2

LE ROI PETER

C’était une réunion d’urgence au sommet, comme il y en avait souvent depuis le début des attaques hydrogues. Mais, cette fois, le roi Peter insista pour qu’elle se tienne dans la pièce du Palais des Murmures de son choix. Cette salle de banquet annexe ne présentait pas d’importance particulière pour lui ; simplement, il désirait marquer son indépendance… et par la même occasion ennuyer Basil Wenceslas.

Ses yeux artificiellement bleuis étincelèrent lorsqu’ils croisèrent le regard dur du président.

— Vous répétez sans cesse que mon règne est fondé sur les apparences, Basil. N’est-il pas opportun que je rencontre mon état-major au Palais, et non à votre convenance au siège de la Hanse ?

Peter savait que Basil détestait qu’il utilise ses propres tactiques à son encontre. L’ancien Raymond Aguerra avait appris à jouer son rôle mieux que la Hanse ne l’avait prévu.

L’expression blasée que Basil s’était composée avait clairement pour but de lui rappeler qu’en tant que président de la Ligue Hanséatique terrienne, il avait géré pire problème que les humeurs d’un jeune roi.

— Votre présence à cette séance n’est qu’une formalité, Peter. En réalité, nous n’avons pas besoin de vous.

Peter savait reconnaître un bluff.

— Si vous pensez que les médias ne remarqueront pas mon absence à une réunion de crise, alors j’irai nager avec mes dauphins.

Il connaissait son peu d’importance et insistait, juste un brin, chaque fois qu’il le pouvait. Cependant, il sous-estimait rarement les limites de Basil, et menait chacune de ces petites batailles avec subtilité. Et il savait quand s’arrêter.

Finalement, Basil prétendit que cela n’importait pas. Ses principaux conseillers – un petit cercle de porte-parole, d’experts militaires et de fonctionnaires de la Hanse qu’il avait triés sur le volet – se réunirent derrière des portes closes, autour d’une table éclairée par des chandeliers. Un déjeuner léger fut servi, tandis que des serviteurs silencieux plaçaient en hâte des bouquets sur la table, des serviettes damassées et de l’argenterie. Trois fontaines glougloutaient dans des alcôves.

Peter s’assit en bout de table dans un fauteuil tarabiscoté. Fort de son rôle, il écouta dans un silence respectueux le président énoncer l’ordre du jour.

La chevelure gris acier de Basil était impeccablement coupée et peignée. Son costume était chic mais confortable, et la souplesse de ses mouvements démentait ses soixante-treize ans. Il avait mangé frugalement lors du repas, et n’avait bu que de l’eau glacée et du café à la cardamome.

Il balaya du regard ses conseillers, les amiraux et les ambassadeurs des colonies.

— J’ai besoin d’une estimation précise de l’état de nos colonies hanséatiques, dit-il. Depuis que les hydrogues ont tué le roi Frederick et lancé leur ultimatum sur l’écopage d’ekti, il y a cinq ans, nous avons eu largement le temps de tirer des conclusions et d’établir des prévisions. (Il regarda d’abord le commandant des Forces Terriennes de Défense. En tant que président de la Hanse, Basil était son chef de facto.) Général Lanyan, quelle est votre évaluation d’ensemble ?

Le général écarta d’un geste le pad électronique contenant des statistiques et autres chiffres que lui tendait un assistant.

— C’est assez simple, monsieur le Président : nous sommes dans les ennuis jusqu’au cou, bien que la flotte maintienne un rationnement de carburant rigoureux depuis le début de la crise. Sans ces mesures très impopulaires…

Peter l’interrompit.

— Les émeutes ont causé autant de dégâts que la pénurie, en particulier dans les nouvelles colonies. Nous avons déjà déclaré la loi martiale sur quatre mondes. Les gens souffrent et sont affamés. Ils pensent que je les ai abandonnés.

Il jeta un œil à son assiette, où reposaient des tranches de viande et un fruit multicolore. Sachant ce que son peuple endurait, il décida qu’il n’avait plus d’appétit.

Arrêté au milieu de sa phrase, Lanyan regarda le roi sans réagir, puis tourna son attention vers Basil.

— Comme je le disais, monsieur le Président, les mesures d’austérité nous ont permis de maintenir la plupart des services les plus importants. Toutefois, nos réserves diminuent.

Tyra Cheval Courant, l’un des ambassadeurs planétaires, repoussa son assiette de côté. Peter tâcha de se rappeler la colonie qu’elle représentait. Était-ce Rhejak ?

— L’hydrogène est l’élément le plus répandu dans l’univers. Pourquoi ne pas se contenter d’en prendre ailleurs ?

