Nœud gordien.
Mary Ann remarqua avec une certaine consternation qu'il y avait encore des traces de terre sur ses chaussures quand elle arriva avec DeDe chez Prue Giroux à Nob Hill.
- Zut... fit-elle avec une grimace. Moi qui étais sûre d'avoir tout nettoyé...
DeDe sonna et la tranquillisa en disant :
- Elle ne verra rien du tout. Ce n'est jamais qu'un petit peu de terre, de toute façon. Ça peut arriver à n'importe qui. Tu as toujours mal au dos, au fait ?
- Non, ça va mieux.
- Bon.
- Je ne suis pas très habituée à ce genre d'exercice.
- Je suis bien contente de l'entendre, ironisa DeDe.
Mary Ann ne put que lui rendre son sourire.
- Qu'est-ce que tu lui as raconté ?
- À qui ?
- À Prue.
- Juste qu'on venait chercher les gosses, dit-elle en haussant les épaules.
Puis, entendant la porte s'ouvrir, elle pressa le bras de Mary Ann et chuchota :
- Ne t'inquiète pas. C'est moi qui parlerai.
Cependant, il n'y eut guère besoin de paroles lorsque DeDe aperçut les enfants. Elle tomba à genoux et les prit dans ses bras en pleurant abondamment.
Mary Ann et Prue la regardaient sans rien dire, en larmoyant aussi.
Il n'y avait encore que les enfants pour ne pas pleurer : ces retrouvailles étaient pour eux un événement évident et joyeux. Une fois que leur mère les eut relâchés, ils se mirent à gambader comme des fous en essayant de raconter leurs aventures pendant l'absence DeDe.
- Allons, allons, fit Prue. Maman est fatiguée, pourquoi ne... ?
- Ça ne fait rien, les excusa DeDe, ravie. Laissez les brailler autant qu'ils veulent.
Elle attrapa Edgar et le prit dans ses bras.
- C'est une vraie musique, pour moi. Alors...
- Racontez-moi comment ça s'est passé.
- Il... Eh bien, c'est complètement idiot, répondit Prue avec confusion. Il est rentré avec le bateau.
- Ça, nous le savions, répliqua DeDe en se relevant.
Prue fut manifestement prise de court.
- Comment ? fit-elle.
- Un ami de Mary Ann les a vus.
- Oh... Alors, vous... ?
- Comment est-il arrivé ici ? demanda DeDe. C'est ça qui m'intéresse.
- Oh... Eh bien, il les a déposés chez moi.
- Quand ? fit DeDe d'un air soupçonneux.
- Euh... hier soir. J'ai immédiatement appelé votre mère. C'est Emma qui a décroché.
DeDe fronça les sourcils.
- Mais le bateau est arrivé hier matin !
- Ah bon ?
- Oui, lâcha DeDe avec dureté.
Elle fixa la chroniqueuse droit dans les yeux :
- Il ne vous a pas laissé entendre où il avait passé toute la journée ?
- Non, mentit Prue. Il n'a rien dit.
- Pourquoi avez-vous raconté à Emma qu'il avait perdu la tête ?
Prue se détourna.
- Je ne crois pas que je me sois exprimée ainsi, protesta-t-elle. Il était en colère, bien sûr, surtout parce qu'il avait été obligé de s'occuper tout le temps des enfants pendant le voyage du retour. Il avait attendu notre réapparition toute la journée sur le Sagafjord. Comme nous ne revenions pas, il s'est fâché. Et inquiété.
- Mais ça ne lui est pas venu à l'esprit d'en parler à quelqu'un ? Aux autorités du bateau, par exemple ?
Silence.
- Prue... Pourquoi avez-vous raconté à Emma que M. Starr avait perdu la tête ?
- Je vous l'ai dit... Je...
- Vous lui avez dit de déguerpir sur-le-champ !
- Eh bien... Il était très en colère. Je suis désolée si je lui ai donné l'impression que...
- Pourquoi n'a-t-il pas ramené les enfants directement à Halcyon Hill ?
- Euh... Eh bien, il ne connaissait pas l'adresse. Il connaissait la mienne, alors il les a amenés ici.
- Et ensuite vous avez appelé Halcyon Hill et conseillé à Emma de quitter immédiatement la maison avec ma mère. Vous trouvez ça logique, Prue ?
- Eh bien, il était furieux contre votre mère et je ne voulais pas qu'elle subisse...
DeDe leva les yeux au ciel, agacée :
- S'il allait à Halcyon Hill, pourquoi n'a-t-il pas emmené les enfants avec lui ?
Prue avait les yeux embués de larmes.
- DeDe... Je vous en prie... supplia-t-elle. Je ne sais pas... Son comportement n'était pas rationnel. Je pensais que vous me seriez au moins reconnaissante d'avoir retrouvé les enfants.
DeDe se radoucit :
- J'essaie simplement de connaître la vérité. Vous pouvez tout de même comprendre ça.
Prue hocha la tête et s'essuya les yeux.
- Il se comportait bizarrement, reprit-elle. C'est tout ce que je peux vous dire. J'ai seulement eu une intuition. Si votre mère était restée à Halcyon Hill, elle aurait très bien vu.
- Elle y est restée, Prue, soupira DeDe.
- Quoi ?
- Elle dormait à poings fermés.
- Alors peut-être qu'Emma...
- Emma n'a pas fermé l'oeil de la nuit. Pour surveiller la maison.
- Et elle ne l'a pas vu ?
- Exactement ! Il n'est jamais venu !