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LE ROI PETER
Le roi achevait ses ultimes préparatifs vestimentaires afin de paraître hors de ses appartements. Pour la matinée, des serviteurs lui avaient apprêté une tenue pleine de couleurs et d’ornements on ne peut plus inconfortable (et sans aucun doute sélectionnée par une commission). Il n’en avait tenu aucun compte, avait choisi ses propres atours et renvoyé les laquais qui voulaient l’aider à se boutonner et à passer ses colliers : sa mère lui avait appris à s’habiller seul, tout de même !
Tout en passant ses habits, il conversait avec OX. Les années qu’il avait employées à écouter son comper Précepteur lui expliquer la rhétorique et les subtilités du pouvoir l’avaient amené à voir dans le vieux robot davantage qu’une base de données ou un répertoire historique.
— Basil ne veut pas d’un chef, dit-il en tirant sur l’une de ses manchettes. Il veut un acteur.
Très tôt, Peter s’était appliqué à devenir un authentique roi. Par jeu d’abord, il avait entrepris de légers changements, afin surtout de démontrer son indépendance. Alors que le vieux Frederick portait des parures voyantes et d’amples étoffes, Peter avait fait retoucher ses costumes jusqu’à obtenir des uniformes épurés et fonctionnels. Gris, bleu et noir. Le président avait approuvé, convaincu qu’un style plus prussien entrerait en résonance avec un peuple en guerre.
D’allure affable, le modèle Précepteur avait été construit en masse pour accompagner les premiers vaisseaux-générations qui partaient à la recherche d’autres mondes. À présent, OX servait la Ligue Hanséatique dans la formation des Grands rois.
— Mieux vaut pour vous être à la fois chef et acteur, Roi Peter. Mais votre rôle ne se limite pas à cela. Le peuple doit croire en vous.
Peter sourit.
— Très bien, alors. Allons à la salle de crise, et profitons-en pour nous montrer sur le chemin.
Avant de devenir Peter, Raymond Aguerra avait grandi dans une famille pauvre mais soudée. Il avait fait des petits boulots pour joindre les deux bouts, causé avec les marchands ambulants, appris à connaître les hommes et les femmes ordinaires, dont le destin n’attirait jamais l’attention.
Ces gens constituaient ses véritables sujets, mais les projets grandioses de Basil ne les prenaient jamais en compte. Le président excellait à concevoir la manière dont les pièces du puzzle cosmique s’assemblaient, mais il n’entendait rien à l’existence sur une plus petite échelle. Il ne connaissait personne de la vie réelle, immergé qu’il était dans les sphères politico-économiques. Cela faisait de lui un homme d’affaires compétent, mais non un chef capable d’inspirer la loyauté.
OX à son côté, Peter descendit un large corridor. Il sourit à une Latino entre deux âges qui astiquait un buste en albâtre du roi Bartholomé.
— Bonjour, Anita. (Il détailla la perfection des traits de la statue.) Croyez-vous vraiment que le vieux Bartholomé ressemblait à cela ? Vous ne pensez pas qu’il s’agit plutôt d’une interprétation idéalisée ?
Le visage de la femme s’illumina.
— Je… je suppose que c’est comme cela que le sculpteur le voyait, Sire.
— Je parie que vous avez raison.
OX et lui continuèrent leur chemin jusqu’aux portes cirées d’une ancienne bibliothèque convertie en salle de crise. Autrefois, l’endroit avait été rempli de vieux livres, si fragiles que nul ne pouvait plus les lire. À présent, les étagères étaient recouvertes d’écrans plats.
Les officiers et les conseillers stratégiques s’y rencontraient régulièrement afin d’étudier ensemble les colonies de la Hanse, les positions connues des vaisseaux ildirans et la répartition de la flotte des FTD dans les dix quadrants spatiaux. Bien qu’on ne l’ait pas officiellement invité, Peter ne manquait jamais ces réunions hebdomadaires. Aucun des experts présents dans la chambre n’aurait osé le refouler – à moins que le président l’ordonne. Mais Basil détestait se donner ainsi en spectacle. Comme le roi et OX entraient dans la salle, il se contenta d’opiner légèrement du chef depuis son fauteuil en cuir rembourré.
