Chapitre 17
Ils continuaient d’avancer à travers la canopée. Khémal se révélait enfin capable d’avancer seul, il recouvrait la vue peu à peu. L’escadron avait donc accéléré. La jungle s’éclaircissait, trouée de larges zones de savane à l’herbe jaune. Toujours pas de trace du cœur nodal. Cellendhyll se servait de son artefact deux fois par jour, en vain. Il en était quasi sûr, ils avaient semé leurs poursuivants.
Ils établirent un campement dans une clairière camouflée par un épais cercle de grands tamaris. Le repas préparé par Khorn – lamelles de porc cru marinées dans un jus de baies rouges, oignons sauvages et mangues – était terminé. Excepté pour les sentinelles de garde, ils se laissèrent gagner par le sommeil.
Au beau milieu de la nuit, Khémal se releva et sortit du camp. Il se rendit au point convenu, de l’autre côté de la lisière des arbres, à l’ouest.
Arrivé à destination, il n’eut pas le temps d’attendre. Une silhouette apparut de derrière un tamaris, sur sa droite, masquée par l’ombre de la nuit.
— Je suis là, dit l’apparition.
Elle s’exprimait d’une voix au timbre étouffé ; il était impossible de dire si elle provenait d’un homme ou d’une femme. Toutefois Khémal sembla la reconnaître.
— Diantre, tu m’as surpris, comme à ton habitude ! s’exclama-t-il tout en prenant soin de parler à voix basse. Je suis heureux de te voir, Gamaël… Mais je ne comprends pas. Lorsque tu m’as fait le vieux signe de reconnaissance, j’ai failli en tomber sur le cul. Je te croyais mort, tout le monde te croyait mort.
— Je suis mort, en effet… et j’ai ressuscité.
— Mais que fais-tu ici ?
— À ton avis ? C’est Morion qui m’a envoyé.
— Cellendhyll est au courant ?
— Non, il ignore ce fait. Tu connais le maître, toujours si secret. Il m’a avoué se méfier des réactions de l’Adhan. Il le trouve de plus en plus rétif à son autorité. En fait, je ne dois dévoiler ma véritable identité qu’en dernier recours. Et ce n’est pas le cas, heureusement. Le commandant connaît son travail et j’estime que nous avons de bonnes chances de nous en sortir.
— Morion ne nous avait pas annoncé ton retour parmi nous, releva Khémal.
— Bah, tu le connais. Il ne fait jamais rien simplement. Des secrets, toujours plus de secrets, enrobés dans d’autres secrets !
— Oui, ça résume tout à fait Morion, ça ! Pourquoi voulais-tu me voir alors ? Évoquer le bon vieux temps, ce n’est pas vraiment ton genre. Gamaël.
— En effet. Dis-moi, lorsque je t’ai contacté, cet après-midi, tu m’avais déjà reconnu, n’est-ce pas ?
— Ma foi non, je commence tout juste à y voir vraiment Et si tu ne m’avais pas fait le signe, je crois que je n’aurais jamais deviné ta véritable identité.
— Ah, c’est dommage. Si j’avais su… Non… Tu aurais bien fini par me reconnaître… Tu es trop talentueux pour percer le dessous des choses. Désolé, mon frère, crois bien que je le regrette mais j’ai trop en jeu pour prendre le risque de te laisser en vie.
La silhouette attira subitement Khémal à elle, le frappa sèchement au plexus pour lui couper le souffle, le saisit par le cou et lui brisa les vertèbres d’une torsion des mains. L’Ombre s’affala dans l’herbe.
— Je ne pouvais prendre le risque que tu parles, murmura l’inconnu, je suis mort, vois-tu, et je tiens surtout à le rester aux yeux du monde.
L’assassin se pencha alors sur le visage de Khémal. Une dague en main, il se mit à entailler la chair de son visage.