En route pour Hollywood.
La camionnette de Ned Lockwood était garée sur Leavenworth lorsque Mary Ann descendit l'escalier de bois branlant de Barbary Lane. Il lui fit un salut facétieux en portant sa grosse main à son front. Il avait le crâne aussi brun que le cuir tanné d'une selle de cheval.
- Michael arrive dans une minute, dit-elle. Il est en train de faire son choix entre quinze coloris différents pour sa Lacoste.
Ned grimaça un sourire et leva les mains au ciel avant de les reposer sur le volant.
- Où vas-tu comme ça ? s'enquit-il.
Mary Ann se renfrogna :
- Au boulot. Tout le monde n'a pas la chance d'aller passer un week-end chez une star du cinoche.
Elle brandit un gros sac en plastique.
- Un charmant petit ouah-ouah, ça te dit ?
Ned regarda dans le sac.
- Des bestioles empaillées ? Pour quoi faire ?
- À ton avis ? Mon émission, évidemment.
- Les fameuses bonnes affaires, hein ?
- Oui, des soldes. Bon Dieu, ce que ça me déprime, Ned ! Tire-moi de là, je t'en supplie. Enlève-moi, fais quelque chose. Est-ce que *** n'a pas un petit bungalow en trop où je pourrais me cacher ?
- Je crois que ça va être un de ses week-ends strictement réservés aux mecs, objecta Ned avec un large sourire.
- Ce que c'est bête ! murmura Mary Ann.
- Je trouve, aussi. C'est un peu un pédé vieux jeu.
- Tu parles. Et moi, je pourrais pas être une fille à pédés vieux jeu ?
Ned renversa la tête en arrière et éclata de rire :
- Si seulement il était un peu moins sectaire !
Mary Ann s'efforça de faire bonne mine.
- Alors, vous m'abandonnez tous les deux à mon triste sort ?
- Tu es une star, toi aussi, affirma Ned. Les stars ne sont pas censées être malheureuses.
- Une star, moi ?
Comme moyen d'attirer les compliments, c'était un peu usé, mais dans l'état où elle était, elle aurait fait n'importe quoi pour se l'entendre confirmer.
- Ma tante d'East Bay dit que tu es une star. Elle regarde ton émission tous les jours.
- Ah. Le genre à porter des lunettes style arlequin, c'est ça ?
Ned sourit.
- Sans parler des livres Harlequin ! Et une chambre remplie de caniches en laine qu'elle fabrique avec sa machine. Je me trompe ?
- En fait, corrigea Ned, elle fait des tapis avec de vieilles cravates.
- Je vois, fit Mary Ann.
Michael apparut en haut des marches, arborant un polo abricot, un pantalon en lin blanc et des Topsiders vert émeraude.
- Regarde-moi ça, dit Ned. Si c'est pas du pur Los Angeles, ça !
Michael vint faire inspecter sa tenue par Mary Ann.
- Très joli, concéda-t-elle. Mais tes fringues seront complètement froissées le temps d'arriver là-bas, au royaume des fumées de pot d'échappement.
- Eh bien, je me changerai une fois arrivé.
Il lui colla un petit baiser sur la bouche et sauta dans la camionnette.
- Si je ne reviens pas dans trois jours, envoie la police montée.
- Fais-lui porter un maillot, recommanda Mary Ann à Ned.
- Ça ne va pas être facile, fit remarquer Ned.
- Je sais. L'autre jour, au Bout du Monde, il a failli se cramer les fesses !
Comme d'habitude, il n'y avait pas de place libre dans les environs des studios. Elle finit par se garer en effraction dans une impasse de Van Ness et laissa une carte de presse périmée sur le tableau de bord.
À la réception, elle passa en courant devant le vigile qui mangeait des Cheetos, sauta dans l'ascenseur et enfonça rageusement le bouton du troisième étage.
Elle regarda sa Casio : 2 h 38. Mince, elle exagérait un peu, ces derniers temps... Naguère, elle arrivait deux heures avant l'émission. À l'époque, il est vrai, elle trouvait ces conneries passionnantes.
Bambi Kanetaka sortait de la loge lorsque Mary Ann arriva.
- Salut, fit Mary Ann. Pourquoi es-tu là si tôt ?
- On tourne en extérieurs, dit la présentatrice. Larry a dégotté une fille qui était la maîtresse du Tueur des parkings. Qu'est-ce qu'il y a dans le sac ?
C'était incroyable comme Bambi avait le don de trouver directement ses points faibles.
- Des articles déclassés, c'est tout, marmonna Mary Ann.
- Waouh ! dit Bambi en jetant un coup d'oeil dans le sac. Ce qu'ils sont chou ! Franchement, c'est toi qui fais les trucs les plus sympas, Mary Ann. J'en ai tellement marre de tous ces...
Elle poussa un soupir où se lisait toute la lassitude du monde.
- Tu sais : les trucs chiants.
Le maquilleur, qui rentrait juste de l'enterrement de sa grand-mère à Portland, était tout en blanc et chaînes en or, son idée du costume de deuil.
- ... Alors je suis allé à la chapelle et j'ai insisté... Regarde en l'air, chérie, tu veux... Comme ça, oui... J'ai insisté pour qu'ils ouvrent le cercueil... Tourne un peu à gauche, maintenant... Alors ils ont ouvert et qu'est-ce que je vois sur les lèvres de mamie ? Du rose téton ! Je te jure, vraiment... Lève la tête, chérie... Alors j'ai dit : "Laissez-moi m'en occuper, parce que ma mamie ne portera rien d'autre que du rouge Suce-bites quand on la mettra en terre..."
Denny passa la tête par l'embrasure.
- Ah, te voilà !
Elle détestait qu'on lui dise "Te voilà !" quand ça voulait dire en fait : "D'où sors-tu ?"
- T'as encore la bonne femme en ligne, lui dit l'assistant de production.
- Quelle bonne femme ?
- La poivrote. Elle a fini par épeler son nom, cette fois. C'est Halcyon, pas Harrison.
- Mon Dieu ! fit Mary Ann.
- Ça te dit quelque chose ?
- Je crois que j'ai travaillé pour son mari.
Elle regarda la pendule : encore six minutes avant l'antenne.
- Dis-lui que je la rappelle juste après la première partie.