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ROSSIA
Lorsque la flotte d’assaut des FTD arriva au-dessus des anneaux d’Osquivel, les scanners, sondes et vaisseaux éclaireurs étaient prêts à scruter le système planétaire. Ils savaient que les hydrogues se tapissaient quelque part au sein des nuages. Il ne leur restait plus qu’à les débusquer.
À bord du gigantesque vaisseau amiral Goliath, le général Lanyan annonça :
— Ceci n’est pas un exercice. Notre mission est dangereuse, et j’espère que vous y êtes tous préparés.
Son menton demeura ferme, mais ses yeux brillèrent de tension et il serra les doigts si fort que ses articulations blanchirent.
Pour Rossia, le danger avait toujours été on ne peut plus réel. Dès l’instant où il avait appris l’antagonisme entre les hydrogues et la forêt-monde, la menace était devenue plus tangible à ses yeux. Et voici qu’aujourd’hui, ses compagnons et lui se dirigeaient droit sur un de leurs nids. L’ennemi ancestral.
Jadis, les arbremondes avaient été quasiment anéantis. Ils n’avaient aucune envie de recommencer la lutte, c’est pourquoi ils étaient désireux – certes sans enthousiasme – d’aider à entrer en contact avec les hydrogues. Rossia ne nourrissait guère d’espoirs en la matière.
La forêt-monde était restée passive, isolée sur Theroc, dans la crainte de redéclencher le conflit… Aujourd’hui, les hydrogues la traquaient, détruisant chaque monde recouvert de verdure. Rossia percevait son inquiétude. Les arbremondes rescapés de jadis s’étaient cachés des hydrogues pendant dix mille ans ; récemment, ils avaient recommencé à se propager sur d’autres planètes.
Peut-être le lieutenant-colonel Brindle réussirait-il. Toutefois, Rossia en doutait.
Le prêtre Vert ne pouvait s’empêcher de gigoter sur son siège en plastique dur et froid, entouré de consoles métalliques. Il conservait son surgeon à portée de main. Celui-ci paraissait un anachronisme vivant au milieu de toute cette technologie mais, ironiquement, il surpassait tout autre système de transmission du Goliath.
Sur la passerelle, Lanyan s’acharnait à offrir une image de confiance et de résolution inébranlables.
— Nous allons faire une ultime tentative diplomatique. Si elle échoue, nous mettrons à l’œuvre nos compers militaires afin de montrer aux hydreux que nous ne plaisantons pas. (Il regarda Rossia.) De plus, le contact instantané que nous avons avec le président Wenceslas et les stratèges basés sur Mars nous donnent l’avantage. Nous sommes à la veille de notre plus grande victoire.
— Mais si toute cette expédition échoue ? interrogea Rossia.
— Alors, aucun de nous ne sera plus en situation de s’en préoccuper.
En observant les préparatifs et l’humeur des troupes, Rossia en vint à la conclusion évidente que, malgré leur intention affichée de parlementer, ils escomptaient combattre. Ils l’escomptaient. À cette pensée, son cœur se mit à battre.
Les nuages jaune pâle d’Osquivel évoquaient du petit-lait répandu… En fait, cela ne ressemblait à rien de ce que Rossia avait jamais vu sur Theroc. Dans cette soupe rôdaient des prédateurs bien plus mortels que n’importe quelle wyverne.
Il effleura le tronc squameux de son surgeon. Via le télien, il se trouvait relié aux prêtres de Theroc installés dans les vaisseaux de guerre éparpillés dans les dix quadrants, ainsi qu’à Yarrod, qui surveillait l’opération depuis la base martienne. Il perçut ses pensées, et le message qui lui était destiné.
— Général, Yarrod m’informe que sur Mars, tout le monde est prêt. Le président Wenceslas est arrivé et attend de nos nouvelles.
Lanyan opina du chef, satisfait de la qualité de la communication.
— Mettez-les au courant de l’évolution de la mission.
En quelques mots, Rossia exposa la situation. Il décrivit la planète dotée d’anneaux d’une beauté saisissante. La forêt-monde assimila ces images et les dissémina jusqu’au plus lointain de ses arbres.
Rossia frictionna ses bras hérissés de chair de poule. Par tradition, les prêtres portaient un minimum de vêtements afin que leur peau soit toujours en contact avec les frondaisons. Ici cependant, il était vêtu d’un uniforme à manches courtes des FTD. Le Goliath était toujours froid, et l’air stérile.
— Les éclaireurs pilotés par compers sont déployés, monsieur, indiqua un officier.
Rossia ne parvenait jamais à s’y retrouver dans les grades et les insignes. Il se rendit jusqu’à la baie la plus proche afin de contempler les Rémoras ultrarapides se détacher de la flotte pour raser les pôles d’Osquivel. Les vaisseaux ne furent bientôt plus que des points minuscules sur la gaze des nuages.
— Qu’ils s’enfoncent suffisamment sous les couches nuageuses pour nous avertir à temps de l’approche des hydrogues, ordonna Lanyan. Nos sondes radars n’ont jamais l’air de fonctionner correctement, espérons que les compers feront du meilleur boulot.
Ceux-ci étaient conçus pour supporter des pressions et des températures extrêmes, de sorte qu’ils pouvaient se rendre là où aucun humain ne pouvait survivre. Si nécessaire, ils descendraient jusqu’à ce que l’atmosphère d’Osquivel écrase leurs vaisseaux ; dans l’intervalle, ils continueraient d’émettre.
— Prêtre Vert, dit-il avec un geste impatient vers le surgeon en pot, informez le centre de commandement sur Mars que nous entamons la phase 1.
Rossia cligna des yeux, puis toucha le tronc et parla de nouveau. Tous les prêtres connectés par télien reçurent le message simultanément – au Palais des Murmures, sur la base martienne, dans les vaisseaux de guerre à travers le Bras spiral et sur Theroc.
— Le président ordonne de mettre le plan à exécution.
Lanyan se leva. Il inspira plusieurs fois profondément. Puis il opina.
— Très bien. Affrétez le vaisseau estafette et dites au lieutenant-colonel Brindle de décoller. Donnons à la diplomatie une dernière chance – puis tenons-nous prêts à tout.