Achat de silence.
Comme promis, Mary Ann savoura un saumon froid arrosé de riesling sur la terrasse dallée qui dominait la piscine d'Halcyon Hill.
Mme Halcyon était pleine d'une extraordinaire sollicitude et ne cessait de s'extasier mélodramatiquement sur le répertoire d'affreuses anecdotes véridiques, brèves mais piquantes, que Mary Ann lui dévidait.
- Il est vrai que c'est affreux, observa-t-elle lorsque Mary Ann eut terminé. C'est exactement comme le Mary Tyler Moore Show. Ce n'est pas du tout exagéré, n'est-ce pas ?
- Mais j'adore ce métier, malgré tout, se hâta d'ajouter Mary Ann. Et je l'aimerai encore plus quand on me confiera des émissions en soirée.
Ses lèvres s'étirèrent en un petit sourire triste.
- Ils me laisseront en faire, tôt ou tard : ils ne le savent pas encore, c'est tout.
- Vous avez l'esprit qu'il faut ! affirma Mme Halcyon, joignant ses mains potelées et bijoutées avant de dévisager son invitée avec une mimique approbatrice. Edgar a toujours dit que vous étiez ambitieuse. Il me l'a répété je ne sais combien de fois.
- C'était un grand patron, déclara Mary Ann en réponse au compliment du défunt.
Elle se sentait de moins en moins à l'aise sous le regard scrutateur de son interlocutrice.
- Il disait également que vous étiez pleine de tact, ajouta Mme Halcyon. Extrêmement discrète.
- Eh bien, j'ai toujours fait mon possible pour l'être.
Mais merde, où essayait-elle d'en venir ?
- Il vous faisait confiance, Mary Ann. Et moi aussi. Vous êtes une jeune femme de caractère.
Une lueur bienveillante s'alluma dans son regard.
- Je n'ai pas vraiment été formée à affronter la vie, en dehors des conseils d'administration d'opéras et de musées, mais je sais juger d'un tempérament, Mary Ann, et je crois que vous ne me laisserez pas tomber.
Mary Ann hésita :
- Y a-t-il... euh... quelque chose de particulier que vous auriez... ?
- J'ai besoin d'une spécialiste des relations publiques. La famille Halcyon a besoin d'une spécialiste dans ce domaine. Pour une courte période, évidemment.
- Ah... Je vois, dit Mary Ann, qui ne voyait en fait rien du tout.
- Cela ne devrait pas vous gêner dans votre travail à la télévision. J'ai besoin de vous comme consultante, plus ou moins. Je suis prête à vous payer mille dollars par semaine pour une durée d'un mois.
Mary Ann ne chercha pas à jouer les blasées :
- C'est merveilleusement généreux, mais je ne... Eh bien, je n'ai pas une formation d'attachée de presse, madame Halcyon. Mon travail à l'agence était strictement...
- Il y a là un beau sujet, Mary Ann. Un gros. Et il sera à vous le moment venu. Vous l'aurez, votre émission de soirée. Je peux vous le certifier, jeune fille.
Mary Ann osa un haussement d'épaules impuissant :
- Alors... Qu'est-ce que je suis censée faire ?
Son hôtesse se leva et commença à arpenter la terrasse, les mains croisées derrière le dos. On aurait tellement dit le général Patton en train de haranguer ses troupes que Mary Ann faillit en avoir le fou rire.
- Je veux que vous m'accordiez votre loyauté inconditionnelle pour une période d'un mois, dit Frannie Halcyon. Après cela, vous aurez toute liberté d'agir comme bon vous semblera. Ma famille a une histoire à raconter, mais je veux qu'elle soit formulée selon nos propres termes.
Elle interrompit brusquement son va-et-vient, le poing serré d'une manière décidée.
Comme elle était bien partie, Mary Ann attendit, l'encourageant de temps en temps par des hochements de tête attentifs. Alors Mme Halcyon continua, secouant la tête sévèrement au spectacle des rayons du soleil qui dansaient dans la piscine, à la surface de l'eau.
- Pauvre Catherine Hearst ! soupira-t-elle. Sa famille s'y connaissait en journalisme, mais on ne peut pas en dire autant des relations publiques.
Mary Ann acquiesça. La douairière n'était pas idiote.
- Les vrais bons experts en relations publiques, comme mon mari a dû vous l'enseigner, ce sont ceux dont le nom des employeurs n'apparaît jamais dans les journaux. C'est ce que j'attends de vous, Mary Ann. Pendant un mois, en tout cas.
- Pourquoi un mois ?
- Cela vous sera expliqué plus tard. Le but du jeu est le suivant : si vous acceptez le marché, je ne veux pas trouver Barbara Walters en train de ramper sous les buissons de ma propriété d'ici à une semaine. Je suis trop âgée pour faire face toute seule aux télévisions, Mary Ann.
- Je comprends ça. Mais seulement, je ne suis pas sûre de pouvoir vous garantir...
- Vous n'avez rien à me garantir... Sauf votre silence, pendant quatre semaines.
- Je vois.
- Cette capacité à garder un secret pendant un mois vous vaudra quatre mille dollars. Après quoi, nous vous accorderons une exclusivité. C'est bien le mot que vous utilisez, n'est-ce pas ?
- C'est bien le mot, confirma Mary Ann.
- Nous sommes d'accord, alors ?
- Nous sommes d'accord, répondit Mary Ann sans hésitation.
Le visage de Mme Halcyon s'éclaira.
- Alors, de quoi s'agit-il ? demanda Mary Ann.
Son interlocutrice fit signe à Emma qui attendait sur le seuil des doubles portes de la terrasse. La bonne se précipita à l'intérieur de la demeure et revint un instant plus tard avec une jeune femme blonde, mince et bronzée.
- Voilà le sujet, dit Frannie Halcyon. Mary Ann, permettez-moi de vous présenter ma fille DeDe. Mais je crois que vous vous êtes déjà rencontrées, je me trompe ?