30

RLINDA KETT

À l’approche du Curiosité Avide, les fermiers quittèrent leurs champs pour affluer à sa rencontre. L’arrivée inattendue de Rlinda Kett constituait un événement qui reléguait leur travail quotidien au second plan.

Encore secouée par son accrochage avec les orbes de guerre hydrogues à l’orée du système de Crenna, Rlinda descendit de son vaisseau. Elle s’apprêtait à recevoir acclamations et embrassades avec un certain embarras.

— La Hanse a entendu parler de l’épidémie qui vous frappe, et je vous apporte des médicaments ! lança-t-elle à la cantonade. Mais on dirait bien que la plupart d’entre vous ne sont plus malades.

Elle s’était attendue à trouver la ville paralysée à cause de la tavelure orange, les champs en friche, le bétail livré à lui-même.

Un fermier tout près d’elle acquiesça.

— C’est sacrément gentil de la part du roi Peter de penser à nous, M’ame, mais on a déjà eu nos médicaments, voyez ? L’un de nous possède un vaisseau. Pour revenir, il a brûlé sa dernière goutte d’ekti. On doit tous la vie à Branson Roberts.

Ce nom fit bondir le cœur de Rlinda, mais elle fit semblant de rien.

— Eh bien, ce type a du cran, pour ficher en l’air mon action humanitaire.

Elle scruta la foule et repéra BeBob. Ses cheveux gris crépus avaient poussé, lui conférant un air peu recommandable, et ses vêtements étaient sales, comme s’il avait travaillé aux champs – cette seule idée lui donna envie de s’esclaffer.

Elle vit ses yeux se remplir de larmes, alors qu’il se mettait à courir à sa rencontre sans se préoccuper des fermiers. Elle ouvrit les bras et une impulsion la poussa vers lui. Elle savait qu’ils avaient l’air ridicules, à se ruer l’un vers l’autre comme les amoureux d’un mauvais feuilleton.

— Alors… je parie que vous deux, euh, vous vous connaissez ? fit l’un des colons.

 

Rlinda et BeBob s’étreignirent longuement, puis tous deux lancèrent à l’unisson un comique :

— Un peu !

— Si j’avais su que tu venais, dit BeBob, je n’aurais pas gaspillé mon carburant. Au lieu d’aller chercher des médicaments, j’aurais pris des produits courants, des outils, des graines – et réalisé un plus gros bénéfice.

Rlinda passa les doigts dans sa tignasse frisée, puis l’étreignit de nouveau.

— Tu as le cœur tendre mais la tête dure. (Elle prit un ton de conspirateur.) Cette nuit, je te laisserai tout le temps de me convaincre que mon voyage valait le coup. Alors, chez toi ou chez moi ? (Elle gloussa.) Oh, tu es tellement mignon quand tu es gêné. Tu as l’air absolument scandalisé.

— Eh, j’essaie d’être un colon respectable !

— Essaie plus fort, alors.

Et elle l’embrassa sur la bouche.

Rlinda n’avait pas évoqué sa véritable mission. Elle ne voulait pas gâcher leur dîner. La demeure de BeBob avait jadis été édifiée par des Ildirans. La jeune femme avait apporté quelques-uns de ses plats favoris, une bonne bouteille de vin, de nouveaux programmes de divertissement, ainsi qu’une chemise fantaisie qu’il ne mettrait jamais. Elle appelait ce genre de cadeau un « brise-glace colonial ».

BeBob mangea une bouchée du civet qu’elle avait cuisiné dans sa kitchenette.

— À vrai dire, je ne suis pas surpris que tu aies trouvé une excuse pour venir ici. Si je n’avais pas pensé que tu parviendrais à décoder mon message, je ne me serais jamais risqué à l’envoyer. Je suppose que le général Lanyan n’apprécie guère qu’un capitaine fiche le camp sans prévenir.

— Mouais. D’abord, il n’avait pas le droit de t’enrôler. Et puis, je ne lui ai jamais pardonné de m’avoir confisqué ma flotte marchande. Comment se porte mon vaisseau, à propos ?

BeBob leva les sourcils.

— Le Foi Aveugle ne t’appartient qu’à 10 %. Il va bien – à l’exception de son réservoir vide. Maintenant, ce n’est guère plus qu’une décoration de jardin.

— Il ne te reste plus qu’à le mettre sur cales et à laisser les mauvaises herbes pousser autour, plaisanta Rlinda. Et tu seras un vrai pantouflard crotté !

Il sirota le vin capiteux qu’elle lui avait servi.

— Ici, je suis heureux, tu sais. Crenna est agréable, il y fait beau. Tu devrais entendre le vent à travers les flûtiers. Ça pourrait être l’endroit idéal pour s’installer – par choix plutôt que par nécessité. Ça, euh… ne m’ennuierait pas que tu restes à mes côtés, Rlinda – et pas seulement pour ton excellente cuisine.

Elle rit, enchantée.

— Je savais que j’étais venue pour une bonne raison. Dans les périodes difficiles, la flatterie est une denrée rare.

Il reposa son verre.

— Même si mon ego aimerait le croire, tu n’as pas débarqué ici dans l’unique but de me rendre visite. Tu as besoin d’aide ?

Elle ne fut pas étonnée qu’il ait deviné, c’est pourquoi elle lui raconta tout.

 

Davlin Lotze attendait près du Curiosité lorsque Rlinda revint, une heure après le lever du jour. Les mains vides, il se tenait aussi immobile qu’une statue. Le côté gauche de son visage était griffé de cicatrices à peine visibles, comme si quelque prédateur avait tenté de lui arracher l’œil. Il était musclé et exsudait l’intelligence, l’acuité et la compétence.

— Je crois que le président Wenceslas vous a envoyé me prendre, dit-il. Néanmoins, expédier des médicaments constitue une délicate attention de sa part.

Elle le jaugea du regard.

— Vous ne croyez pas en la charité humaine ?

— Je ne crois pas en la charité humaine de Basil, précisa-t-il en parcourant des yeux le Curiosité Avide. Votre vaisseau a l’air correct. Est-ce qu’il est bien approvisionné ?

— Le président m’a fait charger tout ce dont on aura besoin lors de notre petite expédition : des outils de forage et d’analyse, un campement de survie, des provisions, des extracteurs d’eau. Et dix mille mots croisés non remplis dans la base de données.

Dans le calme de l’aurore, Rlinda le fit monter à bord et lui désigna une minuscule cabine réservée aux invités. Celle-ci avait naguère été utilisée par Nira et Otema, avant que quiconque ait entendu parler des hydrogues. Lotze toucha la couchette, remarqua la console informatique et les bases de données, et eut un geste de satisfaction.

— Je suis prêt à partir. Je préfère ne pas me donner en spectacle en faisant mes bagages. Les autres pensent que je ne suis qu’un colon possédant quelques notions techniques. Ils n’ont aucune idée de ce pour quoi j’étais là.

Rlinda fut étonnée.

— Pas d’au revoir, alors ? Vous avez passé des années sur Crenna… et vous comptez vous évanouir dans la nature ? Sans rien d’autre qu’une chemise sur le dos ?

L’expression de Lotze demeura imperturbable.

— Je préférerais cela. Je suis prêt à aller trouver ces archéologues disparus.

Rlinda inspira longuement.

— Préparer le départ va me prendre un moment. Entre-temps, moi, au moins, j’ai besoin d’aller dire au revoir à quelqu’un.

Une forêt d'étoiles
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