Chapitre 86
Rosh s’était lui-même engagé dans un cul-de-sac. Le dernier étage de la tour était une terrasse à ciel ouvert, entourée d’un muret crénelé. Suant sa peur à grosses gouttes, le rouquin regarda de tous côtés, aux abois. Aucune issue pour lui. Aucune dérobade. Sa confrontation avec Cellendhyll de Cortavar, étirée sur des années, allait enfin connaître son chapitre final.
L’Adhan arrivait. Rosh leva la main et incanta. Le sort de poing mental, un trait vert qui fusa en direction de l’Ange, fut aussitôt absorbé par la Belle de Mort. Rosh ne connaissait aucun autre sort offensif, trop paresseux pour s’investir dans la magie.
Cellendhyll le toisa d’un sourire méchant :
— Misérable crétin, ça fait des années que tu me pourris l’existence ! Je t’avais prévenu de ne plus tenter de me nuire, mais tu n’as pas écouté. Tant pis pour toi…
Il marcha sur le rouquin. Du revers de sa main libre, il le frappa en pleine bouche, lui déchirant les lèvres. Rosh recula de plusieurs pas mais parvint, avec peine, à conserver son équilibre.
— Parle-moi de Dreylen, enchaîna l’Adhan. Où je puis le trouver ?
— Je ne sais rien de cet homme. C’est Sequin qui m’a mis en contact avec lui, mentit Rosh. C’était la première fois que je le voyais et depuis ce jour sur Valkyr, je n’ai eu aucun signe de lui.
Estrée mit pied sur la terrasse. Constatant son arrivée, le visage du rouquin s’éclaira. Il venait de songer à une échappatoire.
Il leva ses paumes ouvertes devant lui dans un geste d’apaisement :
— Attends, Cellendhyll, je peux te révéler quelque chose qui te concerne au premier chef, quelque chose de grave, de crucial que tu serais ravi d’apprendre.
— Peu m’importe.
Sachant qu’il ne pouvait en aucun cas se fier à ses propos ou à ses actes, l’homme aux cheveux d’argent fit un pas vers celui qu’il méprisait le plus au monde. Plus que deux pas d’écart.
— La blonde ! glapit Rosh. Je sais qui a tué la blonde à Véronèse. Je le dis tout et tu me laisses la vie.
Cellendhyll se figea, soudain hésitant.
*
L’esprit d’Estrée tournait à toute allure.
Rosh va me balancer si je reste sans rien dire et si Cellendhyll apprend la vérité, je suis morte, dans tous les sens du terme.
*
Rosh passa la langue sur ses lèvres fendues. Son regard calculateur allait et venait de l’Ange à l’héritière.
— C’est lui ! s’écria soudain Estrée, tout en pointant le rouquin du doigt.
— Quoi ? suffoqua ce dernier.
— C’est lui qui as tué Devora ! renchérit la jeune femme. Rosh ! J’aurais dû m’en rendre compte plus tôt. Qui d’autre que lui ? Un homme de petite taille, la carrure idéale pour se dissimuler au sein d’une foule, et qui t’en veut depuis des années, il a le profil parfait !
— C’est pas vrai, glapit encore le rouquin, c’est elle au contraire qui a tué ta femme !
— Quelle piètre défense, Rosh ! ironisa Estrée. Tu m’accuses, moi, c’est tout ce que tu as trouvé pour te disculper ?
— Oui, c’est toi, je t’ai vu, là-bas, sur mon honneur !
— Ton honneur ? persifla Estrée. Tu n’en as aucun, misérable couard !
Elle se tourna vers l’Ange, le prenant à témoin :
— Qui vas-tu croire ? Moi qui ai partagé Valkyr avec toi, qui t’ai aidé du mieux possible pour te faire venir ici, ou bien Rosh, qui ment comme il respire, sinon mieux, qui tente de te nuire à la moindre occasion ? Qui ne veut qu’une chose, ta mort, et qui l’a encore prouvé ce soir !
Le Melfynn transpirait. Son regard allait de Cellendhyll à Estrée, nerveux. La jeune femme mentait mais ses arguments sonnaient juste. Rosh disait la vérité, pour une fois dans sa vie, mais n’avait aucune preuve de ce qu’il affirmait. Il était soudain perdu dans sa dialectique. Il ne put balbutier que quelques mots incompréhensibles.
Cette nervosité due à la peur, Cellendhyll la prit pour un aveu de culpabilité. Il attendait depuis trop longtemps de pouvoir venger la mort de son amour. Il ne se demanda pas pourquoi Estrée ne reconnaissait le soi-disant assassin que maintenant. Rosh Melfynn faisait pour lui un coupable idéal, évident. D’autant plus que l’Ange avait d’autres raisons, toutes aussi impératives, de le tuer.
Oui. laisse-toi aller à la colère, lui susurra une voix brûlante. Tue ! Tue ! Tue !
Emportée par une vague de haine qui l’aveugla d’un halo rouge, Cellendhyll se ramassa sur lui-même avant de brusquement combler l’écart qui le séparait de Rosh. Sa dague décrivit une volte et cloua le rouquin sous le bras droit, perçant son artère, créant l’agonie plutôt que la mort brutale. Cellendhyll se campa sur ses jambes, empoigna sa lame noire à deux mains et souleva le Melfynn, jusqu’à le décoller du sol, le hissant, de toute sa puissance, à hauteur de ses yeux, pour mieux détailler le supplice qu’il infligeait.
Tel un ver sur un hameçon, le rouquin se débattait spasmodiquement. La vie s’écoulait hors de lui, seconde après seconde, goutte après goutte.