32

REYNALD

Le récif de fongus faisant office de capitale se perchait dans les hauteurs d’un arbremonde. Il abritait des milliers d’habitants. Reynald se tenait devant les trônes multicolores de Mère Alexa et de Père Idriss. Un large sourire s’épanouissait sur son visage hâlé. Il ne savait s’il devait accueillir leur décision par de la joie ou de l’appréhension, mais il s’y était attendu. Cela faisait des semaines qu’ils y faisaient allusion.

— Entends-nous, mon fils, dit Alexa avec un sourire attendri. Selon nous, tu es prêt pour cette responsabilité, et le moment ne pouvait pas mieux tomber.

Idriss gratta sa barbe coupée au carré.

— Tu es plus polyvalent et cosmopolite que nous. Nous sommes tellement fiers de toi ! Assurément, tu feras un digne successeur, c’est pourquoi il est temps de sauter le pas. Il y aura largement de quoi t’occuper.

Alexa posa la main sur le poignet de son mari.

— Oh, il nous surpassera. Et le peuple acceptera la passation en un rien de temps.

Reynald s’inclina.

— L’héritage que vous me laissez tous deux est formidable, mais… pourquoi avoir pris cette décision si soudainement ?

D’un ton souverain, Idriss déclara :

— Nous avons juste perçu que le temps était venu.

Alexa eut un sourire enthousiaste.

— En outre, le mois prochain, Sarein vient de la Terre en mission diplomatique, et personne ne peut savoir quand elle sera de nouveau en mesure de revenir nous voir. L’occasion idéale pour organiser ton couronnement…

Reynald dut s’arrêter de rouler des yeux. C’était tellement dans la manière de ses parents de gérer les choses…

— C’est cela, la raison de votre désistement ?

— Oui, et il est fort dommage que Beneto ne puisse être là, lui aussi, répondit Idriss.

Reynald savait déjà à quoi ressembleraient les semaines à venir. Il y aurait un mois de préparatifs et de répétitions. Le peuple viendrait de toutes les régions de Theroc – c’était surtout cela qui réjouissait ses parents.

— Eh bien, si c’est ainsi, fit-il avec un soupir, nous ferions mieux de ne pas faire faux bond à ma sœur.

Père Uthair et Mère Lia avaient gouverné Theroc durant trois décennies avant de transmettre le pouvoir à leur fille Alexa et son mari. Cela faisait trente et un ans que le vieux couple avait pris sa retraite, et ils n’avaient jamais manifesté le moindre regret.

Reynald avait toujours beaucoup aimé ses grands-parents. Avec eux, il parlait du gouvernement, des Ildirans, de la Ligue Hanséatique terrienne. Bien qu’il respecte ses parents, il pensait qu’Uthair et Lia avaient une vision politique plus large et plus sensée.

L’appartement de ses grands-parents était juché dans les hauteurs de la capitale. Ils avaient invité Reynald et Estarra à dîner. Le jeune homme était assis dans l’aura de chaleur d’un feu de phosphore. Uthair et Lia avaient affirmé qu’il s’agirait d’une soirée décontractée, mais il savait qu’ils évoqueraient « certaines choses », à présent que l’imminence de son accession au trône avait été annoncée.

Uthair et Lia adoraient s’asseoir à leur balcon chamarré et se plonger dans la contemplation du labyrinthe d’arbremondes. Ils ne se lassaient pas d’observer les fleurs multicolores et le manège des insectes volants. Le vieux couple pouvait discuter des heures ; ils étaient encore curieux l’un de l’autre, bien qu’ils soient mariés depuis plus d’un demi-siècle.

Estarra s’occupa à disposer des bols avant de servir un potage aux champignons et aux herbes, accompagné de brochettes de viande de lucane épicée.

— Ta soupe est la meilleure, mamie, dit-elle en la goûtant subrepticement.

— Et il est de mon devoir de t’apprendre comment on la fait. (Elle fronça les sourcils d’un air moqueur.) Tu as l’âge, Estarra. Dix-huit ans ! Tu es adulte… bien que tes parents te dorlotent encore comme une petite fille.

Uthair sourit.

— Tu as traité Alexa de la sorte jusqu’à ses vingt-huit ans, chérie.

— C’est une prérogative maternelle.

Lorsque le vieillard quitta le balcon pour rejoindre la table, il fit mine d’ignorer Reynald qui se tenait prêt à l’aider. Au cours du repas, ni lui ni Lia ne parurent empressés d’expliquer la raison de leur invitation. Ensuite, Reynald et Estarra débarrassèrent la table pendant que leurs grands-parents s’emparaient d’instruments de musique sur une étagère et allaient s’installer sur le balcon.

Uthair gratta la harpe-guitare de son invention, tandis que Lia jouait une mélodie sur sa flûte. Depuis qu’ils avaient pris leur retraite, ils se consacraient tous deux à la création d’instruments musicaux à partir de matériaux forestiers. Ils les distribuaient aux enfants et s’amusaient de les voir s’égayer en jouant.

Lia passa enfin aux choses sérieuses.

