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TASIA TAMBLYN
Alors que l’escadron de Mantas s’apprêtait à passer à l’offensive, la voix désinvolte de Fitzpatrick retentit à la radio :
« D’accord, les gars, on va venger notre copain Robb Brindle ! »
Tasia se secoua. Elle aurait voulu étrangler Fitzpatrick – il n’avait jamais été l’ami de Robb –, mais elle devait d’abord s’occuper de ses véritables adversaires. Que le diable emporte les hydreux !
Un autre Rémora robotisé venait d’être détruit, et les orbes de guerre poursuivaient leur progression à travers les profondeurs nuageuses de la planète. Les FTD étaient parées… du moins le croyaient-elles.
Tasia s’accrochait à une lueur d’espoir : et si Robb se trouvait toujours quelque part en dessous, incapable d’émettre ? Mais les hydrogues avaient déjà agi de la sorte maintes et maintes fois. Et ils avaient déjà anéanti trois Rémoras. Il ne faisait guère de doute qu’ils aient détruit le vaisseau estafette.
Juste au moment où elle avait su qu’elle et lui…
Elle prit une profonde inspiration et compta à rebours jusqu’à dix afin de dominer le chaos de ses sentiments. Un semblant de calme retrouvé, elle déclara :
— Tout le monde à son poste. Pas d’action inconsidérée – et pas non plus de balles perdues.
Tout au fond d’elle-même, elle pleurait Robb. Une fois le bombardement commencé, tout espoir de le retrouver vivant serait perdu. Mais il n’y avait aucun moyen d’arrêter cela. Et elle n’était pas certaine de le vouloir.
— Faisons souffrir ces salauds.
Sur la passerelle du Goliath, le général Lanyan vérifia ses Mantas, ses Rémoras à équipage humain ainsi que ses satellites de surveillance.
« Envoyez trois croiseurs robotisés en avant-garde. Il est temps d’obtenir notre retour sur investissement. »
Depuis sa console, un technicien envoya les ordres aux Soldats à bord des bâtiments de guerre. Avant la mission, tous les commandants avaient reçu leurs instructions de déploiement. Ils connaissaient les premières phases du plan d’attaque.
Tasia réprima un haut-le-cœur lorsque Lanyan aboya :
« Lance-foudre, descendez jusqu’à vos positions respectives et armez vos bombes lourdes. Gardez en réserve les fracasseurs à impulsion, jusqu’à ce que l’on puisse voir ce qu’il y a en ligne de mire. »
Les plates-formes d’armement se dispersèrent dans les couches périphériques de l’atmosphère d’Osquivel, à la manière d’un champ de mines.
« Platcoms, commencez à bombarder. »
Les bombes se déversèrent des Lance-foudre telle une pluie mortelle. Dès qu’elles eurent atteint l’altitude programmée, les charges s’activèrent, et d’immenses éruptions bourgeonnèrent à travers les couches atmosphériques. Les explosions avaient pour but d’irriter les hydrogues, de les pousser à sortir de leur tanière. Mais si l’on considérait les vaisseaux éclaireurs détruits, les orbes de guerre n’avaient pas attendu…
Tasia attendait d’entrer en lice, les poings serrés au point que ses ongles mordaient la chair.
« Deuxième phase, annonça Lanyan comme s’il lisait un prompteur. Premier bataillon de compers, déployez vos Rémoras et engagez tout ennemi à portée. Mantas, rapprochez-vous de la surface. »
Les robots pouvaient encaisser des accélérations plus fortes que n’importe quel humain, afin de virer ou d’atteindre une vitesse très élevée. Ils ne nécessitaient aucun système de survie, de sorte qu’ils pouvaient injecter toute leur puissance dans les batteries de jazer.
Une centaine d’intercepteurs plongèrent à pic, tandis que les ondes de choc du bombardement continuaient de se propager à travers les bancs nuageux. Les Rémoras s’éparpillèrent, telle une rafale de projectiles argentés, à la recherche d’une cible. Les données télémétriques affluèrent à mesure que les compers indiquaient leur position.
Ces derniers parvinrent à la profondeur que Robb avait atteinte. L’un après l’autre, ils signalèrent l’approche d’orbes de guerre. Puis chaque point s’éteignit. Exactement comme Robb.
Lanyan serra les dents.
— Alors, où sont-ils ? grogna-t-il, les yeux fixés sur les nuages qui tourbillonnaient encore sous l’effet du bombardement.
De son poste, Rossia relatait les événements par télien :
— Je vois une lueur, comme un éclair… quelque chose de bien plus important que le Goliath. Des décharges énergétiques. Ah, ils émergent des nuages à présent ! Très effrayant.
L’aversion instinctive que lui communiquait la forêt-monde via son surgeon le faisait frémir. Un essaim s’élevait, de vastes sphères entourées de grappes de vaisseaux plus petits. Sur les fréquences radio, les soldats des FTD poussaient des cris de défi et de peur mélangés. Nul n’avait jamais aperçu une telle concentration de vaisseaux hydrogues.
Sans hésiter, trois Mantas pilotées par des compers se ruèrent pour les intercepter. Elles ouvrirent le feu avant que l’ennemi ait pu réagir.
— Il y a de nombreux impacts jazers, mais pas de dégâts significatifs, poursuivit Rossia en scrutant la scène. Les éclairs sont si intenses qu’ils blessent les yeux.
— Utilisez les carbo-disrupteurs !