— L’hydrogène concentré n’est pas aussi accessible ailleurs, répondit l’un des amiraux. Les géantes gazeuses constituent les meilleurs réservoirs.

Avec sa peau blanche et ses traits de patricien, l’ambassadeur de Relleker était l’image vivante de ces statues de style classique qui ornaient les murs de la petite salle de banquet.

— Les Vagabonds continuent de nous fournir de l’ekti grâce à leurs techniques d’extraction hautement dangereuses, annonça-t-il d’un ton qui se voulait optimiste. Laissons-les prendre les risques à notre place.

— De toute façon, il n’existe pas d’autre carburant pour aller plus vite que la lumière. Nous avons essayé toutes les alternatives, fit un autre émissaire. Nous dépendons totalement du ravitaillement des Vagabonds.

Maussade, Lanyan secoua la tête.

— Leurs livraisons actuelles ne couvrent même pas les exigences minimales de la flotte militaire, sans compter les besoins publics et civils. Il nous faudra peut-être imposer des mesures d’austérité plus poussées.

— Quelles mesures plus poussées ? dit l’émissaire de Ramah à la peau foncée. Voici des mois que l’on n’a pas reçu de fournitures. Ni médicaments, ni nourriture, ni matériel. Nous avons augmenté nos rendements agricoles et miniers, mais notre infrastructure ne nous permet pas de survivre en autarcie.

— La plupart d’entre nous se trouvent dans la même situation, dit le représentant de Dremen à la peau d’une pâleur fantomatique. Le cycle météorologique de ma planète est entré dans sa phase basse, avec plus de nuages et un abaissement des températures. À cette période, le rendement céréalier baisse de 30 %. Même dans les années fastes, Dremen a besoin d’aide pour survivre. Aujourd’hui…

Basil leva les mains pour couper court aux plaintes.

— Nous avons déjà eu cette discussion. Imposez la limitation des naissances si l’agriculture ne subvient pas aux besoins de votre population. Cette crise ne s’achèvera pas du jour au lendemain, alors commencez à réfléchir sur le long terme.

— Bien sûr, dit Peter d’un ton sarcastique à peine voilé. Retirons à des hommes et des femmes le droit de décider du nombre d’enfants qu’ils veulent, afin de maintenir une colonie pour la fondation de laquelle ils ont risqué leur vie. Je suppose que vous voulez que je fasse bonne figure pour leur faire accepter cela ?

— Oui, bon sang, je le veux ! s’emporta Basil. C’est votre boulot.

Cette sinistre nouvelle sembla réduire l’appétit de tous. Des domestiques vinrent servir de l’eau glacée, avec des rondelles de citron qu’ils présentaient au moyen de pincettes en argent. Basil les renvoya. Faisant montre d’une impatience qui ne lui ressemblait pas, il tapota des doigts sur la table.

— Nous devons mieux faire comprendre au peuple à quel point la situation est désastreuse. Nos réserves en carburant sont au plus bas, sans compter nos capacités de communication très limitées, à cause du manque chronique de prêtres Verts octroyés par nos amis à courte vue de Theroc. Nos drones courriers les plus rapides ne peuvent en faire autant. Nous avons besoin de prêtres, aujourd’hui plus que jamais, rien que pour maintenir le contact avec les colonies isolées. Beaucoup n’en possèdent même pas un.

Il jeta un coup d’œil à Sarein, l’ambassadrice au teint mat du monde forestier. Elle était mince et nerveuse, étroite d’épaules et plate de poitrine ; elle avait des pommettes hautes et un menton pointu.

— Je fais du mieux que je peux, dit-elle, mais vous savez que les Theroniens ne s’intéressent qu’à leurs arbres. (Elle sourit afin de souligner l’ironie de sa réponse.) D’autre part, Theroc n’a reçu aucune fourniture courante, aucune technologie ni aide médicale depuis le début de la crise. Il m’est difficile de demander à mes compatriotes davantage de prêtres Verts si la Hanse ne prend pas leurs besoins en compte.

Peter observa la tension qui existait entre Basil et la jolie Theronienne ; depuis le premier jour de son règne, il avait perçu leur attirance mutuelle. Avant que le président puisse répondre, il bomba le torse et parla de la voix puissante qu’il s’était forgée au cours de ses nombreux discours :

— Ambassadrice, au vu des privations endurées par les colons de la Hanse, nous devons allouer nos ressources en priorité à nos propres colonies. Theroc, en tant que monde souverain, se trouve dans une bien meilleure situation que la plupart d’entre elles.

