Chapitre 97
À peine de retour dans ses appartements, l’Adhan en ressortait. Il venait de trouver un mot d’Estrée qui lui donnait rendez-vous sur l’une des terrasses couvertes du dernier niveau de la citadelle.
La terrasse avait été transformée en serre le temps de la saison froide. La lumière était atténuée par les végétaux, diffuse. Estrée se détachait nettement, pourtant, au milieu d’un amas de plantes grimpantes à la fragrance discrète.
— Comment va Faith ? demanda la Fille du Chaos.
— Son état reste inchangé.
La jeune femme détourna la tête pour ajouter :
— Dommage. J’avoue que je n’ai aucun atome crochu avec ta guerrière, mais je regrette vraiment qu’elle connaisse un tel sort. Cela dit, Faith est forte, je suis persuadée qu’elle finira par revenir.
— Je l’espère de tout cœur. Mais j’imagine que nous ne sommes pas là pour parler d’elle…
Le regard d’Estrée revint sur lui, avec cette intensité qui marquait leurs relations.
— En effet, si je t’ai fait venir, c’est pour te dire que nous avions trop partagé, toi et moi, pour ne pas rester liés, d’une manière ou d’une autre. J’ai envie de te fréquenter, Cellendhyll. Comme une amie pour commencer. Je t’ai avoué ce que j’éprouvais à ton égard, en retour, tu m’as demandé de la patience, aussi je ne vais pas t’assaillir de mes charmes, je ne vais pas te harceler. Je te propose juste que nous apprenions à nous connaître, tous les deux, tranquillement. Et nous verrons bien où cela nous mène.
Cellendhyll n’eut pas besoin de réfléchir ou de tergiverser. Ses rapports avec la fille d’Eodh avait pris une direction bien différente de ce qu’il aurait imaginé en partant pour Mhalemort. Il l’avait constaté, la présence de la jeune femme à ses côtés atténuait ses tourments, et c’était bien la preuve qu’elle sortait de l’ordinaire.
— Je ne te promets rien, Estrée. Mais ton amitié, je l’accepte. Je t’offre la mienne en retour, pour ce qu’elle vaut. Tu finiras par t’en rendre compte, je ne suis pas très fréquentable… Je déteste les mondanités, j’exècre les beaux parleurs, la politique, le décorum. Je suis un homme d’action, pas une figure de salon.
— Et tu crois que je n’en étais pas consciente ? rit-elle. Bougre d’Adhan, tu me plais tel que tu es et je te prends ainsi, n’est-ce pas le propre d’une amie ? Vouloir changer un homme de ta trempe serait la pire des erreurs, et je ne la commettrai jamais. De même, je ne m’imposerai pas. Tu es libre de me fréquenter ou non.
Tu viendras à moi. De toi-même.
— Mais avant que nous démarrions cette phase d’amitié, reprit la jeune femme, un tendre sourire aux lèvres, j’ai une requête…
— Encore ? J’imagine que tu vas de nouveau me demander un baiser ?
— Comment le sais-tu ?
— Je commence à te connaître, Estrée, sourit Cellendhyll. Et sache que ce baiser, tu n’as pas besoin de le réclamer, car cette fois, je vais le prendre !
Sans lui laisser le temps de réagir, il la saisit pour l’attirer contre lui, la plaquer fermement torse contre torse, bas-ventre contre bas-ventre. Leurs bouches se touchèrent dans un embrasement commun. Leurs langues se mêlèrent l’une à l’autre, sans hésitation, chacune animée de sa propre passion.
La jambe d’Estrée s’enroula à l’arrière de celle de l’Adhan. Elle répondait à ce baiser avec la même ardeur déployée par l’Ange, comblée de bonheur plus encore que d’excitation. Comblée par l’un de ces moments parfaits, idéal de réalité, bien trop rare dans son existence tumultueuse.
Elle désira brutalement que le temps se fige. Elle ne voulait rien de plus. Rien d’autre, que de rester ainsi, dans les bras virils et protecteurs de l’homme qu’elle aimait.
Y rester à jamais.
*
Camouflée dans un recoin d’ombre de la serre, derrière l’épaisseur d’un ficus barbier, sa fine silhouette recouverte par une houppelande de velours noir, Mina de Pélagon observait Estrée et Cellendhyll, les yeux brillants de haine.
Ils se séparèrent sagement, quoique le souffle heurté. L’Adhan rentra chez lui, les pensées de nouveau tournoyantes, le sexe tendu d’une monumentale érection. La Fille du Chaos, d’un pas dansant, fredonnant un air aussi enjoué que son esprit.
L’Ange songeait à partir avec Estrée sur les routes de l’aventure, celles des Territoires-Francs. Cette pensée folle revenait avec une insistance ardente, en dépit des imprécations de sa conscience chaotique. Mais n’était-il pas temps pour lui de songer à ce genre de folie ? L’idée de liberté le taraudait toujours.
Il ne connaissait cependant pas assez la jeune femme pour prendre ce risque maintenant. Un tel destin devait se mûrir et l’Ange avait besoin de certaines confirmations. Défier ses maîtres en leur ravissant l’héritière d’Eodh n’était pas un acte à commettre sur un coup de tête. Encore fallait-il qu’Estrée accepte cette proposition assurément périlleuse sinon suicidaire. Encore fallait-il qu’elle soit bien l’égale dont il rêvait.
Mais pourquoi songer soudain à ce genre de choses si, pour ma part, je ne l’aime pas ?
Pourquoi ?