Chapitre 41
Khorn et Élias montaient la garde, tous deux invisibles, postés dans un bosquet. Le reste du commando se reposait.
— C’est foutu, tu crois ? demanda Khorn.
— Bonne question. Mais je n’ai pas pour habitude de baisser les bras, quelles que soient les circonstances.
— De toutes manières, reprit le colosse noir, si on avait voulu mourir dans notre lit, on n’aurait pas choisi cette voie, n’est-ce pas ?
— Ça non ! Dommage tout de même pour Lhaër, elle était chouette la petite. Je te le dis, mon cœur saigne… Pour ce gros lourdaud de Bodvar aussi, d’ailleurs.
— Je partage ton sentiment mais penser à eux, tant qu’on n’est pas sortis d’affaire, n’arrangera pas nos intérêts, tu le sais.
— Hélas, oui… Une chique ?
— Tu rigoles ? Tu sais très bien ce que je pense de ton truc.
— Khorn, voyons, tu n’y as même pas goûté !
— Très peu pour moi. Pas besoin d’avoir ça dans la bouche pour se douter que ça doit avoir le même goût que du crottin de yak !
— Bof, c’est pas si mauvais le crottin de yak.
— Élias, tu penses vraiment ce que tu dis, là ?
Un silence tranquille s’imposa, chahuté par les mastications d’Élias. Ce dernier cracha un jet de chique, qu’il prit soin de recouvrir de terre afin de ne pas laisser de traces. Il finit par reprendre :
— Je ne sais pas si on va s’en tirer, mon vieux. Mais au fond je m’en moque. Cette existence me plaît. Je fais partie de l’élite, le commandant est un type bien, et, surtout, je ne me sens vraiment vivant qu’au contact du danger !
— Oui, je sais ce que tu veux dire… Tu as de la famille, toi ?
— Du côté de mon frère… Sa femme, leurs deux filles. Mais je les vois rarement. Ce sont des gens honorables mais avec eux, c’est plus fort que moi, je m’ennuie très vite et je n’arrive pas à le cacher… Je me sens nettement plus à ma place ici, avec vous… Et toi, de la famille ?
— Non. Et ça ne me manque pas, je l’avoue.
— On pense la même chose, hein ? Notre famille, c’est l’escadron… Te bile pas, Khorn, le commandant va nous tirer de là.
Un nouveau moment de silence, troublé, cette fois, par le guerrier à peau noire.
— Élias ?
— Quoi ?
— Je sens que je vais le regretter mais je vais tenter le coup. Donne-moi un bout de ton infâme machin.
— À la bonne heure !
Le petit homme se servit de son poignard pour couper un petit carré d’une sorte de pâte brunâtre. Khorn l’enfourna. Le mastiqua…
— Alors, qu’est-ce que tu en dis, c’est du bon, hein ?
Le petit homme eut à peine le temps de finir sa phrase que Khorn recrachait le morceau :
— Pouah ! Du crottin ? J’étais bien en dessous de la réalité ! Quelle horreur, ton truc. C’est quoi ? De la fiente de dragon roulée sous les aisselles ?
— Bah, tu n’as aucun goût !
— La preuve que si, je te supporte mon frère, et, en plus, je te fais la bouffe !