si je dois être parano, autant que ce soit pour une bonne raison.
- À ta place, je ne ferais pas ça ici, l'avertit Ned.
- Hein ?
- *** est un peu vieux jeu.
- Bon, dit Michael tout en regardant autour de lui. J'ai pigé.
L'arrivée de la star fut annoncée par des aboiements d'allégresse à la grille. En fait, les chiens furent les seuls à accueillir officiellement le maître de maison, remarqua Michael. La plupart des types qui traînaient autour de la piscine donnaient l'impression de très bien connaître les lieux, mais aucun n'alla accueillir leur hôte.
Ils ne le connaissent pas non plus, comprit Michael.
L'idole avait les cheveux plus gris qu'il n'aurait cru, et elle avait aussi un peu de ventre. Mais *** était vraiment magnifique, c'était un titan qui surclassait sans peine cette pépinière d'hommes pourtant plus jeunes et plus beaux. Quand il s'agenouilla et prit le bâtard éclopé dans ses bras, il conquit totalement le coeur de Michael.
- Viens, dit Ned. Je vais te présenter.
- On ne peut pas attendre un peu ?
- Pourquoi ?
- Ben... Il ne va pas être débordé, pendant un moment ?
Ned sourit avec indulgence et se leva.
- Alors viens quand tu voudras, OK ?
Michael resta assis silencieusement au bord de la piscine, tandis que les bavardages reprenaient leur cours.
- Il doit prendre des médicaments géniaux, fit une voix derrière lui.
- Qui ? demanda une autre.
- Le pape.
- Hein ?
- Ben oui, il est sous analgésiques depuis l'attentat, non ? Et c'est le pape, non ? Alors on doit lui donner des trucs sensationnels.
- Ouais, j'y avais pas pensé. Je t'ai raconté qu'Allan Carr voulait que je joue dans Grease 2 ?
Michael se leva et se dirigea vers le buffet où Guido vidait les cendriers en grommelant. Il n'était plus Mme Danvers à Manderley. Il était devenu Mammy à Tara, obligée de recevoir les Yankees malgré elle.
- Où est Ned ? s'enquit Michael.
- Dans la salle de projection, avec ***, répondit Guido.
Michael respira donc un bon coup et alla les rejoindre.