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KOTTO OKIAH

L’enfer s’acharnait sur les Vagabonds d’Isperos. Une catastrophe en suivait une autre, et les problèmes s’aggravaient plus vite que Kotto ne pouvait trouver de solution. Pour la première fois de sa vie, l’ingénieur envisagea d’abandonner.

Il faudrait au minimum six mois pour réparer ou reconstruire le lanceur électromagnétique, alors que de leur côté les machines minières s’étaient arrêtées après avoir accumulé un stock de lingots. La production avait chuté sous le seuil prévu, et même les plus optimistes, Kotto Okiah le premier, voyaient la base s’enfoncer peu à peu dans la ruine.

Kotto s’était risqué à la surface calcinée, revêtu d’une mince combinaison réfléchissante qui le faisait ressembler à un miroir mouvant. La plupart des radiations rebondissaient sur elle. Il traversait le terrain dégagé, en alerte. Les rochers étaient si proches de leur point de fusion que leur consistance évoquait désagréablement l’argile. Dans le ciel, le soleil en furie bouillonnait tel un chaudron de plasma ; les taches solaires et les arcs magnétiques ressemblaient aux projections du souffle d’un dragon. La couronne flamboyait sur le velours noir de l’espace. L’activité solaire s’était accrue en un mois, et le flux de radiations avait dépassé le seuil de tolérance du système de refroidissement de la base déjà surmené. Les malheurs semblaient tous s’abattre en même temps.

Des années plus tôt, Jhy Okiah, sa grand-mère, avait convaincu les clans d’investir ici, leur assurant que les métaux et les isotopes qu’elle recelait en valaient la chandelle. Kotto avait fait de son mieux. Il avait dansé sur le fil de l’impossible… mais, aujourd’hui, le sol se dérobait sous ses pas.

Saillant sur la plaine de lave durcie tels des membres de dinosaures, des ailerons triangulaires irradiaient une lueur rouge cerise dans leurs efforts pour dissiper la chaleur excédentaire. Deux d’entre eux s’étaient renversés lors du récent séisme qui avait ruiné le lanceur électromagnétique, et cela avait diminué la capacité de la colonie à maintenir une température supportable. Kotto devrait assigner des équipes en priorité à leur réparation, avant qu’un autre accident survienne.

Les accidents survenaient toujours.

Kotto bricolait les machines et les systèmes électriques depuis sa prime jeunesse. Sa compréhension instinctive de la physique et de la technique ne provenait pas du simple apprentissage : il avait un esprit ouvert, et son pragmatisme compensait les excès de son inventivité. Il ne prenait jamais de risques inconsidérés avec ceux qui avaient placé leur vie entre ses mains.

Mais parfois, même les meilleures idées ne fonctionnaient pas.

La radio de sa combinaison se mit à crépiter. À travers les parasites issus des turbulences stellaires, il perçut l’urgence de la voix.

« Kotto, on a besoin de vous à l’intérieur ! Il y a une brèche dans l’entrepôt n° 3. Un râtelier est déjà envahi par la lave, et les parois de la salle du générateur se fissurent.

— La salle du générateur ! Comment est-ce possible ? Si la lave frappe là-bas, nous perdrons 20 % de nos moyens de survie.

— Je ne sais pas. Il y a eu un jet thermique. On ne l’a pas cartographié, mais il progresse rapidement. Le pic de chaleur a été assez puissant pour faire fondre les fibres rocheuses et les plaques de céramique. »

Kotto courait déjà en direction d’une des portes blindées qui menaient au complexe souterrain. Trois techniciens vinrent à sa rencontre. Leur visage était blême, et la sueur qui coulait de leur visage n’était pas seulement due à la chaleur qui régnait dans le labyrinthe.

— Ce coup-ci, c’est sérieux, Kotto.

Celui-ci retira ses gants et son casque. Il suça les doigts qu’il s’était brûlés en ôtant sa combinaison surchauffée, puis ignora la morsure de la douleur tandis qu’il suivait les techniciens.

Au troisième sous-sol, les techniciens grouillaient devant la porte de l’entrepôt désormais scellé. Dans la salle de contrôle, Kotto fit défiler les images de surveillance de l’entrepôt n° 3. Il aperçut des murs qui s’effondraient, du matériel et des containers couverts de fumée. Un magma écarlate pulsait par la brèche comme du sang artériel, carbonisant tout ce qu’il touchait.

— Ce n’est peut-être qu’une poussée thermique passagère, hasarda l’un des techniciens.

— Je suis censé être l’optimiste de service, rétorqua Kotto, et même moi je ne le crois pas. Laissez-moi jeter un œil à la salle du générateur.

Quelqu’un pressa un bouton. Certaines caméras ne montraient plus que de la neige à l’écran car elles avaient fondu. L’un des convertisseurs d’énergie redondants de la salle du générateur fonctionnait encore ; cela permit à Kotto de voir les épaisses cloisons de métal déjà rouges et gauchies par le ramollissement.

La fin d’Isperos.

Dans les couloirs, les gros tuyaux de refroidissement grondaient comme le liquide circulait à la manière du sang oxygéné, essayant désespérément d’emporter l’excès de chaleur. Kotto sut qu’ils ne pourraient pas tenir. Plus maintenant. La colonie, sa belle et grande idée, était vouée à l’échec.

— Prenez toutes les provisions que vous pourrez. Scellez les niveaux inférieurs, consolidez les parois. Peut-être arriverons-nous à contenir la lave suffisamment longtemps.

Il calcula mentalement le temps nécessaire à leur sauvetage… si les lois de la mécanique céleste le leur permettaient.

— Prenez notre vaisseau le plus rapide. Il faut envoyer un messager sur Rendez-Vous pour appeler les clans à l’aide. (Sa gorge se serra, tant il avait de peine à le dire :) Nous allons devoir abandonner Isperos.

Une forêt d'étoiles
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