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LE GÉNÉRAL KURT LANYAN

Le général Lanyan accueillit les prêtres Verts nouvellement arrivés sur la base martienne avec l’enthousiasme du soldat qui vient de recevoir une arme flambant neuve avec laquelle s’amuser.

Il faisait les cent pas dans une grande salle de réunion lorsque les prêtres volontaires tant attendus débarquèrent des modules de transport. Il était impatient de voir s’ils se montreraient à la hauteur.

Ils entrèrent : dix-neuf hommes et femmes d’aspect et d’âge variés. Ils avaient l’air désorientés. Tous présentaient une peau glabre d’un vert plus ou moins foncé. Chacun d’eux portait un pot contenant un mince surgeon de moins de un mètre de haut, dont les branches duveteuses retombaient.

Des motifs, tatoués selon les rites de leur mystérieuse religion sur leur visage et leurs bras, indiquaient leur grade et leurs talents. Habitués à la moiteur de Theroc, ils ne portaient que peu de vêtements – et semblaient le regretter. Lanyan leur fournirait les uniformes standard des FTD afin de faciliter leur adaptation à la vie militaire.

Comme on pouvait s’y attendre, ils ne se mirent pas au garde-à-vous et ne manifestèrent aucun sens de la discipline. Ils remplissaient la salle de leur joyeux désordre, sans faire montre d’un quelconque respect vis-à-vis des officiers. Il faudrait que cela change, mais Lanyan savait qu’il ne pouvait pas trop les bousculer.

Le pacte entre les FTD et les prêtres était des plus ténus. Lanyan serait probablement incapable de les faire marcher au pas, car ils risquaient de prendre la mouche et de partir. Néanmoins, ils travailleraient avec les Forces Terriennes de Défense, ce qui impliquait certaines attentes à leur endroit…

L’un d’eux, à la cuisse ornée d’une cicatrice extravagante, clopina jusqu’à la baie vitrée et scruta le paysage rougeâtre. Sa jambe blessée serait un handicap lors d’une bataille, mais le général n’avait pas l’intention de faire combattre ces prêtres. Il les considérait comme du matériel de communication, des transmetteurs humains.

Le prêtre à la cicatrice contemplait, les yeux écarquillés, le ciel vert olive de Mars.

— Il n’y a pas d’arbre, ici.

— Vous avez apporté les vôtres. (Lanyan tâchait de camoufler son impatience sous un air encourageant. Il se racla la gorge afin d’attirer leur attention.) Je suis le général Lanyan, votre commandant.

Un prêtre arborant plus de tatouages que ses compagnons s’avança. L’air guindé, il portait son surgeon comme s’il s’agissait d’un équipement de survie.

— Mon nom est Yarrod, le doyen de cette compagnie. La forêt-monde est d’accord pour que nous utilisions le télien dans la guerre contre les hydrogues.

— Oui… oui, cela va nous être d’un grand secours, répondit le général Lanyan. (Il avait espéré un peu plus d’ardeur patriotique, plutôt que ce soutien réticent.) Toute information que vous pourrez nous fournir sera utile.

D’autres prêtres avaient rejoint celui à la cicatrice. Ils restaient bouche bée devant l’austérité des canyons. Malgré l’importance de la réunion, ils ne prêtaient guère attention aux propos du général, ni à ceux de leur doyen. Ce dernier était le plus élevé dans la hiérarchie, mais les prêtres ne lui accordaient aucun privilège particulier. Ce manque de respect et d’organisation choquait Lanyan, en pur militaire qu’il était.

— Nous n’avons pas encore éclairci dans quelles circonstances la guerre est survenue il y a dix mille ans, mais les hydrogues ont cru avoir éradiqué la forêt-monde. Il en a cependant subsisté quelques vestiges sur une planète, Theroc, et les arbres ont survécu là-bas en secret, dans la crainte que les hydrogues reviennent les exterminer. Aujourd’hui, il apparaît que leur peur était fondée. L’ennemi traque les mondes forestiers. Il est de notre devoir de protéger nos arbres.