— Reynald, puisque tu vas devenir Père de Theroc, il est plus que temps de te choisir une épouse. Le peuple compte là-dessus. (La vieille femme posa la flûte sur ses genoux.) Tu es déjà plus âgé que ta mère quand elle s’est mariée avec Idriss. Ton père était un jeune chef de ville-vermitière, fier et compétent. Leur union a engendré une superbe descendance. Ils ont bien gouverné, et le peuple les aime. (Elle poussa un soupir.) Mais la paix et le bien-être les ont rendus quelque peu… placides.

— Elle veut dire mous, précisa Uthair. Theroc est autosuffisante, et nous n’avons besoin de commercer ni avec la Hanse, ni avec les Ildirans. Néanmoins, Alexa et Idriss se trompent s’ils pensent que l’on peut ignorer la guerre des hydrogues. Il n’existe pas de neutralité contre un ennemi qui tue sans distinction.

— Je ne suis même pas convaincue que les hydrogues fassent une quelconque distinction entre les Ildirans et les humains, fit remarquer Lia.

— Tes parents ont pris le parti de ne rien faire en espérant que le problème s’évanouirait de lui-même. Depuis des mois, Lia et moi tâchons de les convaincre de te céder le trône, dans cette période difficile. Et ils nous ont finalement entendus.

Lia lui tapota le bras.

— Tu seras un bien meilleur gouvernant, chéri. Tu en as le cœur et l’esprit.

— Pourquoi dis-tu cela ? lui demanda Reynald.

La voix d’Estarra s’éleva :

— Parce que dans un mois tu seras le Père de Theroc, et qu’ils comptent sur toi. Mais que ça ne te monte pas à la tête !

Uthair gloussa.

— Écoute ta sœur. C’est peut-être la plus sage de la famille. Un peu brusque parfois, mais elle dit la vérité.

En d’autres circonstances, Reynald aurait flanqué une bourrade à Estarra. Mais il croisa les bras sur sa poitrine.

— D’accord, vous m’avez invité à dîner dans l’intention de me donner des conseils. Parlez-moi des défis qui m’attendent.

Souriant, Uthair souleva la main de son épouse.

— L’un des plus grands secrets réside dans un bon mariage.

La vieille femme regarda Reynald, puis Estarra.

— Il est grand temps, Reynald. Tu as trente et un ans.

Uthair intervint :

— Il en va de même pour toi, Estarra. Tu as l’âge de te marier. Vous devez tous les deux étudier les choix qui s’offrent à vous. Pour commencer, mettez-vous en tête de sélectionner votre partenaire pour d’autres raisons qu’un émoi amoureux ou une montée d’hormones. Soyez sensés dans votre choix et, avec de la chance, vous serez peut-être même gratifiés de véritables sentiments amoureux.

Les doigts de Lia jouaient avec sa flûte.

— Une chose à la fois, chéri. Étudions d’abord le cas de Reynald. La plupart des gens escomptent que tu choisisses une fille de bonne famille de Theroc. Mais, aujourd’hui, peut-être te faudrait-il élargir tes horizons.

Reynald avait déjà envisagé cette idée, mais il demanda toutefois :

— De quelle portée serait cet élargissement, selon toi ?

— La galaxie est vaste, dit Uthair. Il serait sage de contracter une alliance plus puissante que celle que t’offriraient quelques familles theroniennes.

Reynald aurait voulu éviter cette question, mais il savait qu’il ne le pouvait pas.

— As-tu quelqu’un en tête, grand-père ?

Il avait déjà ses préférences. Lia parla, et sa voix rappela à Reynald celle qu’il entendait, enfant, quand les bruits de la forêt lui provoquaient des cauchemars.

— Allons, allons, il ne s’agit que d’une conversation. Uthair et moi ne sommes plus les dirigeants de Theroc… juste des grands-parents soucieux de votre avenir. (Elle retourna à la cuisine.) Je vais nous faire du thé. C’en est assez pour aujourd’hui. Pense seulement à ce que nous t’avons dit. Le Bras spiral ne se limite pas à Theroc.

Le reste de la soirée, Estarra s’occupa de tenir compagnie à leurs grands-parents tandis que Reynald revoyait en imagination toutes les personnes qu’il avait rencontrées au cours de ses voyages à travers la galaxie. Il se rappelait surtout de Cesca Peroni. La belle et intelligente jeune femme était à présent l’Oratrice des Vagabonds. Reynald, qui tenait en haute estime l’avis d’Uthair et de Lia, se demandait, à présent qu’il savait qu’ils ne s’y opposeraient pas, s’il ne devait pas aborder Cesca.

Les Theroniens et les Vagabonds partageaient beaucoup de valeurs communes, en particulier leur indépendance vis-à-vis de la Ligue Hanséatique. Cinq ans plus tôt, Cesca avait poliment repoussé ses allusions au mariage. Depuis, il avait appris que son fiancé avait été tué lors d’une des premières attaques hydrogues.

Le visage de la jeune femme revint à sa mémoire avec intensité. Il ignorait s’il s’agissait de la candidate pressentie par Uthair et Lia, mais il entreprit de recenser les multiples avantages d’une telle alliance.

Il sirota son thé en écoutant la musique que jouaient ses grands-parents. Les rouages de son cerveau s’étaient mis en branle.

Une forêt d'étoiles
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