Chapitre 14
Trois jours après la traversée du marécage, les Sang-Pitié semblaient avoir véritablement perdu leur trace. Les Spectres économisaient leurs rations, l’habileté au tir de Melfarak leur fournissant toute la viande fraîche nécessaire. Mais leurs gourdes étaient vides. Seule celle de Cellendhyll contenait encore un peu d’eau, car il se rationnait encore plus sévèrement que les autres pour leur offrir ses dernières réserves. Des guerriers moins résistants auraient déjà succombé à la soif et l’Ange loua Gheritarish en esprit pour la formation rigoureuse qu’il avait imposée à l’escadron. Elle payait aujourd’hui, plus que jamais. Cependant, sans eau, ils allaient finir par craquer.
Le soir était tombé.
— Tiens, voici un autre sachet de mes herbes, sourit Lhaër. Tu tiens le coup ?
Le tutoiement était venu naturellement entre elles, ferment d’une complicité naissante.
Estrée inspira et dit :
— Oui, Lhaër. Et cela grâce à ton soutien quotidien.
— Laisse-moi t’examiner.
Traitée chaque soir par la guérisseuse, la Fille du Chaos arborait une bien meilleure mine. Ses cernes s’étaient estompés et sa peau avait perdu sa lividité pour recouvrer son habituelle teinte nacrée.
— Tu es résistante, Estrée. Bien plus que la moyenne. La plupart des gens auraient succombé à la puissance de la drogue des Ténèbres, alors que toi tu as su résister, tout en subissant le manque. Je t’admire !
— Ne dis pas cela, je ne le mérite pas. Tu ne sais rien de moi. J’ai fait tant de choses peu honorables dans ma vie.
— Peu m’importe, le passé est le passé. Je suis ton amie, ou du moins, je me considère comme telle. Ce que je vois en toi me suffit.
Mon amie ? Oui.
— Merci, Lhaër. Tu n’imagines pas à quel point tes paroles me font du bien…
Estrée se rapprocha de la rousse et, délicatement, l’embrassa sur les lèvres. Un baiser chaste plutôt que passionné. C’était le meilleur moyen, le plus simple pour elle, de manifester la tendresse qu’elle ressentait pour la guérisseuse.
Une fois le baiser terminé, et pas avant, Lhaër recula d’un pas. Puis sourit :
— Hum, je préfère les hommes, mais tu me tentes presque, tu sais ?
— Pardonne-moi, murmura Estrée. Je ne sais plus ce que je fais… Et moi aussi, d’ailleurs, je préfère les hommes. Ce n’était pas pour te séduire que j’ai fait ça, je voulais juste te montrer mon affection.
— À la bonne heure ! Rassure-toi, je ne suis pas offusquée. Allez, viens, rentrons manger. C’est au tour de Khorn de préparer le repas et crois-moi, même avec de la viande crue, il fait des miracles !