Nous nous sommes tant aimés.

 

Quand Jon et Michael rentrèrent à l'appartement peu après dix heures, ce dernier était considérablement plus détendu :

- Franchement, dit-il en se laissant tomber sur le sofa, je suis surpris que tu l'aies aussi bien pris.

- Quoi ? demanda Jon, qui préféra prendre un fauteuil.

- Tu sais parfaitement... Bambi. À la cave.

- J'ai vécu ici, n'oublie pas.

- Rien n'a changé, hein ? ironisa Michael.

- Pas tellement. J'étais prêt à pratiquement tout. C'est une attitude sensée.

Long silence.

- Alors, fit Jon, la jardinerie, ça se passe bien ?

- Génial ! Enfin super, quoi.

- Ça fait... combien de temps, au fait ?

Michael réfléchit un instant.

- Plus de trois ans. Trois ans au même endroit !

- Mince, est-ce qu'il n'est pas temps d'appeler le Guinness ?

- Ça me fait plaisir que ça te plaise. Cela compte.

- C'est la seule solution, convint Michael. Se farcir n'importe quoi tous les jours et recommencer, même si c'est chiant.

Le médecin l'observa un moment.

- N'importe quoi ou n'importe qui ?

- Hé...

- Excuse-moi, c'était déplacé.

- Plutôt.

Michael avait été plus blessé qu'il ne l'aurait cru.

- Est-ce toujours Ned qui dirige le magasin ? s'enquit Jon, tentant clairement de revenir sur un terrain neutre.

- Oui. Il est question que je devienne son associé.

- Tant mieux ! C'est une bonne nouvelle. Tu devrais mettre de l'argent de côté.

- Je sais, dit Michael. Me fais pas la morale.

- C'est l'impression que je t'ai donnée? demanda Jon avec un sourire implorant.

- Michael secoua la tête et lui sourit à son tour.

- C'est simplement un point... Tu sais bien : un point sensible.

- Ça l'a toujours été, observa le médecin.

Michael pianota sur le bras du sofa.

- Bon... fit-il. C'est plus quelque chose qui te préoccupe beaucoup, maintenant, hein ?

Jon ne répondit rien pendant un moment, puis il secoua la tête d'un air effaré :

- C'est tellement convaincant, bon sang !

- Quoi ?

- Toi et ton numéro de petit garçon perdu dans la tourmente. Le petit Michael seul contre le monde entier. Tu as même réussi à berner Mme Madrigal. Elle est convaincue que c'est moi qui t'ai quitté.

- Je ne lui ai pas dit ça, se défendit Michael.

- Ce n'était pas la peine. Tu as simplement baissé les yeux en prenant un air malheureux, comme d'habitude. Un jour, mon prince viendra... Je connais le refrain. Mais je vais t'apprendre quelque chose que tu ne sais pas, Michael. Ton prince est effectivement venu et tu l'as foutu dehors avec un coup de pied au cul parce que tu n'avais pas le courage d'en finir avec ton fantasme.

- Quel fantasme ? demanda Michael, interloqué.

- Qu'est-ce que j'en sais ? Le fantasme des hommes en blanc, peut-être ? Je ne sais pas... Quoi qu'il en soit, je n'étais plus capable de l'incarner et toi de supporter l'idée d'être aimé par quelqu'un de normal, comme toi. Tu es un dur, Michael, malgré tes comédies de romantique désabusé, mais pas assez dur pour supporter ça !

Michael le dévisagea, stupéfait.

- Tu te trompes tellement, rétorqua-t-il, que c'est même pas...

- Ah oui ? Comment ça se passe avec le flic, au fait ?

Michael resta bouche bée.

- Mais qu'est-ce que Mme Madrigal ne t'a pas raconté ?

- Elle m'a juste parlé du flic, répondit Jon. Et de la star de ciné. Et de l'ouvrier en bâtiment. Ce n'est pas une vie, que tu mènes, Michael : tu baises avec tout ce que San Francisco compte de pédés, les uns après les autres !

- Dis donc, attends une seconde, là!

- C'est la vérité, affirma Jon.

- En quoi ça te regarde si... ?

- Ce ne sont pas mes affairés, c'est vrai. Ce ne sont plus mes affaires depuis longtemps... Et je n'aurais rien dû dire. Sauf que Mme M. m'a demandé de... Et je voulais... J'en ai marre d'entendre ces conneries sur le pauvre petit gars dont personne ne veut ! Quelqu'un veut de toi, Michael... comme si tu ne le savais pas. Et il connaît les pires choses sur ton compte.

- Jon... Excuse-moi si...

Le médecin se leva :

- Il n'y a aucune raison de s'excuser, trancha-t-il.

Michael resta assis sans rien dire tandis que Jon se dirigeait vers la porte.

- Je resterai jusqu'au mariage. Je ne te ferai pas une deuxième scène, c'est promis.

- Est-ce que tu... ? Tu es dans la chambre de Burke, c'est ça ? Est-ce que tu as besoin de draps propres ou d'autre chose ?...

- Merci. Mme M. s'en est occupée.

- Je t'aime, dit Michael.

- Je sais, répliqua Jon du tac au tac. C'est ça, le drame, hein ?

 

 

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