D'or.

 

En cette soirée de juin, la R5 Le Car de Mary Ann roulait le long de Skyline Drive.

- Mon Dieu ! fit DeDe en regardant le coucher de soleil sur la mer. C'est diaboliquement beau.

- Ça oui, approuva Mary Ann.

- Ça ne disparaît jamais, vous savez.

- Quoi ?

- Ça. Ou du moins le souvenir qu'on en a. Même dans la jungle... même dans cette jungle-là, il y a des choses liées à la Californie qui ne m'ont jamais quittée. Même quand je le voulais.

Mary Ann hésita avant de demander :

- Pourquoi l'auriez-vous voulu ?

- Vous n'êtes pas née ici. Dans certaines circonstances, n'importe quoi peut devenir oppressant.

Elle eut comme un sourire de regret.

- Et le salut arrive au moment où on s'y attend le moins.

Mary Ann se tourna vers elle.

- Ne me dites pas que vous considérez votre expérience au Guyana comme votre salut ?

- Non. Je parlais de D'orothea.

- Ah.

- Dites-moi franchement : est-ce que ça vous gêne ?

- Pas du tout, mentit légèrement Mary Ann.

- Maman, ça la fait bondir au plafond.

- Question de génération.

- Vous la connaissiez, quand vous étiez à l'agence de papa ?

- Qui ?

- D'orothea.

- Oh... pas très bien, en fait. Elle passait seulement de temps en temps. C'était le top-model de l'un de nos plus grands clients. Pour parler franchement, elle m'intimidait terriblement.

- Elle avait... quelque chose, comme on dit, déclara DeDe. Qu'elle a toujours, d'ailleurs.

- C'était la copine d'une amie à moi : une rédactrice-conceptrice, Mona Ramsey.

- Elles étaient ensemble, oui, confirma DeDe.

- Je sais.

Mary Ann eut un sourire penaud.

- C'est ce que je voulais dire, en fait. Parfois, Cleveland reprend le dessus, chez moi.

DeDe gloussa, les yeux rivés sur le coucher de soleil.

- Vous vous en sortez bien mieux que moi. Je n'ai jamais été fichue d'apprendre quoi que ce soit avant que ça ne m'arrive à moi.

Mary Ann y réfléchit un instant.

- Je vois, dit-elle avec un air narquois. Mais qu'est-ce qui ne vous est pas encore arrivé, aussi ?

- Effectivement, concéda DeDe avec un sourire forcé.

- C'est le rêve de tous les journalistes, fit remarquer Mary Ann. J'espère que vous ne me trouvez pas trop cynique.

- Non. Je suis consciente du pont d'or que ça représente.

- Il y a de quoi en faire un livre. Peut-être même un téléfilm.

DeDe éclata d'un rire sardonique à cette idée.

- Maman serait folle de joie : "Avec Sally Struthers dans le rôle de la Lesbienne Chic." Mon Dieu !

- On devrait pouvoir faire mieux que ça, plaisanta Mary Ann.

- Peut-être... Mais je me prépare à affronter le pire.

Mary Ann considéra gravement sa passagère.

- Je ferai tout mon possible pour vous aider.

- Je sais. J'en suis convaincue. Mais pas avant la fin du mois, OK ?

- Oui. Si au moins je comprenais pourquoi.

- Si je vous le dis, vous me promettez que vous n'en parlerez pas à maman ?

- Bien sûr.

- Elle croit que j'ai besoin de temps pour me remettre, pour rassembler mon courage avant le grand cirque, quand ce sera rendu public. C'est la vérité, mais il n'y a pas que ça. Maman a toujours eu un peu de mal à supporter la vérité.

- J'avais remarqué, déclara Mary Ann avec un sourire.

- Il faut que je parle à des gens. Des gens qui savent peut-être... ce que j'ai besoin de savoir.

- Qui ? Vous pouvez me le dire ?

- Des membres du Temple. Et des gens qui le connaissaient.

- Jones ?

DeDe hocha la tête.

- Vous pourriez commencer par le gouverneur, suggéra Mary Ann. Et la moitié des hommes politiques de la ville. C'était quelqu'un de très connu, ici.

- Je sais, répliqua faiblement DeDe. En tout cas, je fais du sur-place, en ce moment, parce que je n'ai pas tous les faits en main. Et je n'ai aucune envie de passer pour une timbrée.

- Ça n'arrivera pas.

- D'ici à deux semaines, affirma DeDe, vous aurez peut-être changé d'avis.

Elles se garèrent pour regarder le soleil s'enfoncer dans l'océan.

- Je crois que j'ai fait dévier la conversation, dit Mary Ann.

- Quand ?

- Vous vouliez parler de D'orothea.

- Oui, bon... Il n'y a pas long à raconter, en fait. Juste qu'elle m'aimait. Et qu'elle me faisait beaucoup rire. Que les jumeaux l'adoraient. Qu'elle faisait l'amour comme un ange. Et que j'aimerais bien qu'elle bouge son cul de pasionaria et quitte Cuba pour revenir nous retrouver, moi et les enfants. Les trucs habituels, quoi. Ce n'est pas grand-chose.

- Jusqu'au moment où on en est privé, ajouta Mary Ann.

- Jusqu'au moment où on en est privé, oui.

DeDe contempla la mer sans rien dire, puis elle se tourna vers Mary Ann.

- Je suis heureuse que vous soyez avec moi. Vous savez écouter, vous assimilez facilement.

- Billie Jean King m'a beaucoup aidée, expliqua Mary Ann.

- Hein ?

- Vous ne devez pas en avoir entendu parler.

- C'est une lesbienne aussi ?

- Eh bien, dit Mary Ann, elle a eu une liaison avec une femme. Est-ce que ça fait d'elle une lesbienne ?

- Si elle s'y est bien prise, oui.

 

 

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