Chapitre 98
Surgi de nulle part, Maurice s’affala dans l’herbe tendre comme s’il était tombé de haut. Il se ramassa sur lui-même, prostré comme un nouveau-né, et resta ainsi de longues minutes. Enfin, il hoqueta, inspira, expira. Soupira :
— Où suis-je, cette fois-ci ?
Il se redressa tant bien que mal. Son corps portait les traces de l’intense correction que lui avait inlassablement infligé son maître, jour après jour, mais ces dernières disparaissaient déjà, laissant son corps au teint laiteux vierge de toute séquelle.
Maurice avait été sévèrement chapitré par son maître. De nouvelles aventures l’attendaient, une nouvelle vie, un destin cependant inchangé. L’étrange individu gardait toutefois, enfouie au fond de son esprit, l’image d’un homme grand et svelte, aux cheveux d’argent, aux yeux verts, étincelants de force et d’une certaine sauvagerie. À ses côtés, une dague au métal noir, inquiétante, murmurante, assoupie.
— J’ai souffert. Terriblement. Mais je me souviens, cette fois. Je me souviens de tout et pas seulement de bribes. Mon esprit est clair, plus clair qu’il ne l’a jamais été. Je vous en remercie, Hors-Destin. Grâce à vous, je sens souffler le vent de la liberté.
Maurice leva l’index qu’il pointa vers le ciel d’azur immaculé, et effectua un tour sur lui-même. Son visage maigre s’anima d’un sourire :
— Ah, le Plan-Primaire.
À présent qu’il savait où il se trouvait, tout allait bien. Il huma l’air, avant de déclarer à voix haute :
— Allons par là, vers l’est. Je sens le délicieux fumet d’une tarte aux myrtilles !
— Je préfère la tourte aux champignons.
— N’importe quoi, c’est bien trop salé !
— Tu divagues, mon cher ?
— Moi, je pense que…
— Toi, tu te tais !
— Et le jus de carotte, alors ? Il n’y a rien de tel pour vous requinquer un honnête homme.
— Ça, c’est bien vrai !
Distrait par ce dialogue à bâtons rompus avec lui-même, Maurice s’éloigna dans la campagne verdoyante, en aucune façon embarrassé par sa nudité.
Messire Cellendhyll de Cortavar, nous nous reverrons. Quoi qu’affirme mon maître, quoi qu’il impose, je certifie que nous sommes liés, vous et moi.
Et même la mort ne semble pas en mesure de nous séparer
À bientôt. Hors-Destin…