Si votre ramage, etc.
S'il fallait en juger par ce qu'on trouvait à Reno, le chiffre 6 avait fini par vouloir dire : hôtel pas cher. Outre l'original (le Motel 6 où les chambres, dans le temps, avaient vraiment été à six dollars la nuit), Michael et Bill eurent le choix entre le Western 6 Motel (à côté d'un restaurant Denny's) et le 6 Gun Motel (à côté du champ de foire).
Ils optèrent pour le 6 Gun, parce que Michael avait jugé que le thème western de ce week-end devait être exploité jusqu'au bout... Et il ne fut pas déçu. Sur les tables de chevet trônaient des lampes dont le pied était en forme de pistolet, canon vers le haut ; il y avait également, dans le vestibule, un énorme chapeau de cow-boy en plastique accroché sur le mur.
- Ah, l'Ouest ! s'exclama Michael en ouvrant les rideaux pour laisser entrer le soleil.
- Je te signale que tu habites déjà l'Ouest, précisa Bill en continuant de défaire ses bagages.
- Ouais, dit Michael, mais parfois, il faut aller un peu à l'est pour retrouver vraiment l'Ouest.
- Quelle vue on a ?
- Une vue imprenable sur la station-service Exxon et les collines au-delà.
- Génial ! grogna Bill.
- Il y a également sept, viens constater toi-même, sept homosexuels qui se dorent au soleil sur les trois mètres carrés de pelouse entre nous et la station-service. Je me demande si la ville est prête à accepter une telle invasion...
- Les machines à sous ne font pas la différence entre l'argent rose et l'autre.
- Je n'en suis pas sûr, dit Michael. Selon les journaux, le gouverneur n'est pas très enthousiaste. Et après la une de l'Examiner, la bonne société doit être un peu inquiète à l'idée de voir les pédales squatter le Nevada.
- Quelle une ?
- Tu sais bien... L'article sur le MGM Grand Hotel : ORGIE GAY, TRAGIQUE INCENDIE AU MGM.
- Ah oui !
- Réfléchis ! Tout Reno pourrait très bien finir en flammes, cette nuit !
Un panneau en plastique noir planté au bord de l'autoroute annonçait la manifestation aux automobilistes : RODÉO HOMOSEXUEL À RENO. Tandis que Bill garait sa TransAm sur le parking poussiéreux, Michael commença à réfléchir à voix haute :
- Bon. Alors, d'après toi, combien de ces mecs sont de vrais cow-boys ?
La question le concernait personnellement. Avec ses bottes Danner, achetées une semaine auparavant, il avait l'impression d'avoir des semelles de plomb. Sa chemise de cow-boy crème (avec pour motifs des oies sauvages!) lui semblait aussi peu crédible qu'un smoking sur un marin en permission.
- Pour commencer... Celui-là, non ! dit Bill en désignant du doigt un grand brun nerveux.
Le type arborait un T-shirt qui proclamait : TOUR DE MANÈGE, 5 cents.
Michael remarqua d'autres signes d'usurpation d'identité. Trop de débardeurs couleur pastel. Trop de stetsons qui ressemblaient de manière louche à ceux qu'on achète chez All-American Boy. Trop de corps façonnés sur machines Nautilus, trop bien moulés dans leurs T-shirts qui, par exemple, annonçaient effrontément : CELUI QUI ME PREND AU LASSO A LE DROIT DE ME MONTER...
L'un des visiteurs, pour l'occasion, avait remplacé l'anneau qu'il portait au sein par un minuscule éperon en argent, mais Michael trouva que ce n'était pas très convaincant.
- Seigneur ! s'étrangla-t-il en découvrant tous les pectoraux héroïques exhibés à l'entrée du terrain de rodéo. Mais d'où viennent-ils ?
- Pas de leur ranch ! ironisa Bill. Les vrais cow-boys ont du bide.
- Sois pas aussi blasé. Il y en a forcément un de vrai.
- Sûr, répliqua Bill. Il y a bien plusieurs authentiques coiffeurs.
Le défaitisme de Bill commençait à porter sur les nerfs de Michael. Une fois sur le terrain, il se concentra sur la manifestation elle-même : brutales démonstrations de capture de veaux au lasso, rodéo sur taureaux et traite de vaches sauvages. Cette dernière compétition devait rassembler une lesbienne, un travesti et un macho, un assortiment qui en soi était déjà un exploit.
Avant le milieu de l'après-midi, la plupart des spectateurs avaient tombé la chemise et leur nudité colorait les gradins d'une belle nuance d'acajou. La bière coulant à flots, presque personne ne put résister à l'envie de taper dans ses mains pour accompagner les Texas Mustangs, présentés comme le seul groupe de country pédé de l'État.
- J'aime bien ça, dit Michael. Tout le monde est détendu. Faire son cinéma paraît plus difficile.
- Ouais, fit Bill. Attends seulement ce soir !
- La fête, tu veux dire ?
Bill hocha la tête avec suffisance :
- Quand ils se seront débarrassés de toute cette poussière, tu vas les voir, les folles disco !
Michael ne voulut pas partager cette opinion.