Magnie.
Le petit Edgar et sa soeur Anna traversèrent en courant la pelouse jaunie d'Halcyon Hill et prirent d'assaut leur grand-mère sur la terrasse, chacun s'emparant joyeusement d'une jambe.
- Magnie, Magnie, regarde !
Frannie posa sa tasse de thé sur la table en verre et sourit aux enfants. Quatre ans déjà...
- Qu'est-ce qu'il y a, mes chéris ? Qu'est-ce que vous voulez montrer à Magnie ?
La petite Anna tendit son poing fermé et l'ouvrit.
C'était une petite grenouille grise, palpitante comme un coeur, qu'on lui proposait d'examiner. Frannie fronça le nez, mais fit de son mieux pour avoir l'air d'apprécier l'attention.
- Eh bien, regardez-la ! Tu sais ce que c'est, Edgar ?
Edgar fit non de la tête.
- C'est une guenouille, déclara Anna, un peu prétentieuse.
Edgar jeta un regard de dédain à sa jumelle.
- C'est moi qui l'ai trouvée, lança-t-il avec un air de défi, comme pour faire valoir un plus grand mérite que celui d'un vocabulaire étendu.
- Eh bien, c'est tout simplement merveilleux ! conclut Frannie. Mais je crois que vous devriez la rapporter là où vous l'avez trouvée.
- Pourquoi ? demandèrent en choeur les jumeaux.
- Mais... Parce ce que c'est une créature de Dieu et que je crois bien que c'est un bébé. Sa maman lui manque sûrement. Vous ne voudriez pas que quelqu'un vienne vous enlever à votre maman, n'est-ce pas ?
Quatre yeux en amande s'écarquillèrent et deux têtes firent "non".
- Eh bien, alors... courez vite la remettre exactement là où vous l'avez trouvée et Magnie vous fera une grosse surprise quand vous reviendrez.
Frannie les regarda retourner à toutes jambes vers la roseraie, ravie de la simplicité classique de la scène. Elle était certaine d'avoir prononcé les mêmes mots, au même endroit, en plus, lorsque DeDe avait leur âge.
- Je peux te parler, maman ?
Mme Halcyon se tourna et vit derrière elle la DeDe d'aujourd'hui, mince, belle et l'air plus décidé que d'ordinaire.
- Bonjour, ma chérie. Mary Ann va-t-elle se joindre à nous pour le thé ?
- Elle vient de partir.
Frannie donna à sa fille un baiser sur la joue, puis regarda en direction des jumeaux, tout attendrie.
- Quelle joie de les avoir ! Tu ne peux pas savoir...
DeDe eut un sourire las :
- On dirait qu'ils t'ont adoptée, en tout cas. Maman, on pourrait parler un instant ?
- Mais bien sûr, ma chérie. Quelque chose ne va pas ?
DeDe secoua la tête.
- Je crois que ça va te plaire. J'espère que ça va te plaire.
Emma occupa les enfants en leur faisant manger des glaces dans la cuisine, tandis que DeDe se trouvait avec sa mère sur la terrasse et lui expliquait ce qu'elle avait en tête :
- Mary Ann va publier l'histoire, mais pas tout de suite... Disons d'ici à une semaine, environ. Nous avons pratiquement mis ça au point. Seulement... je crois qu'il faudrait que toi et les enfants ne soyez pas en ville à ce moment-là.
- Quoi ?
- Réfléchis, maman. Quoi qu'on fasse, la publicité que ça va nous valoir sera insupportable. Je ne veux pas que toi et les enfants soyez obligés de subir ça.
- C'est très gentil, ma chérie, mais ça arrivera tôt ou tard, n'est-ce pas ?
- Oui. Dans une certaine mesure... Mais les choses se seront tassées, entre-temps, et je crois que tu seras plus reposée pour affronter la suite des événements.
DeDe tendit à sa mère la page "Voyages" du Chronicle.
- Je trouve que ce serait merveilleux. Il paraît que c'est le plus spacieux paquebot de croisière qu'il y ait et il part pour...
- DeDe, mais enfin...
- Écoute-moi bien, maman. Il part pour l'Alaska la semaine prochaine pour une croisière de deux semaines. Vous verrez les glaciers et les ravissantes petites maisons russes anciennes de Sitka...
- DeDe, je suis touchée par ton attention, mais... Eh bien, je me plais ici, ma chérie. Et je ne pense vraiment pas que la publicité sera trop pénible pour moi...
- Maman, je veux que les enfants quittent la ville !
Frannie fut décontenancée par la violence de cette phrase.
- Ma chérie, je ferai tout ce que tu voudras. C'est simplement que je ne comprends pas pourquoi c'est aussi... eh bien, important pour toi.
DeDe se ressaisit.
- Contente-toi de me faciliter les choses, maman. S'il te plaît. C'est un très beau voyage. Les jumeaux adoreront et tu ne les en connaîtras que mieux. C'est parfait, je t'assure.
Elle regarda Frannie d'un air presque suppliant.
- Tu ne crois pas ?
Frannie hésita, puis elle prit tendrement sa fille dans ses bras et dit :
- Cela me semble très bien.