Le premier au courant.

 

Revenu aux Verts Pâturages, Michael déversa le récit de ses aventures au rodéo dans l'oreille d'un Ned toujours aussi indulgent. La saga en perdit toute sa saveur : le bref épisode du slow avec l'ouvrier en bâtiment apparaissait à présent comme un fantasme masturbatoire éculé, sans le côté merveilleux et privilégié qu'il avait eu sur le moment.

Ce soir-là, il tenta d'invoquer l'esprit de son week-end en écoutant de la country sur la station de radio KSAN, mais Willie Nelson sonnait bizarrement creux dans une pièce remplie de meubles en bambou et de kitsch Art déco. Les cow-boys ne collectionnaient pas les bibelots en porcelaine.

Du coup, il descendit fumer un reste de joint dans la cour, sur le banc. L'herbe, le silence et le mince croissant de lune qui brillait entre les arbres le rendirent encore plus contemplatif que d'habitude.

Contemplatif ? Mon cul : il était tout bonnement déprimé, oui !

Rien de bien grave, évidemment. C'était une dépression mineure, causée par l'ennui, la solitude et le sentiment aigu d'avoir une vie incroyablement ordinaire. Ça passerait, il le savait. Il ferait en sorte que ça passe.

Mais par quoi ce sentiment de vide serait-il comblé ?

La pendule indiquait 3h47 lorsque le téléphone sonna.

Il sortit de son lit en titubant et plongea sur l'appareil.

- Ça a intérêt à être important, dit-il.

- Ça l'est.

Le petit rire de Mary Ann était reconnaissable entre mille. Michael s'installa dans un fauteuil.

- Qu'est-ce qu'il y a, Babycakes ?

- Brian et moi, on se marie !

- Là, maintenant ?

Un autre gloussement.

- Le mois prochain. Tu es furieux, non ?

- Furieux ?

- Que je t'aie réveillé. On voulait que ce soit officialisé. Et la seule chose qu'on ait trouvée pour ça, c'était de t'appeler.

Michael était tellement touché qu'il faillit en pleurer. Mais en fait, il ne trouva rien à répondre.

- Mouse ? Tu es encore là ? Tu vois que tu es furieux ! Écoute, on se parlera...

- Tu rigoles ? C'est fabuleux, Babycakes !

- N'est-ce pas ?

- Il était temps. Tu es enceinte ?

- Même pas ! s'exclama Mary Ann. C'est à ne pas croire, hein ?

- Et Brian ?

Il l'entendit parler à Brian, manifestement, ils étaient couchés :

- Il demande si tu es enceint.

Brian prit l'appareil.

- Cette salope m'a foutu en cloque ! hurla-t-il.

- Il fallait bien que quelqu'un le fasse ! plaisanta Michael.

- Tu es tout seul ?

- Ben non, répondit Michael. Je vais te passer Raoul pour que tu lui dises bonjour.

- Non, pas la peine...

- Du calme, dit Michael. Je déconne.

- Andouille !

- Excuse-moi...

- Je m'imaginais déjà un Québécois mal rasé.

- C'est drôle, s'esclaffa Michael, moi aussi ! Bon sang, Brian... C'est tellement génial !

- Ouais... Eh bien, on voulait juste que tu sois le premier au courant.

- Vous avez eu parfaitement raison !

- On t'embrasse, mec. Je te repasse Mary Ann. Elle a d'autres histoires à te raconter.

- Mouse ?

- Oui ?

- Tu as une télé, au boulot ?

Michael réfléchit un instant.

- Ned a un poste portable qu'il apporte de temps en temps.

- Bon. Dis-lui de l'apporter mardi. Je veux que tu regardes l'émission.

- Les Bonnes Affaires ?

- Est-ce que j'en ai une autre ? Pas la peine de regarder le film... Juste mon petit truc au milieu. Je crois que ça t'amusera un peu.

- J'imagine. Tu as découvert une astuce pour utiliser les bouteilles d'eau de Javel vides ?

- Contente-toi de regarder l'émission, et ne fais pas le malin.

- Compte sur moi.

- Et dors bien. On t'aime.

- Je sais.

Mais connaissant la nouvelle, il n'en dormit que mieux.

 

 

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