Les croiseurs lâchèrent des bouquets de missiles qui s’enfoncèrent à la manière de grenades sous-marines. Lorsqu’ils arrivaient à proximité d’une sphère hydrogue, ils éclataient, avec pour but de rompre les liens carbone-carbone des coques de diamant. Plusieurs cibles tournoyèrent, désorientées par le souffle.
Mais avant que les soldats aient pu applaudir, des éclairs crépitèrent depuis les orbes de guerre intacts et allèrent déchirer la coque de la Manta la plus proche.
— Un coup direct des hydrogues ! annonça Rossia avec le ton excité des commentateurs sportifs d’antan. L’un de nos croiseurs robotisés est atteint. C’est aussi terrifiant que les souvenirs de guerre millénaires de la forêt-monde.
La Manta blessée avançait toujours, tirant de toute sa puissance de feu.
— Regardez, lança Lanyan avec fierté. Même une brèche de cette taille ne peut stopper nos compers !
Mantas et Rémoras robotisés soutinrent un tir ininterrompu, qui ne cessa qu’une fois les munitions épuisées. Lanyan ouvrit lui-même une fréquence et s’adressa aux compers :
« Activez la séquence terminale. »
Il se rassit, puis transmit aux commandants avec un sourire mauvais :
« Observez bien – c’est une chose que les Ildirans nous ont apprise. »
Les compers puisèrent toute l’énergie qui leur restait pour envoyer leurs Rémoras droit sur les vaisseaux ennemis. Sur les écrans de contrôle, les données télémétriques provenant de leurs vaisseaux se muèrent en neige alors qu’ils explosaient les uns après les autres.
Tout cela se produisit si vite que Tasia n’eut pas le temps d’en appréhender tous les détails. Elle se tenait prête, impatiente de venger la mort de Robb Brindle et celle de son frère Ross. Mais ils n’avaient pas encore reçu l’ordre de passer à l’attaque.
Poursuivant la séquence terminale, les trois Mantas endommagées déchargèrent leurs armes puis asséchèrent leurs réserves d’énergie pour accélérer, les propulseurs en surchauffe. Il était désormais impossible aux hydrogues de se dégager à temps. Les réacteurs des Mantas émirent un flash aveuglant semblable à un minuscule soleil à l’instant où leur chambre de confinement se fractura, lorsqu’ils percutèrent un orbe de guerre.
Les trois cibles éclatèrent, puis sombrèrent en se consumant dans les nuages – totalement détruites.
« Plates-formes Lance-foudre, appela le général, en ligne de défense ! (Les inflexions de sa voix étaient chargées de menace, comme pour impressionner l’ennemi.) Envoyez vos ogives atomiques, puis filez aussi vite que vous pouvez. »
Les platcoms ciblèrent les orbes de guerre qui remontaient des profondeurs gazeuses. Puis, tandis que les bombes tombaient, les pesantes plates-formes quittèrent les nuages, hors de portée des ondes de choc et des impulsions électromagnétiques.
Les charges se déclenchèrent, s’épanouissant comme un chapelet d’étoiles nouveau-nées. Les lueurs éblouissantes des explosions déchiraient les nuages malmenés d’Osquivel. Mantas et Mastodontes à équipage humain stationnaient au-dessus des pôles, surveillant l’incroyable dévastation qui se poursuivait en contrebas.
Les soldats applaudissaient et poussaient des cris de triomphe.
— Et une rissolée d’hydreux bien rôtis !
— Cuits à l’étouffée dans leurs bulles, plutôt !
— Ça, ils auraient dû rester chez eux au lieu de nous chercher des noises.
Aussi immobile qu’une statue dans son fauteuil de commandement, Tasia regardait les déflagrations, mais ne voyait aucune raison de se réjouir. Ce n’était pas encore fini et, à présent, son ultime espoir s’était évanoui en fumée : même si les hydrogues ne l’avaient pas tué, Robb n’avait en aucun cas pu survivre aux explosions atomiques. Elle s’imprégna de la puissance de son croiseur, des batteries d’armement, des escadrons de Rémoras prêts à être lancés des ponts d’envol. Le temps était venu d’agir.
— Allez, Général, lâchez-nous la bride, murmura-t-elle entre ses dents. J’ai vraiment besoin de faire mal à quelqu’un…
« Bon sang ! Même après tous nos atomiques, il en vient toujours, annonça le platcom d’un Lance-foudre. Regardez, ils continuent d’arriver ! »
Au moins, Lanyan ne fit pas semblant d’être surpris.
« Comment diable se débarrasse-t-on de ces choses ? »
Tasia aperçut, à travers les reliquats lumineux des champignons nucléaires, la plus grande concentration de vaisseaux ennemis que les humains aient jamais eue à affronter. Des orbes de guerre sortaient des nuées radioactives telles les bulles d’un chaudron bouillonnant.
Lanyan plaça les Mantas robotisées en avant-garde, où elles pourraient intercepter le feu ennemi.
« Place au spectacle ! Tirez sans retenue. Rappelez-vous, ce sont ces hydreux-là qui ont dévasté Passage-de-Boone. »
— Comme si les motifs pour les haïr n’étaient pas suffisants, grommela Tasia, assez fort pour que son équipage l’entende.
Elle se pencha en avant tandis que sa Manta se plaçait en position de tir. En dessous, les orbes de guerre arrivaient par centaines.
— Les voilà !