Coup de bol.

 

Une sensation de déjà-vu qui se mêlait à une nausée envahit Mary Ann lorsqu'elle traversa avec Mme Madrigal le hall de l'hôpital St Sebastian.

C'était là que Michael avait été soigné pour son syndrome de Guillain et Barré cinq ans plus tôt ; là, également, que se trouvait la sinistre boutique de fleurs où l'homme aux implants dissimulait ses morceaux de cadavres destinés à approvisionner la secte cannibale de la Grace Cathedral.

Le souvenir le plus macabre de Mary Ann, cependant, était l'emblème même de l'hôpital : un portrait ancien de saint Sébastien transpercé de flèches, qui était accroché fièrement au-dessus du bureau d'accueil.

Mme Madrigal prit le bras de Mary Ann et la détourna de la vision du saint :

- Allons, ma chérie. Je connais le chemin. Cet endroit empeste le catholicisme.

Elles prirent l'ascenseur jusqu'au troisième. Quand elles en sortirent, Jon les attendait. Le simple fait de le voir fit craquer le masque impassible que Mary Ann s'était efforcée d'arborer pendant tout le trajet. Elle lui tomba dans les bras, en pleurs.

- Drôle de réception, hein ? fit-il en lui caressant doucement la tête.

- Ils sont réveillés ? demanda-t-elle.

- Brian l'est, l'informa le médecin. Michael s'est endormi il y a une petite heure. Vous lui avez tout raconté en détail ?

La question s'adressait à Mme Madrigal, qui répondit :

- J'ai fait de mon mieux...

- Il a eu le poumon perforé, confia Jon à Mary Ann. C'était le plus grave. C'est un trou étonnamment petit... tout bien considéré.

Mary Ann trouva cette précision épouvantable :

- Ils l'ont opéré ?

- Non, ce n'était pas si sérieux que ça. Ça devrait se refermer tout seul. On l'a intubé pour que ça se fasse plus facilement. Ça n'est pas aussi dramatique que ça en a l'air, Mary Ann. C'est ce qu'il fallait surtout que tu saches.

- Mais je croyais qu'il avait été... touché trois fois ? Elle n'arrivait pas à prononcer le mot fatal.

- Deux des coups ont été déviés par les côtes, précisa le médecin. Il a eu beaucoup de points de suture, mais ils sont tous sur la cage thoracique. Il respire normalement, maintenant... Mais ça va changer dès qu'il te verra, j'en suis sûr.

- Et Michael ?

- Une grosse bosse, une demi-douzaine de points de suture... Il va bien... En tout cas, il se remettra très vite.

Il regarda gravement Mary Ann.

- On a eu du bol, hein ?

- Si on peut dire.

- On peut. On doit, même.

 

Brian avait la tête tournée vers la fenêtre lorsque Mary Ann entra dans la chambre. Sa poitrine n'était qu'un vaste pansement. Les tubes qui sortaient du trou sur le côté étaient reliés à une sorte de pompe-réservoir installée à côté du lit.

Chaque fois qu'il expirait, un objet qui ressemblait à une balle de ping-pong rebondissait follement dans le réservoir. Un autre tuyau (une perfusion, sans doute) était fiché dans son bras.

Michael dormait dans le lit voisin, la tête empaquetée dans un énorme bandage.

- C'est moi, dit Mary Ann en arrivant au chevet de Brian.

Celui-ci roula la tête vers elle et sourit :

- Bonjour, ma chérie.

Mary Ann s'approcha plus près encore, souffrant pour lui dans sa propre chair.

- Il y a un endroit qu'on peut embrasser ? demanda-t-elle.

Une grosse larme coula sur la joue de Brian.

- Reste là et laisse-moi te regarder, souffla-t-il. Elle ne bougea plus, les bras le long du corps.

- Comme ça, ça va ?

- C'est parfait.

- Tu veux que je te montre un peu mes cuisses ?

Elle n'avait jamais vu un adulte rire et pleurer tout à la fois.

- Bon sang ! sanglota-t-il. Je t'aime tellement !

- Brian, enfin !... Si tu pleures, je vais m'y mettre aussi...

- Je ne peux pas m'en empêcher. Je n'ai jamais été aussi heureux de voir quelqu'un. De toute ma vie !

Elle prit un Kleenex sur la table de chevet et lui tamponna les joues.

- Calme-toi, maintenant... Je suis revenue. Je suis tellement désolée de n'avoir pas été là, Brian.

- Qu'est-ce que tu racontes ? Comment aurais-tu pu savoir ?

- D'accord, mais tu avais besoin de moi et...

- Laisse pisser ! Tu as retrouvé les gosses ?

- On les a retrouvés, oui.

- Ils vont bien ?

- Ils vont très bien.

- Alors tu as très bien agi.

Mary Ann reprit le Kleenex et se moucha.

- Combien de temps dois-tu rester ici ? demanda-t-elle.

- Deux semaines. Peut-être trois.

- Alors on le fera ici.

- Quoi ?

- Le mariage. Tu avais oublié ?

- Non... Mais...

- C'est oui ?

- Mais tu voulais une célébration en plein air...

- Tant pis pour le jardin. Je veux t'épouser, moi. Et toi, tu veux m'épouser ?

- C'est tout ce que je désire!

- Je vais l'annoncer à Mme Madrigal, décida Mary Ann.

 

 

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