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L’ATTITRÉ DE DOBRO
Udru’h fit glisser sa dague le long de son scalp, et la lame aussi effilée qu’un rasoir trancha ce qui restait de sa fière chevelure. Au préalable, il s’était huilé la peau. Quelques tressaillements d’électricité statique agitèrent les mèches coupées, mais il ne ressentit aucune douleur : seulement de la détermination, alors qu’il accomplissait le rituel – à l’instar de tous les mâles de l’Empire.
Tous sauf Jora’h, le Premier Attitré.
Le Mage Imperator était mort. Udru’h sentait le désespoir ronger sa poitrine comme des crocs de glace. Il avait su que la santé de son père déclinait, mais il ne s’était pas attendu qu’il meure aussi tôt.
Il régnait un tel chaos qu’il n’y avait pas pire moment pour que l’Empire se trouve ainsi décapité, sans le thisme qui reliait tous les Ildirans les uns aux autres. Trop de projets avaient atteint des phases critiques, à l’instar de celui qu’il menait ici, sur Dobro, avec Osira’h et ses dons spéciaux. Ils manquaient tellement de temps !
Udru’h reposa sa dague et se regarda dans un miroir entouré d’illuminateurs. Son visage était beau, mais également dur et décharné. Sur Jora’h, ces mêmes traits si reconnaissables étaient empreints de calme, alors que sur le sien ils paraissaient tendus.
Qu’adviendrait-il de l’Empire, à présent ?
Le Mage Imperator avait tenté de former Jora’h à la politique et de lui expliquer certains de ses plans – mais pas tout. Celui-ci s’était fâché quand il avait appris la vérité, une vérité qu’il aurait dû deviner dès le début, s’il avait un peu prêté attention à l’Histoire et aux indices autour de lui. Il refusait d’accepter les sacrifices nécessaires au bien des Ildirans. Et, aujourd’hui, c’était lui qui devait les gouverner.
Devait-il faire confiance à son frère aîné ?
Il lui fallait se convaincre que le Mage Imperator n’aurait jamais confié l’Empire à quelqu’un qui ne conviendrait pas. Cependant, Udru’h se rappelait également à quel point son père avait été malade. Peut-être ses souffrances et la déchéance de son corps avaient-elles altéré son jugement…
Le thisme disparu, les fils du Mage Imperator étaient coupés les uns des autres, incapables de percevoir leurs pensées respectives. L’Attitré de Dobro devait espérer que, lorsque Jora’h maîtriserait le thisme, toute la lumière se ferait dans son esprit, l’obligeant à accepter la situation. Il le fallait !
Quand bien même son frère appréhenderait tout, Udru’h n’approuverait peut-être pas ses décisions. En tant que nouveau Mage Imperator, Jora’h serait libre d’ordonner tout ce qu’il voudrait… et aussi de balayer d’un mot des siècles de croisements planifiés. Ce qui serait la pire chose à faire.
S’il détestait déjà tant les expériences de Dobro, qu’est-ce qui l’empêcherait de punir son Attitré ? Il pouvait tout ruiner, à cause de son pitoyable amour pour une prêtresse Verte qui, de par son héritage génétique, détenait la clé de leur salut.
Tout à ces amères pensées, il enfila un costume de cérémonie qu’il portait rarement. Il grimaça en s’étudiant de nouveau dans le miroir. Il préférait les vêtements simples, plus commodes pour le travail, alors que l’Attitré d’Hyrillka, lui, préférait les tenues tapageuses qu’il pouvait porter aux fêtes et banquets. Udru’h laissait ces plaisirs futiles aux autres.
Mais il y avait des cérémonies auxquelles il ne pouvait se soustraire – telles que les funérailles de son père, le dépôt de ses os luminescents à l’ossuarium… et l’ascension de Jora’h. Nul n’avait eu à convoquer les Attitrés : chacun d’eux avait su qu’il devait rejoindre Ildira sur-le-champ. Pour un temps, Udru’h quitterait la petite Osira’h ainsi que le camp d’élevage, car il devait en être ainsi.
Il doit en être ainsi.
Cependant, à présent que le réseau télépathique du thisme était coupé, une occasion inespérée d’agir s’ouvrait à lui… au besoin, en secret de Jora’h.
Udru’h quitta ses appartements, en proie à l’accablement. Il se sentait seul, incapable de discerner la moindre lueur de la Source de Clarté. Mais ses convictions demeuraient intactes. Sans doute ne pouvait-il faire confiance à son frère pour prendre les décisions justes, si difficiles soient-elles. C’était donc à lui, l’Attitré de Dobro, de veiller à les imposer.
Il convoqua les gardes dans sa résidence et leur donna des instructions précises, qu’ils devraient exécuter pendant son absence. Nira Khali représentait un danger, comme l’avait été l’épave du Burton. Udru’h ne pouvait laisser son frère la retrouver. Cela ruinerait tous les espoirs de son peuple.