Nahton, le prêtre Vert de la cour, était assis auprès d’un surgeon fluet à l’écorce dorée ; il écoutait avec attention, prêt à recevoir des rapports par télien. Les nouvelles étaient également acheminées par drones courriers, capables de voyager sur de longues distances avec un minimum d’ekti. En plus de transporter messages et données entre les mondes hanséatiques, les drones prenaient des images de surveillance des villes et des populations, afin de tenir à jour la base de données coloniale.
— Toujours aucune nouvelle de la flotte de reconnaissance sur Dasra, monsieur le Président, annonça l’amiral Stromo. Cela fait une semaine de retard.
Dans une nouvelle tentative d’engager des négociations avec les hydrogues, on avait envoyé des vaisseaux militaires aux abords d’une géante gazeuse. Personne ne s’attendait que cette entreprise de communication débouche sur un résultat tangible. Jusqu’à présent, l’ennemi avait ignoré ou repoussé toutes les ouvertures de paix.
Basil grommela :
— Je savais que nous aurions dû dépêcher un prêtre Vert, mais nous n’en avions pas en réserve.
Nahton resta imperturbable face à cette critique sous-jacente.
Les conseillers militaires et les experts coloniaux vérifièrent les dernières données sur les écrans, où s’affichait la mosaïque complexe de la civilisation humaine. Actuellement, il y avait soixante-neuf signataires de la Charte de la Hanse, ainsi qu’une poignée de satellites et de campements non catalogués. Les stratèges discutèrent des modifications en cours dans le déploiement des vaisseaux, puis les écrans affichèrent les estimations de la situation dans le Bras spiral.
Peter les étudia longuement, tâchant d’en tirer ses propres conclusions.
Nahton recourba les doigts autour du surgeon et connecta son esprit à la forêt-monde. Il avait désormais accès aux rapports envoyés par les prêtres observateurs disséminés à travers la galaxie. Son front se plissa, contractant les motifs sombres de ses tatouages faciaux. Lorsqu’il eut fini, le visage de Nahton exprimait l’inquiétude.
— Les rapports de six prêtres me sont parvenus. En provenance de quatre planètes différentes, et de deux vaisseaux diplomatiques.
Remarquant son trouble, Basil se redressa.
— Qu’y a-t-il ?
— Plusieurs orbes de guerre ont été détectés tandis qu’ils traversaient des systèmes habités. Ils n’ont pas pris contact, mais ont approché, et apparemment scanné, diverses planètes.
Peter pointa un doigt sur la carte stellaire.
— Veuillez désigner les endroits où les orbes ont été vus. Peut-être pourra-t-on en tirer une cohérence.
— Il n’y a que six de mes camarades à avoir aperçu les hydrogues… Usk, Cotopaxi, Passage-de-Boone, Palissade, Hijonda, Paris Tiers.
À mesure que le prêtre Vert énumérait les noms de ces obscurs systèmes, des points rouges apparaissaient sur la mosaïque d’écrans. OX fit un pas en avant, bien que la résolution de ses capteurs optiques soit suffisante pour tout voir d’où il se tenait.
— Cela ne semble pas être une stratégie défensive. Vu la dispersion des prêtres Verts dans les colonies, beaucoup d’engins hydrogues pourraient nous avoir échappé.
Basil fronça les sourcils.
— Cherchez dans les fichiers des drones courriers, au cas où ils auraient capté d’autres images d’hydreux.
— D’après mes rapports, dit Nahton, les hydrogues n’ont commis aucun acte hostile. Il semble que ce soient des éclaireurs, voyageant de système solaire en système solaire.
— Les hydrogues ne se promènent pas sans raison, fit remarquer l’amiral Stromo. Jusqu’à présent, ils n’ont quitté leurs géantes gazeuses que pour attaquer.
Lev Stromo commandait la flotte du quadrant zéro, quand elle avait été décimée sur Jupiter.
L’esprit en ébullition, le roi Peter balaya du regard les points rouges des orbes répartis mystérieusement sur la carte.
— Jusqu’à maintenant, dit-il.