Chapitre 5

 

 

Cellendhyll réveilla les autres à l’aube, tandis que la nature se nappait d’un brouillard à l’humidité dense. Les oiseaux s’apostrophaient dans le haut des feuillages.

Une fois effacées les traces de leur bivouac, les Spectres repartirent. Ils avancèrent en formation prudente, de nouveau sur la piste sinueuse qui pointait vers le nord, Khémal toujours hors de la réalité, sur le brancard porté par Khorn et Bodvar.

En fin de matinée, après une brève halte et une série d’étirements, l’Ange songeait que la nourriture ne posait pas de problème. Ils avaient leurs rations et le gibier ne semblait pas manquer… Porcs sauvages, ragondins, cervidés, reptiles n’étaient pas rares. L’eau, en revanche, risquait sous peu de devenir un souci épineux. Les mares et les bassins qu’ils avaient rencontrés jusqu’ici ne contenaient que de l’eau salée. Les Spectres pourraient se rationner, même sévèrement, mais pour Khémal et Estrée, cela était moins sûr.

La Fille du Chaos avait une sale mine, justement. Des cernes voilaient son regard. Ses traits se creusaient. Il se rapprocha d’elle et la prit à l’écart :

— Tu vas bien, Estrée ? Tu n’as franchement pas l’air dans ton assiette…

— C’est seulement maintenant que tu t’intéresses à moi ? Tu me fais subir cet exil, défiant ma volonté, et soudain tu me demandes si je vais bien ? Tu ne manques pas d’air ! Comme ça j’ai mauvaise mine, la faute à qui, d’ailleurs ? Ah, mais toi tu sais parler aux femmes, quel tact ! Alors non, je ne vais pas bien. Quelque chose ici me rend malade, je ne sais pas quoi… Peut-être une allergie, j’y suis souvent sujette.

— Je l’ignorais…

— Oh, mais tu ignores tout de ma personne, Cellendhyll de Cortavar ! Jamais, malgré mes tentatives, tu n’as pris garde à moi.

Il ne répondit rien. Elle avait parfaitement raison. Brusquement, il s’en voulut de l’avoir entraînée dans cette mission. Sur le moment, cela lui avait semblé indispensable, mais à présent, il en doutait.

— Je suis désolé de t’avoir obligé à venir, reprit-il d’un ton adouci. Mais c’est fait et je ne peux pas revenir dessus. Je vais veiller sur toi du mieux possible en attendant de nous sortir de là.

— La belle affaire ! ricana-t-elle.

— Écoute, Estrée, je ne vais pas me jeter à tes pieds pour implorer ton pardon, si c’est ce que tu espères ! Si tu as besoin de quelque chose, indique-le moi. Si tu préfères te murer dans ta colère, je m’en moque, du moment que tu coopères !

Et il la quitta pour retrouver la tête de l’escouade.

Estrée ravala un sanglot.

De quoi ai-je besoin ? J’ai besoin de mes drogues. J’ai besoin de réconfort. J’ai besoin que tu m’enlaces, que tu m’embrasses. Que tu me fasses découvrir la fraîcheur de ta bouche, la douceur de ta langue, la fierté de ton membre. J’ai besoin de toi, mon bel Adhan ! Mais tout cela, comment te l’avouer ?