Ce soufflet verbal mit Sarein en rage. Soulagé, Basil acquiesça d’un air appréciateur.

— Le roi a raison, bien sûr. Jusqu’à ce que cette situation change, Theroc devra prendre soin d’elle-même. À moins, peut-être, qu’elle ne souhaite rejoindre la Hanse ?

Le visage de Sarein s’empourpra, et elle secoua imperceptiblement la tête.

Le général Lanyan embrassa les ambassadeurs d’un regard acéré.

— Monsieur le Président, nous n’avons d’autre choix que de prendre certaines mesures. Plus nous attendrons, plus ces mesures seront extrêmes.

Basil soupira, comme s’il avait su que ce choix retomberait sur lui.

— Vous avez l’autorisation de la Hanse de faire le nécessaire, Général. (Il loucha en direction de Peter.) Et vous agirez au nom du roi, bien sûr.

Une forêt d'étoiles
cover.xhtml
title.xhtml
title3.xhtml
chapter.xhtml
chapter1.xhtml
chapter2.xhtml
chapter3.xhtml
chapter4.xhtml
chapter5.xhtml
chapter6.xhtml
chapter7.xhtml
chapter8.xhtml
chapter9.xhtml
chapter10.xhtml
chapter11.xhtml
chapter12.xhtml
chapter13.xhtml
chapter14.xhtml
chapter15.xhtml
chapter16.xhtml
chapter17.xhtml
chapter18.xhtml
chapter19.xhtml
chapter20.xhtml
chapter21.xhtml
chapter22.xhtml
chapter23.xhtml
chapter24.xhtml
chapter25.xhtml
chapter26.xhtml
chapter27.xhtml
chapter28.xhtml
chapter29.xhtml
chapter30.xhtml
chapter31.xhtml
chapter32.xhtml
chapter33.xhtml
chapter34.xhtml
chapter35.xhtml
chapter36.xhtml
chapter37.xhtml
chapter38.xhtml
chapter39.xhtml
chapter40.xhtml
chapter41.xhtml
chapter42.xhtml
chapter43.xhtml
chapter44.xhtml
chapter45.xhtml
chapter46.xhtml
chapter47.xhtml
chapter48.xhtml
chapter49.xhtml
chapter50.xhtml
chapter51.xhtml
chapter52.xhtml
chapter53.xhtml
chapter54.xhtml
chapter55.xhtml
chapter56.xhtml
chapter57.xhtml
chapter58.xhtml
chapter59.xhtml
chapter60.xhtml
chapter61.xhtml
chapter62.xhtml
chapter63.xhtml
chapter64.xhtml
chapter65.xhtml
chapter66.xhtml
chapter67.xhtml
chapter68.xhtml
chapter69.xhtml
chapter70.xhtml
chapter71.xhtml
chapter72.xhtml
chapter73.xhtml
chapter74.xhtml
chapter75.xhtml
chapter76.xhtml
chapter77.xhtml
chapter78.xhtml
chapter79.xhtml
chapter80.xhtml
chapter81.xhtml
chapter82.xhtml
chapter83.xhtml
chapter84.xhtml
chapter85.xhtml
chapter86.xhtml
chapter87.xhtml
chapter88.xhtml
chapter89.xhtml
chapter90.xhtml
chapter91.xhtml
chapter92.xhtml
chapter93.xhtml
chapter94.xhtml
chapter95.xhtml
chapter96.xhtml
chapter97.xhtml
chapter98.xhtml
chapter99.xhtml
chapter100.xhtml
chapter101.xhtml
chapter102.xhtml
chapter103.xhtml
chapter104.xhtml
chapter105.xhtml
chapter106.xhtml
chapter107.xhtml
chapter108.xhtml
chapter109.xhtml
chapter110.xhtml
chapter111.xhtml
chapter112.xhtml
chapter113.xhtml
chapter114.xhtml
chapter115.xhtml
chapter116.xhtml
chapter117.xhtml
chapter118.xhtml
chapter119.xhtml
chapter120.xhtml
chapter121.xhtml
chapter122.xhtml
chapter123.xhtml
chapter124.xhtml
chapter125.xhtml
chapter126.xhtml
chapter127.xhtml
chapter128.xhtml
chapter129.xhtml
chapter130.xhtml
chapter131.xhtml
chapter132.xhtml
chapter133.xhtml
chapter134.xhtml
chapter135.xhtml
organigramme.xhtml
enfants.xhtml
arbres.xhtml
lexique.xhtml
title1.xhtml
remerciements.xhtml
title2.xhtml
copyright.xhtml
back.xhtml