Blade regarda les plats avec gourmandise et entendit son estomac gronder. Mais il secoua la tête. Inutile de risquer d'avaler du vin ou des aliments drogués. Il lui fallait d'abord s'entretenir avec Sœur Brigeda avant d'être sûr qu'il pouvait manger et boire en toute sécurité dans cette maison.
— Tu n'as pas faim? dit la servante voilée.
— Pas du tout, assura Blade en espérant que son estomac n'allait pas encore se manifester pour le traiter de menteur.
L'estomac garda le silence. Mais l'affirmation de Blade ne suffit pas pour convaincre les femmes. Toutes quatre s'assirent en tailleur sur le tapis et le dévisagèrent. De temps en temps, leurs yeux allaient des plats à Blade et revenaient. Le silence s'appesantit. Blade se demanda pendant combien de temps il pourrait refuser de boire et de manger sans les offenser.
Le silence fut rompu par l'arrivée de Sœur Brigeda en personne. Ses yeux noirs examinèrent le tableau, Blade sur le lit, les aliments intacts, les filles immobiles. D'un bref signe de tête, elle congédia les servantes. Avec un ensemble parfait, elles se relevèrent précipitamment, sortirent de la chambre et fermèrent la porte.
Brigeda s'assit sur un coussin de velours bleu dans le fond de la chambre et contempla Blade. Il crut discerner de l'amusement au fond de ses yeux noirs. Hardiment, il soutint leur regard. La courtisane avait des rides légères autour des yeux, sous le menton la peau se relâchait un peu; elle devait avoir au moins quarante ans. Mais à part ça, elle ne portait pas les marques de sa très ancienne et très épuisante profession. Sa peau était lisse, son teint clair, ses cheveux d'un noir de jais, sa silhouette encore vive et svelte.