Le père Paddy.

 

Ayant décidé de fouiller le parc à la recherche de son barzoï disparu, Prue Giroux passa la matinée chez Eddie Bauer afin d'y choisir la veste de safari qui conviendrait précisément pour cette tâche. À sa grande surprise, elle rencontra l'un des habitués de son Forum au rayon matériel de camping.

- Père Paddy !

Vivement, si vivement, d'ailleurs, que son crucifix effleura la poitrine de Prue le père Paddy Starr fit volte-face en arborant le sourire éclatant qui lui valait l'amour des milliers de téléspectateurs de son émission nocturne.

- Prue, ma chériiie !

Il déposa un petit baiser sur chacune de ses joues, puis il se recula comme pour examiner les dégâts qu'il aurait pu causer à la marchandise.

- Mais que faites-vous donc dans un endroit aussi rude et masculin ?

-Je cherche une veste de safari. Et vous, mon père ? On ne fait pas encore des soutanes kaki, si ?

Le père Paddy poussa un petit cri, puis un soupir théâtral.

- C'est dommage, mon enfant, bien dommage ! Ne serait-ce pas tout simplement divin ? Ce noir, c'est tellement ordinaire et lassant... d'une année sur l'autre. C'est vraiment détestable. Je meurs d'envie d'une nouvelle robe.

Prue eut un petit rire bête de connivence. Elle adorait cette façon délicieuse qu'avait le père Paddy de plaisanter sur sa "robe" et d'user du mot "divin" dans un sens séculier. Cela le rendait en quelque sorte accessible. Pas du tout comme un prêtre, plutôt comme un... décorateur religieux.

En fait, ajouta le prêtre sans reprendre son souffle, je cherche désespérément un panier de pique-nique tout simple et de bonne qualité. J'ai promis à Frannie Halcyon de l'emmener à Santa Barbara voir le suaire de Turin.

- Ah ! s'empressa de dire Prue. Et qui joue dedans ?

Le père Paddy fit semblant de réfléchir un moment, puis expliqua :

- En fait, mon enfant, ce n'est pas un opéra. C'est un... Eh bien, c'est un suaire, le linge dans lequel le Christ a été enseveli. En tout cas, c'est ce qu'on pense. Une histoire tout à fait fascinante, vraiment, et c'est la dernière folie dans les milieux ecclésiastiques.

- Comme c'est merveilleux ! lança Prue.

Le père Paddy se rapprocha comme pour lui dévoiler une information confidentielle :

- Encore plus excitant que les expositions Toutankhamon et Tiffany réunies. Vous devriez en parler, dans votre rubrique.

Prue sortit son stylo Elsa Peretti de son sac Bottega et gribouilla un mot sur son minuscule carnet Florentine.

- Alors, gazouilla-t-elle une fois qu'elle eut tout rangé, je dirais que vous méritez bien un peu de vacances... Après toutes ces affreuses histoires avec les... militants qui ont essayé de chanter à St Ignace.

Le père Paddy hocha tristement la tête :

- Le choeur des homosexuels ? Oui, c'est un très regrettable incident. Affreux. L'archevêque, Dieu le bénisse, était le dos au mur. Si j'ose dire.

Prue secoua la tête avec compassion.

- Il y a des gens qui ne savent pas où s'arrêter, je le crains, remarqua-t-elle.

Autre hochement de tête, encore plus grave.

- Ils pourraient louer une salle, ajouta Prue.

- Bien sûr, qu'ils pourraient. Nous sommes des libéraux, vous et moi. Ce n'est pas que nous soyons hostiles aux... eh bien, aux droits de l'homme et à ce genre de choses. Nous éprouvons des sentiments. Nous aimons autrui. Nous tendons la main à ceux qui ont besoin de notre amour. Mais un choeur d'homosexuels ! Chanter dans une église ! Pitié ! J'ai suffisamment vécu pour savoir à partir de quand on sombre dans le mauvais goût !

 

Le chauffeur de Prue la déposa devant la serre de Golden Gate Park peu avant midi.

Il avait pour ordre de revenir la prendre dans deux heures.

Si les efforts de Prue se révélaient infructueux, elle pourrait recommencer ses recherches dans un autre coin du parc, passant chaque mètre carré au peigne fin jusqu'à ce qu'elle retrouve le chien... Ou ne le retrouve pas. Prue se résignait à la seconde hypothèse, mais elle savait qu'elle ne se le pardonnerait jamais si elle n'essayait pas.

Comme elle avait perdu Vuitton dans les fougères géantes, c'est par là qu'elle commença ses recherches, au beau milieu de cet entrelacs luxuriant de plantes d'un autre monde.

Un instant émue par la beauté qui l'entourait, elle s'arrêta et griffonna dans son calepin : "Si W appelle, demander à être prise en photo dans les fougères." Elle pensait qu'on lui demanderait des clichés pour le poster d'été du magazine. Pourquoi se faire tirer le portrait chez soi, avec un air de matrone rigide, comme toutes les autres, alors qu'on pourrait la prendre là, dans ce cadre exotique, sauvage et libre comme un cacatoès à plumes blanches ?

Elle reprit l'allée goudronnée qui contournait les fougères et remonta ensuite théâtralement dans le parc en direction d'un bois touffu bordé d'eucalyptus.

- Vuitton ! appela-t-elle. Vuitton !

Une vieille hippie qui portait des sandales Birkenstock et un poncho à franges croisa Prue en fronçant les sourcils.

Mais Prue était trop absorbée dans ses recherches.

- Vuitton !... Vuiiitton !...

 

 

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