A Starr is born.
Les vêtements commandés chez Wilkes Bashford arrivèrent chez Prue une demi-heure avant le père Paddy.
- Qu'en pensez-vous ? demanda le prêtre sans reprendre son souffle. Daniel Detorie m'a aidé avec ses conseils. Je sais que j'en ai un peu trop fait pour les chemises Lacoste, mais les couleurs étaient tellement appétissantes que je n'ai pas pu résister.
- Elles sont très bien, répondit Prue, presque indifférente.
Elle se rendait compte qu'elle était bouleversée, parce qu'elle savait à présent que cela allait arriver. Cela allait vraiment arriver. Elle s'efforça de sourire.
- Je ne peux pas y croire, vous vous êtes donné tellement de mal !
- Pfft ! fit le père Paddy. Tout le plaisir était pour moi, ma chère. C'était la première fois qu'on me laissait en liberté chez Wilkes.
Il sortit un blazer bleu de sa boîte.
- C'est un Brioni. J'ai eu du mal à choisir avec le blazer Ralph Lauren, qui était à quatre cents, mais pas aussi bien coupé que le Brioni. Et comme nous voulons produire de l'effet, huit cents m'a paru un chiffre raisonnable. Est-ce qu'il est allé chez le coiffeur ?
- Je ne crois pas, avoua Prue.
Le père Paddy leva les yeux au ciel :
- Il ne peut pas monter sur ce bateau avec son look d'homme des bois de Bornéo, ma chère !
- Je sais, mais si on lui gomine les cheveux en arrière...
- Pas question. Je vais lui faire envoyer un coiffeur et une manucure pour dimanche.
Il poussa un soupir théâtral.
- Mon Dieu, comme c'est amusant, n'est-ce pas ?
- Je suis encore tellement inquiète !
- Mais non. Ça ira comme sur des roulettes, répliqua le prêtre en sortant un étui de sa poche. Alors, voici les billets, mon enfant. Vous embarquerez entre trois heures et quatre heures et demie dimanche prochain. La suite de Luke est à côté de la vôtre, deux portes plus loin sur le même pont. Vous pouvez embarquer à une demi-heure d'intervalle, si vous voulez, pour que personne ne se doute de rien. Bon... Il passe la nuit de samedi ici, j'espère ?
- Oui. J'ai donné congé à ma secrétaire.
- Très bien... Fine mouche !
Prue feuilleta les billets en plissant le front :
- Attendez un peu... Le billet est au nom de Sean P. Starr.
- Tout à fait, fit le père Paddy avec un sourire narquois. Votre serviteur.
- Mais... Luke ne peut pas se faire passer pour vous, mon père.
- Et pourquoi donc ?
- Mais c'est bien trop risqué. Et s'il faut qu'il montre ses papiers ?
- Il montrera les miens. C'est compris dans l'organisation du voyage, mon enfant.
- C'est très gentil, mais... Eh bien, Luke ne voudra pas, j'en suis sûre.
- Il ne voudra pas quoi ?
- Faire semblant d'être un prêtre.
Le père Paddy lui tendit ses papiers.
- Montrez-moi où il est précisé qu'il s'agit d'un prêtre. Il sera tout simplement Sean Starr, bon vivant et globe-trotter, un charmant célibataire de cinquante ans qui, pendant une croisière en Alaska, rencontre par hasard sur un paquebot une charmante chroniqueuse mondaine du même âge. Quoi de plus naturel ? Ou de plus romantique, pour le coup ? Ce sera du miel, pour vos lecteurs !
Prue éclata de rire pour la première fois de la journée :
- Vous êtes d'un machiavélisme, mon père !
Le prêtre accepta le compliment avec une petite courbette modeste.
- Le reste vous regarde, mon enfant. C'est tout ce que peut faire l'Église pour les questions séculières. Cela dit, si j'étais vous, je me reposerais totalement sur son passé de courtier en Bourse. C'est bien ce que vous m'avez dit qu'il était, autrefois ?
- Oui. Il y a très longtemps. Avant d'être prédicateur.
- Courtier, pour notre affaire, c'est ce qui convient le mieux. Et comme c'est vrai, ça peut toujours servir. Il se pencha et donna à Prue un baiser fougueux sur la joue.
- Oh, Prue... C'est une telle aventure qui vous attend... Une telle aventure !
- N'est-ce pas ? gloussa-t-elle.
- Et vous offrez à ce pauvre homme un nouveau début dans la vie. C'est quelque chose dont vous pouvez être fière... et, par la même occasion, qui vous fournira matière à article. Je veux des détails croustillants, ma chère. C'est tout ce que je demande comme salaire pour mes services. Au fait, vous l'aimez ?
- Oh, oui !
Dans ce cas, il le verra pendant deux pleines semaines, ma chère. Il le verra et il ne redeviendra plus jamais ce qu'il était. Certaines personnes sont faites l'une pour l'autre, mon enfant, et quand cela arrive, presque tout est possible. Bien... Maintenant, quel genre de coiffeur voudriez-vous ?
À Hillsborough, c'était DeDe qui donnait les dernières consignes avant le départ.
- Détends-toi, maman, c'est ça le plus important. Détends-toi et savoure la présence de tes petits-enfants... Mais pour l'amour du ciel, ne dis à personne qui ils sont ou tu ruineras tout notre plan.
- Alors, qu'est-ce que je suis censée dire ?
- C'est simple. Ce sont tes petits-enfants adoptifs. Des orphelins vietnamiens dont tu t'occupes pendant l'été.
- Mais personne ne va croire cela ! s'indigna Frannie.
- Ah bon ? C'est beaucoup plus vraisemblable que la vérité, non ?
Silence.
- Je sais que tu vas avoir envie de te vanter, maman. Mais il ne faut pas. Devant personne. Tu auras tout le temps de fêter cela avec tes amies une fois l'affaire dévoilée.
- Et si je rencontre quelqu'un que je connais ?
- Ça n'arrivera probablement pas. Il y a des années que les croisières font trop petit-bourgeois pour tes amies. Mais si ça se produit, tu ne changes rien : tu ajoutes "adoptifs" chaque fois que tu prononces le mot "petits-enfants" et ça passera comme une lettre à la poste. OK ?
Frannie hocha la tête à contrecoeur :
- Je trouve cela quand même affreusement bête.
- Maman !
DeDe avait pris son ton de femme d'affaires.
- Peut-être que tu trouves que ça fait bête, mais c'est vital. Tu as bien compris ? Il suffit d'un rien pour qu'il y ait une fuite. Même quelqu'un de bien intentionné risquerait de tout raconter à la presse avant qu'on ait eu le temps de dire ouf. Rappelle-toi ce que disait papa : "Les langues trop bien pendues font couler les navires."
Frannie fronça le nez :
- Je me serais bien passée de tes métaphores de fuites et de navires qui coulent.
- Excuse-moi, c'est un choix de mots malheureux, s'exclama DeDe avec un petit rire nerveux. Oh, maman, j'espère que tu vas t'amuser comme jamais !
- Oui, oui, dit Frannie. On s'amusera, tous les trois.