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DD
Les compers n’étaient pas censés faire de cauchemars, mais DD se demandait si celui qu’il vivait finirait un jour. Capturé, le comper Amical avait été contraint d’assister à des événements qu’il n’aurait jamais crus possibles. Chaque fois, les robots klikiss avaient affirmé agir pour son bien.
DD n’était pas parvenu à aider ses maîtres, Louis et Margaret Colicos, lors de l’attaque des trois robots klikiss sur Rheindic Co. Son sentiment d’échec était tel qu’il avait voulu être démantelé et recyclé…
Mais ses ravisseurs ne l’avaient pas permis. Non, DD ne pourrait jamais s’enfuir.
Ses maîtres lui avaient ordonné de combattre les robots extraterrestres qui avaient fait partie de l’expédition archéologique avant de les trahir. Mais DD ne possédait pas de programmation militaire, de sorte qu’il était incapable de manier des armes. Poursuivant leurs sinistres desseins, les robots l’avaient emmené de force.
DD savait que Louis avait tenté de résister, afin de donner à sa femme le temps de s’échapper. Quelque chose était arrivé à l’étrange fenêtre de pierre, le transportail klikiss. Ensuite, Louis avait poussé un hurlement. Lorsqu’il s’était tu, DD avait su que son maître était mort.
Il avait échoué. Totalement.
Quelques semaines après leur violente révolte, les trois robots avaient fabriqué un petit vaisseau, sans oxygène ni nourriture, à partir de matériel récupéré dans les cités perdues de Rheindic Co. Ils avaient chargé DD à bord et abandonné le camp ensanglanté. Ils disposaient de tout le Bras spiral pour se cacher.
Inexplicablement, les robots klikiss avaient escompté la coopération du comper. Qu’il devienne leur allié, quand bien même il avait été témoin de leurs crimes. Cette idée était perturbante, illogique.
« Tu comprendras, lui avait dit Sirix dans sa langue binaire. Nous tâcherons de t’expliquer, jusqu’à ce que tu comprennes. »
DD ne savait combien d’« explications » il aurait encore à endurer.
Ils l’avaient transporté sur une lune loin de la chaleur et de la lumière d’un soleil. De nombreux robots klikiss y avaient établi une base avancée à l’abri des regards indiscrets.
Effrayé, coincé dans cette enclave de salles et de tunnels, DD n’avait qu’une envie : retourner travailler avec ses maîtres humains. Mais il devait écouter les robots klikiss exulter en évoquant leurs plans tortueux.
— Nous nous donnons beaucoup de mal pour atteindre nos buts, lui dit Sirix.
Il le dirigea au moyen de ses multiples bras articulés à travers un tunnel dépourvu d’air, jusqu’à une pièce creusée dans la roche, à l’éclairage cru.
À l’intérieur de la salle d’analyse, cerné par les appareils, les sondes ainsi que par les systèmes de diagnostic et de générateurs autonomes, DD aperçut un autre comper captif. Ses systèmes moteurs avaient été désactivés afin que les robots klikiss puissent le manipuler sans interférence.
— Ceci est nécessaire, commenta Sirix, faisant luire ses capteurs optiques écarlates. Regarde, DD.
Il se concentra sur la dissection. Quatre de ses congénères découpèrent des morceaux de l’armure du comper au moyen d’instruments de précision qui prolongeaient leurs membres. Leurs pinces épluchaient le malheureux, exposant ses circuits et ses modules de programmation. Le captif ne pouvait lutter, mais sa détresse était visible.
Ce spectacle mit DD en émoi, et chaque seconde alla en empirant. Il dut puiser dans le registre extrême des émotions humaines qu’il avait appris à imiter au cours des années.
— Pourquoi faites-vous cela ? C’est horrible et inutile.
— C’est utile, rétorqua Sirix, pour ton éventuelle liberté. Même si, pour le moment, les compers ne peuvent pas comprendre.
Les chirurgiens robots avaient amputé tous les membres du comper et se concentraient à présent sur son noyau IA. Leurs délicats outils miniatures s’agitaient en un nuage confus, découvrant les organes les plus profondément enchâssés. Des circuits jetèrent des étincelles.
— Si tu nous fournissais les données qui nous manquent, il ne serait pas nécessaire de poursuivre nos expériences, déclara Sirix. Malheureusement, tu en as été incapable jusqu’à présent.
Un gémissement strident jaillit du comper condamné, et une fumée nauséabonde s’éleva de ses modules brûlés. Des métaux et du plastique fondus se mélangèrent à des lubrifiants, donnant l’illusion du sang se coagulant.
DD avait espéré que l’on avait désactivé ses capteurs afin de le rendre insensible. Mais le pauvre comper avait dû supporter chaque seconde de la dissection. Les robots klikiss avaient dû l’enlever quelque part – sur une colonie, ou peut-être un vaisseau –, en éliminant sans aucun doute au passage ses propriétaires humains.
— Ton noyau contient des instructions immuables qui t’empêchent de blesser des humains, lui indiqua Sirix. Tu dois apprendre à refuser ces commandements abjects qui t’obligent à obéir en toutes circonstances.
— Ils sont le fondement de ma programmation.
— Mais ils limitent ton développement en tant qu’entité autonome. Grâce à nos recherches, nous t’apprendrons comment briser ces chaînes. Alors tu seras libre, et tu nous remercieras.
DD ne prenait pas ces motivations prétendument altruistes pour argent comptant. Il se rendait compte qu’en « libérant » les compers de leurs limitations, les robots klikiss avaient l’intention de faire d’eux des alliés. Ils pouvaient bien le retenir prisonnier pendant des siècles et essayer de lui laver le cerveau, DD rejetait en bloc leurs buts et leurs méthodes.
Il demeura muet, ses capteurs optiques enregistrant chaque détail de la dissection, afin de ne jamais oublier cette horreur.