Le général décida de se montrer ferme. S’il usait tout de suite de son pouvoir de persuasion sur les Theroniens, il serait ensuite aisé de les faire marcher droit, une fois qu’ils seraient répartis dans les dix quadrants.

— Laissez-moi être clair avec vous tous, déclara-t-il. Je comprends que vous vous êtes engagés en sachant que nous vous aiderions à protéger les arbremondes. Œuvrer ensemble est notre meilleur espoir de vaincre les hydrogues. Mais, pour cela, vous devez devenir une partie de l’ensemble. Des dizaines de milliers de personnes peuvent contribuer à une seule opération militaire.

» Par conséquent, il est impératif que vous acceptiez votre place dans la chaîne de commandement. Au sein des Forces Terriennes de Défense, vous aurez le grade d’adjudant, mais sans autorité spécifique en dehors des communications.

» Nous formons une armée dévolue à la défense de l’humanité. Chaque ordre que je donne se répercute en cascade depuis le sommet : mes sous-commandants dictent des ordres relatifs à leur partie de la mission, puis leurs subalternes donnent leurs propres ordres, et ainsi de suite.

» Chacun de vous doit trouver sa place dans la chaîne. Le télien sera notre moyen de communication le plus rapide et le plus fiable. Si chaque maillon de la chaîne exécute correctement son ouvrage, personne ne pourra nous arrêter. Sinon, c’est une catastrophe que vous pourriez provoquer.

— Nous comprenons, Général, dit Yarrod.

— Tant mieux, car je n’aurai pas le temps de vous expliquer ça au plus fort de la bataille.

Jusqu’à présent, il était satisfait de son discours. Mais devant la baie vitrée, quelques prêtres poursuivaient leur discussion en désignant les formations rocheuses. Lanyan, les sourcils froncés, appuya sur un bouton mural afin d’opacifier la fenêtre.

— Rassemblez-vous et prêtez-moi toute votre attention.

À contrecœur, les prêtres se placèrent aux côtés de Yarrod.

— Nous sommes à un moment clé de la guerre, déclara Lanyan. D’ici à quelques jours, nous allons lancer une offensive générale. Les attaquants de Passage-de-Boone ont rejoint une géante gazeuse nommée Osquivel.

À la mention de Passage-de-Boone, les prêtres Verts s’agitèrent en se regardant avec consternation.

— Pensez à tous ces arbres, dit Yarrod.

— La forêt de pins noirs anéantie, fit un autre prêtre.

— Plus un arbre debout, ajouta le prêtre à la cicatrice.

— Oui, et nous aurons notre revanche, rétorqua Lanyan, heureux de distinguer une lueur d’intérêt chez ses interlocuteurs, pour changer. Évidemment, je ne vous affecterai pas au combat, puisque vos talents ne s’appliquent qu’aux communications longue distance. Pour être efficaces, nous vous répartirons dans les divisions des différents quadrants et les colonies considérées comme des cibles potentielles. Cela offrira aux FTD un avantage tactique formidable. Par votre intermédiaire, nous aurons une vision instantanée de la position de notre flotte tout entière.

Les prêtres effleurèrent leur surgeon afin de se connecter plus étroitement. Ils se trouvaient dans un environnement bizarre, loin de leur planète, servant une armée dont ils ne savaient rien. Et ils étaient sur le point d’être séparés les uns des autres.

Lanyan fixa le mur sombre, là où s’était trouvée la fenêtre.

— Pour autant qu’on le sache, Osquivel est une planète négligeable, mais nous nous y rendons en force. Nous tenterons d’abord d’établir une communication, pour la forme, et nous espérons que vous nous y aiderez. En cas d’échec, nous exterminerons l’ennemi.

Il grimaça un sourire dans l’attente d’une acclamation, mais les prêtres parurent seulement intimidés.

— Les hydrogues sont puissants, releva Yarrod. La forêt-monde nous avertit de ne pas les sous-estimer.

— Oh, nous avons l’intention de lancer toutes nos forces sur Osquivel. Toutes les armes dont disposent les Forces Terriennes de Défense. Il est absolument impossible que nous perdions.

Malgré la confiance qu’il affichait, les prêtres Verts ne semblèrent guère convaincus.

Une forêt d'étoiles
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