93
ESTARRA
Un filet invisible recouvrait la salle de classe installée en plein air, sur l’un des toits du Palais des Murmures. Des nuées de papillons vivement colorés y volaient en toute liberté. D’après OX, il s’agissait d’un des endroits d’instruction préférés de Peter… Estarra avait le plus grand mal à se concentrer, avec tous ces lépidoptères qui ne cessaient de se poser sur ses bras et ses cheveux.
Le comper Précepteur lui donnait une leçon de protocole : comment s’adresser aux représentants officiels, agir conformément à son rang… Sur Theroc, elle avait appris l’histoire de sa planète, mais OX tenait à lui donner une instruction complète au sujet de la Ligue Hanséatique terrienne. En plein milieu de l’offensive d’Osquivel, alors que toute la Hanse attendait des nouvelles, elle ne pouvait déroger à ses cours.
En l’absence du président Wenceslas, Peter les avait rejoints, dans l’idée évidente de profiter de la compagnie de sa future épouse. Les tentatives de la jeune fille pour se concentrer malgré le va-et-vient incessant des papillons le faisaient sourire. Quant à elle, elle devait refouler ses rires. Peter essayait de cacher sa joie, mais il savait que celle-ci se lisait sur son visage.
Le Précepteur répéta sa question, faisant sursauter une Estarra hypnotisée par un grand morpho à la teinte bleue iridescente.
— OX ne croit pas à l’efficacité des salles de classe austères, lui glissa Peter. Mais il n’imagine pas à quel point un écolier peut être facilement distrait. Lorsque j’étais plus jeune, il était persuadé que je pouvais étudier tout en nageant dans une piscine pleine de dauphins.
Les yeux d’Estarra s’illuminèrent.
— J’adore nager. Qu’est-ce que c’est que des dauphins ?
— Un jour, je te montrerai. Je te le promets.
— Une autre fois, intervint OX. Il y a encore beaucoup à faire ici, et cela exige de la concentration.
Cependant, avant qu’OX ait pu finir sa leçon, le président Wenceslas surgit dans la classe aux papillons. Sa nervosité était manifeste.
— Heureusement que les gardes vous suivent à la trace, lança-t-il au roi. Je n’ai pas de temps à perdre à vous chercher dans tous les recoins du Palais.
Estarra leva les yeux, étonnée par la gravité de sa mine. Peter fronça les sourcils, offusqué par cette réprimande injustifiée.
— J’aide Estarra dans ses études. Inutile de me rabrouer, Basil. Si vous m’aviez prévenu, je me serais fait un plaisir de vous rencontrer dans un endroit adéquat. (Il tourna soudain la tête.) Une seconde… Vous n’êtes pas censé vous trouver sur Mars ? Que s’est-il passé à Osquivel ? Pourquoi n’ai-je reçu aucune information à ce sujet ?
— Parce que j’ai ordonné au siège de la Hanse d’instaurer un black-out total sur la crise jusqu’à ce que l’on trouve quoi faire… mais avec ces satanés prêtres Verts, la nouvelle s’est répandue partout. Rien ne vaut les communications sécurisées, même en cas d’urgence comme aujourd’hui.
» C’est un désastre complet, expliqua le président, furieux. Nous avons perdu au moins un Mastodonte, plus de trois cents Rémoras, des dizaines de Mantas et de Lance-foudre. Le décompte continue, impossible encore d’estimer les pertes. Le général Lanyan a dû battre en retraite avant que les hydrogues aient exterminé la flotte entière.
Estarra se hâta de se lever, inquiète. Le roi, lui, était décomposé. Le vol paisible des papillons paraissait incongru dans cette atmosphère de tension.
— La Hanse n’a pas encore réagi officiellement, continua Wenceslas, mais cela ne saurait continuer longtemps. Nous devrons faire une déclaration. (Il inspira une goulée d’air.) Reprenez votre sang-froid, et habillez-vous pour la circonstance. Dans moins d’une heure, vous aurez à informer le public. On écrit votre discours en ce moment même, mais je veux que vous vous exerciez devant un miroir pour avoir l’air accablé.
Les yeux bleus de Peter lancèrent des éclairs.
— Notre flotte a été décimée, et des milliers – des dizaines de milliers peut-être – de soldats massacrés par l’ennemi. Je n’aurai pas besoin d’avoir l’air.
Comme il suivait le président hors de la salle aux papillons, il lança un regard à Estarra et lui offrit un sourire rassurant.
— Ne t’inquiète pas… tout ira bien.
Puis il courut rattraper le président Wenceslas, qui se dirigeait vers la salle du Trône.