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TASIA TAMBLYN
La nasse se resserrait impitoyablement autour d’Yreka. Les colons démoralisés avaient renoncé à une seconde tentative d’évasion. L’amiral Willis refusait désormais de négocier.
« Il ne s’agit pas d’une affaire diplomatique, avait-elle transmis au gouverneur. Vous savez très bien ce que vous devez faire pour lever le siège. »
Mais les Yrekiens étaient trop obtus ou effrayés pour obtempérer. Ils avaient l’habitude de survivre au quotidien, si bien qu’ils savaient pouvoir supporter l’embargo très longtemps. Jour après jour, Tasia se demandait ce qu’elle fabriquait là, et quel rapport il y avait entre cette situation et la vengeance de Ross – ce qui l’avait d’abord poussée à s’enrôler chez les Terreux.
Tasia pensait que l’attitude du gouverneur était insensée. Cette femme fière à la noire chevelure pouvait bien faire mine d’ignorer le décret, elle aurait dû savoir que sa bravade échouerait. Essayait-elle de bluffer le détachement de la flotte, en espérant qu’ils prennent la colonie en pitié ?
Tasia se trouvait sur la passerelle de son Lance-foudre lorsque de nouveaux ordres parvinrent au bataillon du siège des FTD. Le message laconique, arrivé par drone courrier, ne la surprit guère : le général Lanyan n’avait jamais été un homme patient et il exigeait l’obéissance.
« Ça suffit. La Hanse doit déjà faire face à nombre de situations d’urgence. Attendre que cette stupide résistance s’effondre d’elle-même serait une perte de temps et d’argent. Amiral, si la situation n’a pas été résolue à réception de ce message, le roi Peter autorise l’emploi de mesures plus énergiques. »
L’amiral Willis apparut sur les écrans de ses commandants. Ses cheveux gris étaient coupés court et plaqués sur le crâne. Elle affichait une moue de résignation.
« Très bien, tout le monde. Les préliminaires ont assez duré. Le temps est venu de sortir le grand jeu. On va confisquer les stocks d’ekti illégaux et laisser les colons en supporter les conséquences. (Elle secoua la tête.) Parfois, les gens refusent d’entendre raison jusqu’à ce que la force parle. »
Le bataillon se rapprocha de la planète, et les Lance-foudre entamèrent la descente. Les Mantas ouvrirent leurs aires de lancement pour déverser des barges de transport de troupes au-dessus des zones habitées.
Tasia n’approuvait pas cette violence, mais les Yrekiens auraient dû comprendre qu’ils couraient au désastre. Elle avait espéré que leur dirigeante aurait eu la sagesse de ne pas pousser l’affrontement plus avant.
Lorsque son Lance-foudre eut atteint une altitude de croisière, Tasia envoya ses escadrons de Rémoras.
— Épargnez les civils. Pas question de causer plus de préjudices et de dommages collatéraux que nécessaire.
— Bien sûr, Platcom, fit Robb Brindle d’un ton enamouré. Je veux juste les gronder un peu.
En dessous, les villes avaient sonné l’alarme. Le gouverneur donna l’ordre d’évacuation. Les colons cadenassèrent leurs maisons et se ruèrent dans leurs abris souterrains. Leur défense civile n’avait pas l’intention de résister au raid des FTD.
Les Rémoras sillonnèrent le ciel, lâchant d’abord des bombes incendiaires au-dessus de zones inoccupées, puis sur les bâtiments administratifs et les entrepôts. Patrick Fitzpatrick poussait des hourras comme s’il marquait des points dans un jeu – ce qui n’étonnait pas Tasia outre mesure.
Tout en scrutant la carte de la colonie, Tasia programma une série de cibles sur sa console de tir. Ses batteries de jazers commencèrent à mitrailler les champs, incendiant des bandes cultivées. Elle prit soin de limiter les dégâts tout en les rendant le plus visibles possible, espérant qu’on ne l’oblige pas à passer au cran supérieur.
Robb Brindle faisait manœuvrer ses Rémoras comme à la parade, laissant dans le ciel d’épaisses fumées noires dans l’intention d’effrayer les colons.
Les barges descendirent en masse sur l’astroport yrekien, lâchant des essaims de fantassins sur le quartier des entrepôts. Le bétail s’éparpilla en braillant, paniqué. Certains soldats lui tirèrent dessus, heureux de pouvoir enfin se défouler après un siège mortellement ennuyeux.
À l’écoute des conversations radio, Tasia se désolait des cris d’autosatisfaction des Terreux tandis qu’ils brûlaient les immeubles et repoussaient les civils dans les abris antiaériens. Certains soldats tiraient en l’air afin de les effrayer.
Moins de vingt minutes après le débarquement des troupes, sept cargos atterrirent, prêts à récolter le butin. Les fantassins convergèrent vers les dépôts d’ekti. Une poignée d’Yrekiens aussi fous que courageux avaient formé un barrage, mettant au défi les soldats de les abattre. Mais les blindés n’eurent aucune peine à rompre la ligne de défense. Les Yrekiens se débandèrent en se couvrant la tête pour se protéger des explosions et des grenades soniques.
Avec célérité et efficacité, les Terreux victorieux confisquèrent le carburant, chargeant les barils dans les cargos. Leur tâche achevée, ils détruisirent les entrepôts – une punition satisfaisante, et de plus non sanctionnable.
Comme les frappes aériennes se poursuivaient, l’amiral Willis transmit sur toutes les fréquences :
« Retenez-vous, c’est un ordre ! Les dommages collatéraux sont acceptables jusqu’à présent. Les pertes civiles sont minimales, et nous avons atteint nos objectifs de mission. Mes félicitations à tous. Maintenant, rapportons l’ekti, que l’on puisse passer à une mission plus utile. »
Des acclamations crépitèrent sur les canaux radio. Tasia se demanda quoi faire, comme les frappes au sol continuaient malgré tout. Elle n’était pas sûre de vouloir être récompensée pour avoir persécuté des colons. En revanche, elle comprenait ces derniers. Son peuple aurait résisté avec autant d’obstination en de telles circonstances. Par chance, les Vagabonds camouflaient leurs installations…
Brindle ramena ses Rémoras à bord du Lance-foudre. Lorsque les pilotes se rendirent au rapport, Tasia rallongea la permission de ceux qui avaient fait preuve de retenue au cours de l’opération. Quelques grandes gueules protestèrent contre ce « système de récompense tordu ». Tasia se contenta de les fusiller du regard.
Abandonnant la colonie meurtrie, la flotte du quadrant 7 regagna à plein régime sa base principale, près de la Terre.
Tasia était soulagée que la mission soit terminée, mais se sentait très mal l’aise. Le général Lanyan avait naguère protégé ces mêmes colons des exactions d’hommes sans foi ni loi comme Rand Sorengaard, au nom des principes hanséatiques de liberté du commerce et des individus. En songeant au siège d’Yreka, Tasia ne trouvait pas leurs récents exploits moins condamnables que les pillages du pirate.